J’allais piquer une tête dans la rivière du Collège pour rejoindre la grotte quand une voix m’interpella :
— Hey ! Alexandre.
Je me retournai. Tintin se trouvait à quelques mètres de moi. Dans la clarté lunaire, je vis qu’il ne s’était pas déshabillé. Serroté dans son costume mal coupé, il jouait nerveusement avec ses clés de voiture.
— J’ai reçu un coup de fil de Philo, dit Tintin. Il ne viendra pas. On l’a prévenu à la dernière minute. Il est sur un coup, pour photographier une princesse et… enfin, moi je…
— Tu te dégonfles ?
— Ecoute, c’était sympa la petite virée au Collège mais… faut me comprendre. J’ai une femme, des gosses… On a passé l’âge de faire les marioles.
— Je ne te juge pas, Tintin. Merci d’être quand même venu au rendez-vous.
— Salut.
La tête basse, il s’éloigna. Sa silhouette massive disparut dans la pénombre. Un instant je fus tenté de tout abandonner ; mais une voix en moi me rappela à l’ordre. Elle m’ordonnait de quitter les rivages du monde adulte, de me libérer du regard et des attentes d’autrui pour me retremper dans une solitude complète qui, seule, pouvait me rendre à moi-même. Tu as presque quarante ans, il n’est plus temps de faire des compromis. Aie le courage de t’affronter !
Je pris la mer, bien qu’elle fût menaçante.
Dans l’obscurité, je me guidai en regardant les étoiles. La houle se creusait et bientôt le vent forcit. La voile que j’avais confectionnée avec les draps donnés par Monsieur Arther fut alors déchirée par de méchantes rafales. Je dus continuer au moteur. La progression était lente. Des déferlantes hargneuses commencèrent à balayer le pont.
En dix minutes, la tempête me cerna. Effrayé, je m’accrochai à la barre et m’enfonçai dans la nuit en essayant tant bien que mal de suivre ma route. Deux heures durant, je me colletai avec les flots en colère qui tourmentaient la coque, luttai contre les bourrasques dans un corps à corps incessant. Plusieurs fois, je sentis la mort sur le point de me cueillir. Je la repoussai. Elle refluait et revenait inlassablement. Je devais vaincre les ténèbres pour renaître, pensais-je en écopant. Harassé, j’aperçus une vague qui, en venant vers moi, s’enflait démesurément. Que fais-tu là ? me demandai-je tout à coup. Roulant sur la mer, cette masse d’eau sombre vint s’écraser sur mon bateau dans un rugissement qui me figea de terreur. Pendant quelques instants, il n’y eut plus rien de visible. L’écume masquait tout. Je crus mon embarcation broyée par cette mâchoire baveuse et fus étonné de la voir réapparaître ; quand un craquement lugubre se fit entendre. Une roche en saillie venait de mordre l’étrave du bateau. Je me précipitai pour colmater la voie d’eau ; une grosse lame me renversa, une autre me souleva et m’emporta dans la convulsion des flots. Mon crâne heurta violemment un récif. Au moment même où je perdis connaissance, je sus qu’Alexandre Eiffel expirait.