6
Anita Dubreuil est arrivée à l'hôtel de police très énervée. La nuit blanche, qu'elle a passée à guetter vainement la sonnerie du téléphone, et une prise de bec avec le chef de clinique pour obtenir l'autorisation de s'éclipser durant la matinée, n'ont guère remis d'ordre dans son esprit.
Malgré toute sa bonne volonté de garder espoir, elle ne parvient plus à imaginer Laurent que mort. Si Moran l'a fait taire définitivement, en me taisant aussi, je fais son jeu. La police a les moyens de nous protéger les enfants et moi, encore faut-il qu'elle soit informée. Je dois tout dire. Autrement, je fais comme ces parents d'enfants kidnappés qui se taisent, paient la rançon et finissent par perdre et leur enfant et leur argent… Mon Dieu, pourvu que Moran ne fasse pas enlever Nico ou Noémie ! Faut que je le dise aux policiers.
Ses interlocuteurs de la veille, quand elle était venue leur faire part de ses inquiétudes dont ils avaient souri, l'ont immédiatement reconnue : la jeune adjointe de sécurité, le brigadier grisonnant au pinceau de poils sous la lèvre inférieure. Ils s'emploient à tenter de lui faire recouvrer un peu de sérénité. La fliquette aux yeux ronds sourit.
– Vous savez, madame, une séparation soudaine peut provoquer ce genre de réaction…
– Quel « genre de réaction » ?
– Eh bien, l'anxiété galopante qui se transforme en agressivité.
Le chef confirme.
– Oui, ça permet de se déculpabiliser.
– Je suis agressive, moi ?!
– Un petit peu…
– Et je chercherais à me déculpabiliser de quoi, bazar ?!
Le policier se fait débonnaire.
– C'est un réflexe connu de rejeter sa responsabilité personnelle en cas de fugue du partenaire…
Anita explose.
– Mais quelle responsabilité ?! De quoi vous me parlez ? C'est vous qui êtes des irresponsables ! Je vous dis que je veux porter plainte ! Et, depuis hier, vous jouez aux psychologues de téléréalité, parce que vous les avez à la retourne et qu'enregistrer une plainte vous casse les pieds ! je veux déposer plainte ! c'est clair ? Hier matin, j'ai surpris un cambrioleur dans ma maison ! Il m'a menacée ! Il a menacé mes enfants ! Il a détruit et emporté divers documents à mon mari très importants ! Et mon mari n'a pas reparu depuis ! Alors, vous arrêtez de jouer les docteur Freud – de toute façon, vous avez pas la vraie barbe – et vous enregistrez ma plainte ! Je me suis fait comprendre ?
Le brigadier rit, gouailleur.
– Vous m'aviez pas dit tout ça, hier… le cambrioleur, le vol, les menaces… Si c'est vrai, ça change beaucoup de choses.
– « Si c'est vrai » ! Parce que vous ne me croyez pas ?!
Il a un haut-le-corps bon enfant.
– Qui dit ça ?
Tandis que sa jeune collègue se consacre à un nouvel arrivant dont on vient de voler la voiture, il déborde de prévenance, affable à l'extrême, comme s'il parlait à une grande malade.
– Vous allez passer dans la petite pièce à côté, là, derrière la claustra couleur bois de poirier… Ça apaise… C'est un lieu agréable… Vous vous asseyez… Vous aspirez à fond…
– Arrêtez de me parler sur ce ton, je… je vais péter les plombs.
– Ne vous fâchez pas. Comme, d'après ce que vous me dites, il risque d'y avoir mort d'homme, pour enregistrer votre plainte, j'appelle un officier… Vous allez voir, tout va bien se passer… Venez.
Faut que je me calme, il est peut-être sincère.
– Venez.


Siméon Bensoussan est plongé dans la lecture d'un rapport d'expert financier consacré aux pratiques d'un courtier en assurances d'Ambarès qui aurait escroqué plus d'un millier de clients.
Le lieutenant Gaétan Berthier entrebâille la porte et y glisse la tête, en tordant le nez.
– Les empreintes de Richard Ridouet, relevées sur les blisters saisis hier à la banque, sont inconnues du fichier central. Ce type est bidon, il n'a aucune existence nulle part : EDF, sécu, impôts, Banque de France, Internet, télécoms, on a dépiauté toute la gamme. Que dalle.
