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Jean-Denis Moran, debout devant son bureau, lit le
Sud-Ouest qui y est grand ouvert. Il
rit de bon cœur quand Magali Miller entre pour lui apporter le
courrier du jour qu'elle vient de dépouiller.
– Ils racontent l'arrestation de cette cruche
de Lataste sous nos fenêtres, hier après-midi. Il paraît qu'y a des
témoins qui ont cru au tournage d'un film !
Magali est venue poser familièrement la main
gauche sur son épaule droite et lit avec lui. Amusé par sa lecture,
il incline la tête pour caresser de la joue les longs doigts bagués
de pierres précieuses.
– Ils ne se mouillent pas, ils ne citent
aucun nom. Ils ne font que rapporter l'incident, sans s'étendre sur
les causes… T'as vu ? Ils parlent juste d'une « possible
compromission dans une tentative d'escroquerie dont a été victime
une banque d'affaires bordelaise qui, grâce au sang-froid de son
équipe dirigeante, a su déjouer les manœuvres d'un Arsène Lupin au
petit pied » !
Il s'esclaffe.
– J'adore !
– T'as lu, en dessous, l'interview de son
avocate ?
– Où ça ?!
Panique à bord. Elle
tapote avec délice un ongle acéré laqué de carmin sur la photo de
Carole Aubertin. Il s'est plongé dans le déchiffrage du texte
encadrant le portrait.
– « Complot. » Tu peux chercher, connasse ! Elle a tout dit,
en disant ça ! C'est facile de parler de complot, encore
faut-il prouver ! Elle n'est pas connue, cette nana, elle ne
fera pas le poids.
– Tu es dans ce coup-là ?
– Hein !?
Ses yeux se sont affolés, son éternel sourire l'a
fui un instant… Une fraction de seconde… Il est revenu,
éblouissant.
– Quel coup ? De quoi tu
parles ?
– Je trouve qu'il arrive bien des
désagréments aux gens de ton entourage et à leurs proches, ces
temps-ci. Les pauvres Dubreuil…
Il la prend par la nuque.
– L'essentiel, c'est qu'il ne t'arrive rien à
toi, ma chatte.
Il me menace,
l'enfoiré ! Les yeux cobalt la fixent, entre
réverbérations du ciel sur la banquise et flammes de chalumeaux
oxyacétyléniques. Combien de gens il a ruinés,
poussés au suicide, tués ? Elle grimace, tellement les
griffes se sont insérées dans sa chair. Tant bien que mal, elle
parvient à façonner un sourire.
– À toi aussi… je… j'espère qu'il… qu'il
n'arrivera rien…
Le prédateur relâche un peu sa préhension.
– T'es gentille.
– Crève ! Je
tiens à toi… je… je te dois tant.
L'étreinte devient effleurement, puis flatterie
sur l'encolure d'une brave bête soumise.
Siméon Bensoussan n'a eu aucune peine à obtenir
l'accord écrit de Louis Dubreuil pour saisir la comptabilité de
Laurent en possession de Raphaël Monjot, son expert, qui s'est
déclaré disposé à aider la police à faire la lumière sur un suicide
lui semblant parfaitement inconcevable.
– D'autant que je connaissais Laurent depuis
des années, on a fait notre primaire et notre collège ensemble à
Floirac. Nos parents habitaient la cité Maupéou. Je le connais
comme moi-même. Ça nous est arrivé plusieurs fois de parler du
suicide. Il condamnait. Il traitait de lâches ceux qui se
défilaient en laissant les leurs dans les pires tourments… Non,
c'est impossible. Laurent ne s'est pas suicidé. Il aimait trop sa
femme et ses enfants.
Bensoussan a demandé à ses agents de charger à
bord de sa voiture tous les éléments mis à disposition. L'affaire
n'a pas traîné. Un quart d'heure plus tard, le lieutenant Gaétan
Berthier vient annoncer qu'ils sont prêts à repartir.
En arrivant à sa Mégane Scénic, le commissaire est
étonné de ne rien voir ni sur les banquettes ni à l'arrière.
– Vous avez fait quoi du matos ?
– Le capitaine Fourrier l'a embarqué.
