Sur la porte, il y avait un doigt, cloué au bois, un doigt noir, encore saignant, accroché là, comme un porte-malheur. Comment était-ce possible ? Nous restâmes stupéfaits. Les mêmes questions tournaient dans notre esprit sans que nous ayons besoin d’échanger un mot. Pourquoi s’était-il coupé un doigt ? Était-il armé ? Où avait-il trouvé ce clou ? Que voulait-il ? Pendant longtemps nous restâmes face à cette énigme puis, enfin, nous retrouvâmes nos esprits et prévînmes les autres. Les troupes furent regroupées, les torches rallumées. On refit une battue, puis une autre : rien. Un médecin examina le doigt et fut formel : il s’agissait de l’auriculaire de la main gauche. Le fugitif essayait peut-être de nous faire peur. Il ne fallait pas se laisser impressionner. Mais malgré ce que nous essayions de nous dire pour nous rassurer, chacun de nous était terrifié par ce doigt amputé.

 

Les jours suivants, la chasse reprit. Les gardes avaient maintenant l’habitude mais rien, sinon le vent, ne vint déranger le calme de nos rues endormies.

 

Les autorités de la ville finirent par décréter une fouille systématique de tous les souterrains. Nous y passâmes des heures, découvrant des boyaux où nul d’entre nous n’était jamais allé. Nous marchions avec la pénible certitude que cela ne servait à rien et que ce n’était pas ici que nous le trouverions. Le soir, lorsque nous remontâmes bredouilles de notre expédition souterraine, la ville était à nouveau dans une excitation inhabituelle. On venait de retrouver un autre doigt cloué, comme le premier, sur une porte. Un index, d’après le médecin.

Le plus extraordinaire, ce qui fit véritablement frissonner les badauds, c’est que le doigt avait été cloué sur les battants de la porte de l’hôtel particulier de l’armateur. Celui-là même qui avait affrété notre bateau. Comment le nègre avait-il su ? Les rumeurs coururent en tous sens. La panique saisit véritablement la ville lorsque le soir même, la fille de l’armateur – une gamine de huit ans – fut écrasée par une calèche. Personne ne put s’empêcher de faire le lien entre les deux événements. Le doigt avait appelé le malheur. Le ciel, désormais, nous regardait avec menace, parce que nous lui faisions horreur.