Et il disparaît.
Bensoussan malmène sa barbe. Empreintes non répertoriées, ça désignerait un néophyte caché sous un faux nom… Un débutant qui aurait les moyens de mettre sur pied une infrastructure pareille, ça cadre pas, y a obligatoirement une forte logistique derrière… Si les infos données par Valérie Lataste à Fargeat-Touret sont véridiques, Ridouet pourrait être un homme à Moran… Mais Moran tout seul, les fausses pièces, les faux bons, il a pas les compétences, il lui a fallu du renfort… On en revient toujours à Vérane… Il n'a pas les compétences, lui non plus. En revanche, il pourrait réunir une équipe tout à fait apte, nos fichiers lui en donnent les moyens… Distraitement, il a pris un stylo et dessiné un embryon d'organigramme fait de bulles et de liens. Dans la bulle du haut, il a écrit moran ; dans celle du dessous : vérane… Encore au-dessous, il encercle : ridouet. Vérane ne risquerait pas sa chère carrière sur un coup aussi foireux sans une bonne raison… Qu'est-ce qu'il fabriquerait dans cette galère ?… Il ferait pas ça pour s'enrichir, y a pas un rond à gagner. Et pourtant, Vérane n'est pas le type à se bouger pour rien… N'empêche que, sans son intervention, je n'aurais pas perquisitionné à la BGD ; son soi-disant tuyau, la 605 volée et bourrée d'indices bidonnés, qui ressemble de plus en plus à un piège à cons, a été le déclencheur… En quoi cette perquisition en flag sert-elle les intérêts de Moran, puisque ses comptes ont été préventivement rendus anodins par un sabotage extérieur… Et puis, en quoi Vérane serait-il redevable d'un service à Moran ? Ça ne tient pas debout… N'empêche que Vérane est l'étincelle qui a flanqué le feu à la mèche lente… Et c'est encore lui qui ce matin m'a appelé pour me demander d'aller cueillir Lataste chez Fargeat… Sous prétexte d'infos de première main dont il ne peut rien dire, il se sert de moi. Il faut forcément qu'il ait une bonne raison… Je ne vais quand même pas demander au service d'enquêter sur le directeur adjoint, ça la foutrait mal ! Il renifle fortement et se racle la gorge… C'est pas à Moran qu'il rend service, c'est à quelqu'un d'autre… Quelqu'un à qui il ne peut rien refuser… Quelqu'un qui veut quoi ?… Uniquement aider Moran ? Toute cette énorme mise en œuvre que pour ça ?… Quelqu'un de très puissant qui pourrait actionner Vérane et sur qui Moran aurait un moyen de pression.
Au milieu de l'organigramme, au-dessous de la première bulle contenant le nom de Moran, le gel noir du roller Waterman en intercale une, avant celle abritant Vérane, où il loge un gros point d'interrogation.
Songeur, il considère son tableau et allume une cigarette.


Anita Dubreuil achève de déposer sa plainte contre X, recueillie par le jeune lieutenant Nguyên Tan Phat – sorti l'été précédent de la toute nouvelle école de police de Noisy-le-Grand –, qui s'est montré avec elle d'une patience exemplaire en l'écoutant détailler ses certitudes et ses suppositions. L'officier dont elle a remarqué les traits délicats et apprécié la douceur commence juste à lui relire les éléments qu'il a notés quand le portable de la plaignante carillonne. Laurent ! Elle ouvre précipitamment l'appareil et ses yeux bruns chavirent de l'espérance à la déception crispée.
– C'est ma belle-mère. Je serai brève. Vous permettez ?
– Je vous en prie.
Anita prend la ligne.
– Bonjour, mamie.
– Bonjour, ma chérie. Je cherche à joindre Laurent depuis hier. J'ai laissé plusieurs messages sur son portable, il ne rappelle pas. Il n'a pas de problème, au moins…
– Non. Je crois qu'il n'a plus de problème. Celui qu'il avait, la mise en demeure de rembourser son découvert bancaire, il vous en a parlé, vous n'avez rien pu faire… Si, pardon, vous avez prié !