– J'avais dit de mettre les cartons
ici ! Il a fait pareil lors de la
perquise à la BGD !
L'ours, barbe et sourcils en pétard, est frappé
par la révélation. Pour lui, c'est l'équivalent de la conversion de
Claudel à l'entrée du chœur de Notre-Dame ! L'ordinateur de Lataste ! Je le revois
l'emballer !
Berthier, qui n'en mène pas large, tente une
conciliation.
– Il a dit que ce serait plus pratique, vu
que vous, vous portez aucun paquet.
La médiation se perd. Il
détourne les preuves ! Déjà Bensoussan s'est éjecté du
véhicule. C'est lui qui a piqué le disque dur
du foutu Patouche ! Il se jette presque sous les roues
du break 306 de l'adjoint qui allait le dépasser.
– Arrêtez !
L'esquimau pile. C'est quoi
ce cirque ? L'espace d'un freinage, sous l'effet de la
surprise, ses yeux se sont débridés. Y a un
bug ! Il se doute !
Bensoussan s'est précipité sur la portière. Il
l'ouvre.
– Quand je donne une consigne, c'est un
ordre ! Je veux transporter moi-même ces archives !
Descendez ! Prenez ma voiture, je prends la vôtre !
Le capitaine s'exécute, en grognant.
– Bordel ! ça
merdoie, là ! Qu'est-ce qui vous arrive ? Je vais
pas la paumer, votre paperasse !
Bensoussan n'a pas écouté. Lataste accusait des agents doubles… Il est monté
et a claqué la portière. Fourrier en est
un ! Mon blair me trompe jamais ! La Peugeot
démarre avec un crissement de pneus, sirène deux tons hurlant.
Faudra que je vérifie si, par hasard, il
serait pas membre du syndicat facho de Jeannot
Gourdon.
Fourrier s'assied dans la Scénic. Le lieutenant
Berthier ne comprend rien à la pièce qui se joue.
– Le vieux mâle défend
son territoire. Qu'est-ce qui lui prend ?
– Il a ses ragnagnas. Jeannot va m'en chier une pendule !
Quand Jacques Collin reconnaît la BMW 530 grise de
Vérane qui roule dans l'allée du parc, alors que le visiteur n'est
ni attendu ni annoncé, il réalise que quelque chose de grave vient
de se passer.
Dix minutes plus tard, il connaît l'alarmant échec
de Fourrier.
Incontinent, Vérane a droit à sa volée de cloches
au bronze tonnant carillonnée sur une douce pente herbue de
« ma petite vallée suisse » où, bien que la nuit
précédente les températures soient passées au-dessous de zéro, le
maître des lieux, chaudement couvert d'un long manteau en mouton
retourné, l'a contraint à s'exiler en costume deux pièces à l'écart
des oreilles de Louise-Marie.
– Mais, putain de merde ! Tu aurais pu y
penser au comptable !… Et le proc, il peut pas empêcher sa
sous-fifre de faire du zèle ?!
– Je n'ai pas le contrôle direct de Fuentès,
Monsieur. C'est votre ami Moran son… sa relation… Je n'ai aucun
moyen de pression.
Indéniablement, la voix du directeur adjoint
départemental de la police nationale tremble. Il a une trouille bleue, ce con. On fait rien de bon avec
des lopettes. Vautrin le dévisage, sans prendre la peine de
masquer le mépris qui lui distord les lèvres.
– Tu me chies dans les bottes, Thierry, tu me
chies dans les bottes.
– Je suis désolé. Je suis allé au-delà de
toutes limites, vous savez.
– Mais non ! Bensoussan, tu pouvais le
coller sur une autre mission ! C'était de ton ressort,
ça ! Lui foutre un emploi du temps qui le paralyse trente
heures sur vingt-quatre !
– Je ne pensais pas que…
– Ah ! tu penses pas, tu penses
pas ! Putain, ça se voit que tu penses pas ! T'as pas
besoin de le dire !
Je te pisse à la raie,
ordure ! Vérane ne parvient plus qu'à regarder le sol.
Une puissance non raisonnée, touchant à l'instinct de conservation,
éteint en lui jusqu'à la moindre velléité.
