11

— Ho ! Hisse ! Ho ! Hisse ! encourageait le maître de la hache.

Tancrède et Hugues s’étaient placés à l’avant. Le jeune homme regardait, fasciné, les hommes qui dressaient le mât de l’esnèque. Le battement sourd du tambour de guerre rythmait les efforts des marins qui s’arc-boutaient. Ils avaient placé le mât, un tronc de chêne rouvre d’une trentaine de mètres de haut, dans la calengue, une pièce de bois au centre du bateau, et le poussaient à bout de bras tandis que leurs compagnons tiraient sur un hauban à l’avant. L’opération était difficile et, malgré ses amarres, le navire tanguait dangereusement.

Tancrède eut l’impression que sa respiration se bloquait, mais le mât se dressa enfin et le charpentier frappa d’un seul coup de masse la cale en bois qui le bloquait dans la calengue.

Le tambour s’arrêta. Tous les hommes du bateau poussèrent un long cri de victoire.

Harald, l’homme du gouvernail, ordonna d’arrimer le cordage principal au guindeau, le treuil fixé à l’avant de l’esnèque. D’autres marins se précipitèrent pour attacher les haubans.

Un des hommes grimpa avec agilité jusqu’à une plateforme de bois près de la girouette dorée au sommet du mât.

Tancrède s’écarta pour laisser passer Knut qui allait rejoindre Harald à l’arrière, près du gouvernail latéral.

— Êtes-vous prêt ? lui murmura Hugues à l’oreille.

— Je crois que j’étais prêt pour ce moment-là le jour de ma naissance, répliqua Tancrède dont l’excitation faisait trembler la voix.

Il avait tout oublié, les morts d’enfants, l’attaque de la veille ; il ne songeait plus qu’au départ.

Magnus le Noir et ses guerriers étaient debout non loin d’eux, impassibles. Sur un ordre jeté par Harald, les rameurs se précipitèrent vers leurs bancs.

Les battements du tambour reprirent, plus rapides.

À bord du knörr, les hommes avaient également levé le mât. Tancrède aperçut Giovanni entouré de ses passagers. Une silhouette féminine enveloppée d’un grand mantel à capuche se tenait près du marchand.

— Est-ce là la femme dont vous m’avez parlé ? demanda-t-il à son maître.

— Sans doute.

— Il faut bien du courage à une femme seule pour partir ainsi sur les mers à la recherche d’un époux qu’elle ne connaît même pas.

Hugues ne répondit pas. Les rameurs déverrouillaient les trous de nage obscurcis par des rondelles de bois, pour y glisser leurs avirons.