– C'est pour ça qu'il ne prend pas la communication ? Il me fait la tête ?
– Excusez-moi, mamie, je suis occupée…
– Je me doutais bien que je vous dérangerais ! C'est pour ça que je n'ai pas appelé plus tôt. Louis me disait de ne pas le faire.
– Papy est toujours de bon conseil.
– Vous êtes charmante.
– Non, indisponible. Bisous.
Elle replie le module.
Nguyên Tan Phat reprend sa lecture : absence inexpliquée du mari, cambriolage du domicile, destruction de fichiers, vol de documents, de disquettes et CD de sauvegarde, description sommaire de l'intrus surpris par Anita.
– Un quinqua trapu poivre et sel à l'air vicieux qui portait des gants de latex, je les ai remarqués quand il m'a agrippé la gorge d'une seule main, en disant : « Vous n'avez rien vu, madame Dubreuil ! Je n'existe pas ! Sans ça, je m'occupe de Noémie et Nicolas. Si j'avais des ennuis, mes amis agiraient pour moi. Je suis clair ? » Sûr, qu'il était clair. J'ai eu une de ces peurs !
Elle a ajouté le numéro du Renault Master EDF-GDF dans lequel le voleur a pris la fuite, mais jamais Anita n'a nommé Jean-Denis Moran. Après tout, je ne suis sûre de rien à ce sujet, je ne peux pas m'embarquer dans une dénonciation qui me vaudra des représailles. Et puis si les flics se mettent à enquêter sur les chantiers de Laurent pour Moran, on n'en aura pas fini avec les ennuis. L'essentiel est qu'ils le retrouvent ; le reste n'a pas d'importance, on se débrouillera toujours.
Elle signe.
– Vous me promettez de transmettre ma plainte au procureur en insistant sur le côté absolument inhabituel du silence de Laurent…
– Mieux que ça, madame, je vais faire inscrire immédiatement votre mari au fichier des personnes recherchées. Étant donné que, eu égard à la conjoncture, sa disparition présente un caractère inquiétant, en alertant mon chef de service, je vais recommander qu'il soit procédé le plus tôt possible aux investigations susceptibles de le retrouver.
Anita sourit.
– Il est adorable ! Je l'embrasserais ! Comment comptez-vous nous protéger, mes enfants et moi ?
– Je vais évoquer la question avec mon chef. Dans l'immédiat, hormis vous et moi, personne ne sait que vous avez enfreint l'ordre de votre agresseur, il n'y a donc pas de danger immédiat.
– Vous avez raison.
– Quand nous l'aurons identifié, nous agirons en conséquence. Du moins je l'espère.
– J'ai bien fait de vous parler. J'ai l'impression de respirer mieux.


À l'heure du déjeuner, parcourant les bureaux voisins – où sonnent, de-ci de-là, les appels au parquet –, Hugo est étonné de les trouver vides, ces commensaux traditionnels ne l'ont pas attendu. Ils ne partent jamais si tôt. Ils m'évitent ! Pas croyable !
Passant devant le bureau de Gautier Bideault, en charge du dossier de la BGD, il entre. Le procureur adjoint, un quadra mûrissant au physique de poids coq au teint jaune et au verbe fort, plongé dans les cotes d'un dossier pléthorique, relève le nez et lui décoche un regard qu'il jurerait, sur l'instant, moqueur.
– Je peux te parler de la tentative d'escroquerie de…
– Celle où ta copine est mal barrée ?
– Je vois que les mauvaises nouvelles circulent vite.
– Nous sommes une grande famille, tout se sait dans notre maison, comme dit notre vénéré patron.
– C'est Fuentès qui t'a raconté ?
Bideault rit.
– J'ai oublié ! Ta question est indiscrète.
– À croire qu'ils font un concours avec le proc, à celui qui rira le plus fort. Je peux t'en parler ?
– Pas maintenant, tu veux. Je suis overbooké. Je t'appelle dès que j'ai cinq minutes.
– Salaud. D'accord.
Il se retire en refermant la porte. Ils m'ont coupé l'appétit, les hyènes. Il regagne son cabinet. Il s'immerge dans le cas « Beautiran », un clan où on vole de père en fils, depuis l'entre-deux-guerres. Demain, il doit requérir contre le benjamin dont, l'an dernier, il a fait condamner l'oncle.