– Maintenant, tu vas voir ce qui va nous
dégringoler sur la gueule ! Je te parie que l'autre connasse
de négresse va pas tarder à se retrouver en charge de l'extension
du dossier, et on sera pas dans la merde !
Le réprimandé émet un soupir peiné. Sans aller
jusqu'à oser lever ses petits yeux étroits.
– C'est parce que je voudrais nous éviter
cela, et qu'il y a urgence à agir, que je suis venu. Pas pour te donner le plaisir de me traiter comme un
clébard. Il était impensable que je me confie à un
téléphone. Dambo doit impérativement être dessaisie. Je sais que
vous pouvez compter sur quelqu'un de très haut placé dont nul
n'ignore qu'il vous doit énormément, c'est vous qui l'avez fait ce
qu'il est. J'en fais trop
là !
Il risque un coup d'œil furtif vers les iris
marron foncé où flamboient des prunelles incendiaires.
Tendu, fermé, Collin torture la pointe de sa
barbe. C'est vrai qu'il me doit tout, le
grand. C'est peut-être l'heure de le lui rappeler.
– Dégage. T'es jamais venu ici. Y a des
années qu'on s'est pas parlé. Des années !
Vérane hoche la tête et s'éloigne sans un mot.
Compte là-dessus ! Si je plonge, je te
coule, fumier !
Vers 11 heures, Reine a soudain émergé de ses
angoisses religieuses pour se jeter dans une autre épouvante.
– Les obsèques ! Où on va mettre tous
mes morts ? T'as pensé à t'en occuper ?
– Pas pour l'instant… On n'a pas les
corps.
– Mais il faut le faire, il faut le
faire ! Occupe-t'en, bon Dieu !
Sa femme rejetant résolument tout enterrement au
rabais, Louis téléphone donc aux Pompes funèbres générales, le
leader français qui, deux mois plus tard, témoignage de son
dynamisme, va passer sous le contrôle du fonds d'investissement
américain Vestar Capital Partners.
Aussi, après le déjeuner, une demoiselle de noir
vêtu vient-elle se mettre à l'écoute du couple pour déterminer ses
besoins et les estimer.
D'un inventaire précis, enrichi de photos, qu'elle
a dressé : « Toilette mortuaire, soins de
conservation ; cercueil avec poignées, garniture étanche,
capiton, emblèmes religieux ou civil et plaque
d'identification ; convoi avec porteurs en tenue, assistant
pour l'ordonnancement de la cérémonie comprenant une table avec
registre à signatures, un corbillard, un ou des véhicules
d'accompagnement, avec personnalisation du service ;
coordination des moyens humains et logistiques internes et/ou
externes pour l'organisation des obsèques et l'accomplissement des
démarches ; inhumation, frais de sépulture, creusement d'une
fosse (200 × 100 cm) ou dépose et repose d'un
monument », il ressort que les devoirs rendus aux défunts
devraient coûter entre 2 191 et 11 676 euros par
personne, selon que l'on optera pour la standardisation ou la
qualité supérieure.
– Naturellement, ces coûts seront dégressifs
puisque certains postes, tels que la table avec registre à
signatures ou l'assistant ordonnateur, ne seront facturés qu'une
fois et non pas quatre. En revanche, ils n'incluent pas les autres
frais comme un éventuel salon funéraire, le transport dans une
autre commune, les avis dans la presse, les faire-part, les
offrandes au culte, les fleurs, les taxes et les vacations annexes…
Vous-mêmes et votre famille pourrez effectuer votre choix dans le
recueillement parmi une large collection d'articles funéraires
floraux et artistiques présentée à notre agence à des prix variant
de 9 à 1 000 euros. Vous imaginez la vaste gamme.
– Ah, j'imagine très bien.
Louis Dubreuil est atterré. Avec la folie des grandeurs de Reine, tout ça va nous
coûter au bas mot dans les 300 000 francs.
– Qu'est-ce que tu en penses,
Nanou ?
La consultée semble égarée.
– Où vous allez me le mettre, mon Lolo ?
