20

Il n’arrivait pas à dormir. Ses pensées tournoyaient sous son crâne comme un essaim de guêpes. Il se leva sans bruit, non sans avoir auparavant regardé autour de lui.

Les derniers buveurs avaient regagné leurs couches et même les sentinelles, assises en tailleur, somnolaient, les lances posées en travers de leurs genoux.

L’homme aimait ces moments de la nuit où il était le seul éveillé. Quand les autres dormaient, tout devenait possible. Il était tout-puissant. Il pouvait faire d’eux ce qu’il voulait. Ils lui étaient livrés pieds et poings liés. Un sourire sur les lèvres, il se redressa puis, d’un coup, se cassa en deux.

Il avait mal.

Sa cicatrice s’était réveillée. Dans la journée, il sentait sa peau gratter, tirer, mais le soir, la douleur venait. Par moments, c’était comme d’avoir un fer rouge planté dans le bas des reins. Il avait vu bien des médecins, juifs, arabes ou chrétiens, mais aucun n’avait su le soulager. Tous lui avaient dit qu’il n’y avait aucune raison pour que cette blessure vieille de plusieurs années le torture ainsi. Et pourtant, il avait même l’impression parfois qu’elle se rouvrait et qu’elle saignait.

D’une main hésitante, il tâta le bas de son dos, cherchant la plaie du bout des doigts. Mais non, elle était bien fermée. Il se força à respirer doucement, à chasser les images qui l’assaillaient. La voix sous son crâne s’était réveillée, elle aussi.

— Je suis là, disait-elle. Je suis là. Crois-tu que je t’ai oublié ?

— Non.

— Tu ferais mieux de te recoucher. Que veux-tu faire ? À quoi penses-tu ? Ou plutôt à qui ?

— À personne.

— Pourquoi ce couteau dans ta main, alors ?

L’homme s’aperçut que ses doigts s’étaient refermés sur la garde du coutel.

— Je ne sais pas.

— Tu as toujours menti. Tu es un lâche. IL le sait bien, lui. IL l’a toujours su.

— Non. C’est LUI qui m’a fait ainsi. Lui !

Une des sentinelles s’était réveillée brusquement.

— Qui va là ? fit-elle.

Son compère ouvrit aussitôt les yeux.

— T’as vu quelque chose ?

— J’sais pas. J’crois que j’ai entendu un bruit.

La sentinelle jeta un oeil vers le sablier.

— Bientôt la relève. J’me suis endormi.

— Moi aussi. Tu veux que je fasse une ronde ?

À ces mots, l’homme dans la pénombre se figea. Là où il se tenait, les autres ne pouvaient l’apercevoir à moins qu’ils ne s’approchent. Et s’ils s’approchaient, alors... Le poignard se leva.

Une ombre noir et blanc fila entre ses jambes, poursuivant un rat jusque sous le nez des sentinelles.

— Encore ce chat ! grogna le garde.

— Ben, au moins, lui, y fait son boulot, remarqua l’autre en donnant une bourrade à son compagnon. C’est ça, ton bruit !

— La relève va pas tarder. Ce satané brouillard m’endort.

— On mange le sable ?

— La dernière fois qu’on a retourné le sablier on s’est fait coincer ! protesta l’autre. Et moi, prendre des corvées en plus pour gagner une heure sur ma paillasse, c’est pas mon affaire.

— Bon, bon, fit le marin. J’vais faire un tour, alors.