Son téléphone fixe tintinnabule : la gendarmerie de Saint-André-de-Cubzac réclame la prolongation de la garde à vue d'un receleur de pièces d'autos et motos.
Trois quatre phrases échangées ; vingt-quatre heures d'une vie se jouent.
Accordé.


Contrairement à ce qu'il a dit, Gautier Bideault ne tarde pas à réagir. Je ne vais pas m'encombrer avec son bâton merdeux. Y a plus de coups à recevoir qu'à donner dans son histoire de cul. Pas question de l'entendre et qu'il me prenne la tête. Il ferait pareil s'il était à ma place. Il appelle Siméon Bensoussan.
– Commissaire ? Du nouveau pour Valérie Lataste ?
– Rien de mieux que ce que je vous ai livré.
– Bon. Je la renvoie devant le juge d'instruction.
– Déjà ! Vachement pressé de se laver les mains !
– L'affaire est complexe. Il y a manifestement des complicités. Elles seront difficiles à établir. La comparution immédiate est exclue, il faut ouvrir une information. Je rédige un réquisitoire introductif.
– Dans la journée ? Pour rire !
– Je vais voir. Je vais essayer. Au besoin, je déciderai d'un renouvellement de vingt-quatre heures de la GAV.
– Tellement plus facile ! Parfait.
Ils raccrochent.


Bensoussan se lève et vient à la vaste baie d'où il a une vue panoramique sur le cimetière de la Chartreuse. Qui dira que la justice française est lente ?… Qu'est-ce que ça cache ?… Ou Fargeat-Touret et Bideault sont de mèche, ou Bideault tire dans les pattes de son confrère… Non. S'ils étaient d'accord, le réquisitoire introductif serait rédigé dare-dare ; au besoin, Fargeat donnerait un coup de main à son pote pour obtenir la libération de sa copine. Il soupire. Dire que je suis devenu flic parce que je voulais résoudre des énigmes insolubles. Je n'ai rencontré que des minus qui se prennent pour des lions sous prétexte qu'ils s'entre-dévorent. Les rats aussi s'entre-dévorent !… On ne devrait pas laisser les enfants lire des polars… J'en suis exactement là où Vérane a voulu m'amener… Dans quel but ?… Au fait, j'ai pas revu Fourrier, qu'est-ce qu'il glande ? Il revient à son bureau, décroche et pianote un numéro intérieur.
L'esquimau prend la ligne aussitôt.
– Je vous avais demandé un palmarès complet de Moran…
– C'est fait. C'est un digest. Deux excès de vitesse, un stationnement interdit…
– Vous vous foutez de moi !
– Non ! Je vous promets, on a que dalle. Tu ne dois rien savoir. Les RG le rangent dans la catégorie « toujours du côté du manche », et les mœurs l'ont eu à l'œil pour des rumeurs de soirées peu habillées. T'en sauras pas plus. Il semble que ça a eu lieu en cercle privé, entre adultes consentants ; ils n'ont jamais pu vérifier quoi que ce soit. Pas de plaintes. Elles ont toujours été classées sans suite. Quelques anicroches épisodiques dans son job, pour lesquelles la presse locale aime bien le chambrer ; une en ce moment en bord de Garonne… Des malfaçons, une manif de proprios mécontents, des broutilles, rien qui puisse nous concerner… Et Jeannot Gourdon dit que rien ne doit nous concerner ! Ils en ont de bonnes ! J'ai jeté un coup d'œil sur sa compta Internet, ses bilans sont déposés, tout est clean… T'es trop feignant pour aller farfouiller toi-même. Il sous-traite, effectivement. Il a beaucoup moins de salariés aujourd'hui qu'avant. À la lecture, y a pas un indice qui permette de suspecter un racket. Surtout si on cherche pas à savoir.
– Et la liste des petits camarades de Gourdon, qu'est-ce que ça donne ?
– Je suis désolé, patron. Ils me font passer pour un gros nul ! Je l'ai paumée.
– Ah ! putain de merde !
– Font chier ! Je m'en veux.