Et mes petits bouts de chou ? Je veux que ce soit quelque
chose de beau, vous savez. Je ne veux pas qu'ils aillent dans la
terre comme des chiens.
La prévenante conseillère compatit.
– Je vous comprends parfaitement, madame.
Puisque vous n'avez pas de caveau, peut-être le moment est-il venu
d'en construire un…
Louis a la tête qui tourne.
Cernée de grillages renforcés et de béton
au-dessus desquels un ciel nuageux a élevé la température de la
veille, Valérie fait les cent pas. Une déambulation d'une heure –
une le matin, une l'après-midi –, qui s'appelle ici « la
promenade », accomplie sous les larges mailles irrégulières du
filet antiévasion aérienne. Mort de Joël… Et
de Dubreuil ! De sa femme, de ses enfants !
L'horreur ! Le traumatisme est si frais, si
dévastateur… Elle a dormi moins de deux heures cette nuit à cause
du bruit, des cris cauchemardesques, de la lumière qui s'est
allumée quatre fois dans la cellule quand la gardienne a fait sa
ronde.
Au lever, elle avait un mal terrible à l'arrière
du crâne. Il lui a fallu attendre une heure vingt-trois – montre en
main – l'aspirine qui l'a à peine soulagée. Elle a demandé à
être reçue par le directeur, un travailleur social et le médecin,
comme le Guide du détenu arrivant
affirme qu'elle en a le droit. Il lui a été répondu que compte tenu
des ponts des fêtes de fin d'année, de la surpopulation carcérale
et du manque d'effectifs, « faudra être patiente ».
– Mais je dois les voir dans les vingt-quatre
heures ! C'est la loi, bon sang !
– Si vous l'aviez respectée, la loi, vous
seriez pas ici !
– Qu'est-ce que vous faites de ma présomption
d'innocence ?!
La surveillante, une grande quinqua fringante,
carrée et droite comme un i, n'a pu se
retenir de pouffer.
Valérie est épuisée, et le mauvais café du matin
ne l'a pas remontée. Elle ne parvient pas à communiquer avec les
femmes de tous âges qui vont et viennent sans but comme elle. Pour
décrocher son esprit de ses tourments devenus obsessionnels, elle
se force à pratiquer l'étude de ce qu'elle voit et subit. Elle
s'est persuadée que cette activité cérébrale la sauverait de la
dégénérescence, tant physique qu'intellectuelle, qu'elle redoute.
Un travail qu'elle connaît, l'étude ! Fichu boulot qui lui
vaut d'être ici ! J'ai lu quelque part
que cette prison est du type linéaire offrant les conditions de
sécurité maximales pour un coût de maintenance minimal. Très facile
à surveiller. C'est le modèle de Sing-Sing, le seul moyen d'évasion
est le suicide… Les murs d'enceinte font combien ? Douze,
quinze mètres de haut ? Et le mirador ? Trois sur
trois ? Non, plutôt deux quatre-vingts au carré… Je le voyais
pas comme ça, je l'imaginais plus « camp de
concentration »… Il a son frère jumeau à l'autre angle, même
béton, même grisaille, même projecteur halogène, même caméra, mêmes
vitres réfléchissantes pour voir sans être vu, même toit blanc sale
en pente légère, comme pour leur donner un air de fête qu'ils n'ont
pas. Je les imaginais plus haut perchés, moins cubiques, pas juste
plantés en débord des angles de l'enceinte… Les trois quarts des
promeneuses ont moins de quarante ans… Y en a moins que je croyais.
