J’ouvre la serrure de l’appartement de Manon, sans la brutaliser, à l’aide d’un fil de fer. Personne. Sans bruit, je me coule jusqu’à la salle de bains. La boucle d’oreille étrusque de Manon est là, pendue à une chaînette ; elle doit la porter à présent en pendentif. Nous avions égaré la seconde sur un chemin rocailleux, non loin de la Mandragore. Je suis résolu à la remplacer, en faisant copier celle qu’elle a conservée par un artisan que j’ai repéré dans l’arrière-boutique d’un joaillier, au fond de l’une de ces galeries marchandes qui constituent la partie souterraine de Montréal.
Je subtilise la boucle d’oreille solitaire et me carapate. Manon sera-t-elle sensible à cette attention ? Elle paraissait si attachée à ces bijoux de famille hérités de sa grand-mère qui, elle-même, les tenait d’une aïeule née sous Napoléon III…
En une journée de travail minutieux, à la lueur d’un néon, l’artisan – un vieux Peau-Rouge qui avait reconstitué dans son arrière-boutique une sorte de campement d’Indien des plaines – exécuta une copie parfaite, patinée dans les règles de l’art.
En fin d’après-midi, j’eus tout juste le temps de retourner en douce dans l’appartement de Manon et Bertrand. Sur la tablette de la salle de bains, je déposai la paire de boucles d’oreilles et ne laissai aucune trace de mon passage.
Quand Manon trouverait la paire, elle ne manquerait pas d’interroger Bertrand ; il paraîtrait aussi surpris qu’elle. Alors elle comprendrait…