– Voyez avec Fargeat-Touret s'il a un double. Tenez-moi au courant.


Les policiers du nouvel hôtel de police de Mériadeck n'apprécient guère la cafétéria, flambant neuve, du rez-de-chaussée, gérée par une société privée. Tarifs trop élevés. Ils préféraient de beaucoup le restaurant interministériel associatif de la paisible rue Thiac, jadis saturée de chapelles. Ils y payaient 1 euro de moins et y avaient leurs habitudes quand ils œuvraient dans l'antre noir de Castéja. On murmure que, faute de clients – moins de 100 au lieu des 200 attendus –, le self pourrait fermer dès la rentrée prochaine.
Le lieutenant Nguyên Tan Phat, qui n'a pas connu l'ancienne formule, ne peut faire la comparaison, mais peu fortuné et solidaire du boycott de ses collègues, il pique-nique sur son plan de travail. Ce midi : rillettes et gruyère.
On espère que la mise en quarantaine évincera la pitance capitaliste au profit d'une renaissance de la bonne vieille cuisine collectiviste.
Kévin allait passer au fromage ; son portable l'interrompt.
Les immatriculations. Une Bretonne dodue et rigolarde, qui pourrait être sa mère, dont il a mal retenu le nom.
– Le numéro du Renault Master que tu nous as refilé est celui d'un soum de la maison.
Il culbute au bord de l'étranglement.
– Quoi ?!
– Un sous-marin, un faux-taxi !
J'ai bien compris ! La toux l'empêche de répliquer.
– Faut capter, mon grand. Un fourgon banalisé où on se planque pour surveiller les mauvais citoyens. Ils manquent pas d'humour, ceux qui ont bricolé celui-là. Parce que, dans notre jargon, on appelle ça, aussi, un faux-master. Et ce bahut, c'en est un vrai… Master… Hé, ho, réveille-toi ! Tu nous as fait une syncope ?
– Non, non.
– Ah bon, parce qu'une fois, mon beau-frère, en buvant de l'eau, il a avalé de traviole et il est tombé dans les pommes.
– Et alors ?
– Ma sœur lui a filé des tartes !… Avec les pommes, ça s'impose !
Elle rit à perdre haleine.
– Très drôle… Ce soum, vous pouvez savoir qui l'occupait hier, entre 7 et 9 heures du matin ?
– Ah ! ça, c'est pas mon rayon ! Vois avec l'équipement. Bon app' !


N'ayant pu, malgré une dizaine de tentatives, joindre Joël Ardinaud au téléphone, maître Carole Aubertin, qui connaît ses penchants alcooliques, a décidé d'aller résidence Les Amures tambouriner à sa porte entre midi et deux.
Elle a d'abord été troublée de découvrir l'ascenseur des étages pairs interdit d'accès par des scellés de la police. Y a dû avoir un accident… Elle a donc pris l'ascenseur impair. Ardinaud !… Arrête ! Tu divagues !
En trouvant, au quatorzième, la porte qui l'intéresse elle-même placée sous scellés, elle a un creux à l'estomac, comme une brutale extraction de matières par une pompe aspirante. C'est pas vrai !
En quête d'informations, elle sonne à droite… Personne… En face, une voix âgée refuse d'ouvrir. À la troisième tentative, un colosse africain lui confirme le drame qu'elle pressent.
– Cet ascenseur, il tombe en panne tous les huit jours. Sans compter les dealers qui bricolent les portes pour planquer leur merde. Ça devait arriver ! Je l'avais dit ! Quand on voit que ce genre de chose se produit ici ou là, je l'avais dit ! Ça devait arriver ! Mais pourquoi Joël, y a que Dieu qui sait. Il était gentil, l'aurait pas fait de mal à une mouche. Y a encore une demi-heure, l'immeuble était plein de flics. Il était temps que la société s'occupe de lui. Elle l'a laissé crever au chômage, la société. Même sa meuf qui l'avait plaqué. Si vous voulez le voir, ils l'ont emmené à la morgue.
Carole Aubertin préfère redescendre par l'escalier. Accident, mon œil. Trop gros pour être une coïncidence. Sur son répertoire, elle cherche le numéro de Bensoussan.