Je me souviens de ma stupéfaction devant la terre rouge d’Afrique – et son grand ciel de criquets.

 

Je me suis senti chez moi. Étranger à tout mais sur une terre qui me faisait du bien.

 

J’ai su que je ne la quitterais plus, que je ne reviendrais jamais. J’ai su que je voulais désormais la couvrir de mes pas. J’ai commencé par l’Ouest et puis je me suis avancé dans les terres et l’air devenait plus sauvage. Le bruit des bateaux s’éloignait, le cri des marchands s’estompait. Je plongeai dans l’Afrique avec le ravissement de l’aveugle qui découvre les couleurs.

 

J’ai commencé par vendre du bois. J’avais rencontré un Italien du nom de Scamponi qui était installé là depuis des années. Il m’a initié. Il vendait de tout : bois, tabac, peaux de fauves. Pendant longtemps je l’ai suivi. J’aimais ça. Le commerce. Pas pour les marchandises que je vendais. Ce pouvait être n’importe quoi, café, bananes, bijoux, je m’en moquais. Non, j’ai aimé le commerce. Les regards qui s’échangent, l’argent qui passe d’une main à l’autre. J’ai aimé ça. Des hommes sortaient de nulle part et nous avions à faire ensemble, le temps d’une poignée de main. Je vendais des tissus, des pierres précieuses, du caoutchouc, puis chacun repartait à sa vie. Évanouis.

 

Une longue succession de rencontres et d’évanouissements, de rencontres et d’évanouissements, sous le regard silencieux des perroquets sauvages.

 

Après un an, j’ai quitté Scamponi. Je voulais être seul et plonger plus profond dans cette vie. J’ai changé de pays. J’ai changé de nom parfois. J’ai commencé mes trafics, avec bonheur. J’ai vendu des armes, des fusils français, des pistolets italiens. J’étais un maillon de cette longue chaîne secrète. J’ai vendu du khat à l’occasion, parce que je connaissais un Somalien qui pouvait m’en procurer et les Français, dans les bordels, étaient friands de cette drogue qui chasse le sommeil.

 

J’ai vécu des années dans ce grand continent sur les chemins du trafic et j’étais bien. J’allais d’un point à un autre, des villages nègres aux comptoirs français, de la brousse aux ports. Je m’oubliais et cela m’enivrait. La marchandise imposait sa règle : la trouver, la payer, la transporter, la vendre, la cacher parfois. Elle m’occupait tout entier.

 

Après deux ans, j’étais devenu plus efficace que ne l’avait été Scamponi. Je ne sais pas pourquoi, je me suis arrêté sur les bords du fleuve Niger. Sa lenteur animale me faisait du bien. Je me suis arrêté mais je ne pensais pas que j’épouserais à ce point ces paysages de calme et de noblesse.