Tard dans la nuit, je pris congé du Petit Sauvage en songeant au cancer effroyable qui m’avait volé mon père. Je le revis à l’hôpital, souriant sur son lit blanc, le corps boursouflé de métastases nichées sur ses membres décharnés. Les rayons de cobalt avaient brûlé ses chairs. Son souffle était court.

—  Mon chéri, avait-il murmuré, ne te quitte pas.

Ne te quitte pas…

Son regard de noyé s’était planté dans le mien. Je n’avais alors pas bien saisi ce qu’il tentait de me dire. J’avais treize ans, lui quarante-six. Le petit garçon qu’il fut avait décidé de se supprimer et d’emporter mon père dans leur tombe commune. De quels outrages, de quelles mortifications s’était-il vengé ? Les derniers mots de mon père me devenaient soudain clairs : il était mort de s’être quitté.

Je m’endormis rassuré. Moi, je ne périrais pas à quarante-six ans.