Combien on est ? Vingt-cinq, vingt-sept ?… Six ne sont
sûrement pas majeures. Non, plutôt cinq… Légalement, elles ne
devraient pas être mêlées aux adultes… Y en a qui ont l'air
complètement camées, elles chancellent d'avant en arrière, c'est
impressionnant… On dirait qu'elles n'ont pas toute leur tête… Je me
rappelle, dans son article de L'Express, Delphine Saubaber disait que 30 % des détenus
français souffrent de troubles mentaux. Elle parlait d'un type
qu'on gardait nu parce qu'il mangeait ses vêtements, et d'un autre
qui griffait l'acier de sa porte… À peu près un quart sont
étrangères ; pour la plupart, leur seul crime est d'être
dépourvues de papiers. Depuis combien de temps sont-elles là toutes
ces femmes ? Et, immanquablement, sa tentative de
diversion la ramène aux rivages qu'elle veut fuir. Combien sont aussi coupables que moi ? D'après les
statistiques, 3 % des prévenus, qui représentent 35 % de
la population carcérale, sont innocentés après des mois de
prison ! 3 % ! T'imagines ? Ça veut dire que
sur les 59 000 personnes incarcérées actuellement en France,
environ 20 000 sont présumées innocentes, et près de 600 le
sont vraiment ! 600 ! C'est énorme ! De l'erreur
judiciaire au quotidien ! Et, en plus, selon les mêmes sources
officielles, pour couper court aux revendications de dédommagements
et par solidarité entre les juges, beaucoup d'autres prisonniers
sont condamnés à une peine couvrant comme par hasard la durée de
leur préventive ! Dégueulasse ! Quel sabotage de la vie
d'autrui ! Je te promets que je les ferai payer à la
sortie !… Est-ce que tu sortiras ? T'es optimiste… Carole
Aubertin dit qu'y a une chance avec son fameux référé-liberté.
Elles sont odieuses, toutes leurs subtilités chicaneuses… Est-ce
qu'elle a pu joindre papa ? J'espère que la juge l'autorisera
à me voir pour qu'il m'apporte des vêtements propres, j'ai
l'impression de sentir mauvais dans ces fringues… Pourvu qu'il
oublie pas mes tampons. Ça me fait drôle de lui demander ça. Ça va
devenir urgent. Il a dû être autant gêné que moi… À moins que ça
l'ait amusé… Faut aussi que je change de culotte. Je ne vais pas en
réclamer une à l'administration. Si ça se trouve, ils n'en ont même
pas, tout est si minable, si défraîchi, si sale, ils ont l'air si
fauchés… Si papa ne vient pas, je demanderai qu'ils m'en achètent
une. Non ! Plusieurs ! De quoi ça aura l'air ?! Et y
aura pas que ça, il me faut un vrai trousseau… Papa viendra…
Pourquoi je compte sur lui ? J'ai été si distante, ces
dernières années ! Même l'autre soir ! Je l'ai planté
sans la moindre explication. Il a dû être très contrarié. Je suis
une mauvaise fille… Sûrement parce qu'il n'a pas été un père à la
hauteur… Est-ce qu'un parent qui vit une passion peut être un
parent à la hauteur ?… Pourquoi je ne compte plus du tout sur
Hugo ? Il a été si absent. Peut-être que je suis injuste. Il a
un emploi du temps serré… J'ai une nature injuste. Faudra que je
change quand je sortirai. Errant, l'esprit en déroute, elle
est brutalement heurtée dans le dos. Une poussée qui la propulse
contre le mur de l'immeuble. Elle veut faire face mais une bourrade
l'en empêche.
– Tu vois, ça t'a servi à rien de jouer les
Jeanne d'Arc. Si tu tiens à sauver ta peau, reste dans ton trou. Si
tu ouvres ta gueule, on l'éclate.
Moran m'a appelée la
Pucelle ! Une forte tape à l'arrière du crâne lui
envoie le front et le nez cogner durement le mur. Le choc lui
emplit la cervelle d'étoiles. Elle ne perd pas entièrement
conscience, mais juste assez pour que, quand elle parvient enfin à
se retourner, son assaillante ait disparu.
Dans la cour, les mises à l'écart de la société
vont et viennent.
Impossible de mettre un visage sur la voix
gutturale qui a parlé vite, se hâtant pour ne pas être repérée. À
l'évidence, les gardiennes n'ont rien remarqué d'anormal.
Ils ont des alliés jusque dans ce rebut du
monde !… Je suis idiote ! Puisque la corruption règne en
maîtresse à l'extérieur, par quel miracle serait-elle absente
ici ? Elle coule un regard torve sur l'ensemble des
« promeneuses », dont aucune ne s'intéresse à son nez
d'où s'écoule un filet de sang. Combien
d'entre elles sont vendues à Moran ? Combien sont prêtes à me
tuer ?