Nous cherchâmes partout, scrutant chaque mètre de ces rues obscures où les chats affolés nous faisaient sursauter. Nous fouillâmes chaque cave. Des hommes descendaient dans les souterrains qui allaient jusqu’au port. La lueur de leurs torches faisait danser les flaques d’eau croupissantes. D’autres montaient sur les toits de la ville. Une vraie battue, lente et systématique. Nous ne ménageâmes pas notre peine. Mais rien : pas d’autre bruit que celui de notre propre agitation, pas d’autre silhouette que celles de nos corps qui s’épuisaient à fouiller les entrailles de la ville.

 

Au petit matin, la plupart des hommes rentrèrent chez eux. Nous, non. Il ne fallait laisser au fugitif aucun répit. Une nouvelle idée était née en moi. Crombec, sur mon ordre, fit descendre dix nègres du navire. À chacun d’entre eux, il passa une épaisse chaîne autour du cou. Nous prîmes chacun le nôtre, comme un chien que l’on va promener, et nous nous dispersâmes dans la ville. Le son des chaînes sur le pavé annonçait à tous notre arrivée. Nous, nous ne faisions que marcher, l’esclave, lui, devait appeler sans cesse le fugitif, lui répéter qu’il valait mieux se rendre, qu’il ne lui serait pas fait de mal, que c’était fini, qu’il ne pourrait pas aller bien loin…

 

À la fin de la journée, nous étions toujours bredouilles. Les autorités de la ville me convoquèrent. J’essayai de leur démontrer que le fugitif ne pouvait être que mort : il avait dû se terrer dans un coin, les chiens le retrouveraient lorsqu’il se mettrait à sentir. Ils ne me crurent pas et décidèrent d’établir une garde de nuit, pour être certains que le fugitif, s’il vivait, ne puisse pas créer d’incident.

 

Nous prîmes notre tour de garde pour cette deuxième nuit de traque, comme sur un navire, les uns après les autres, patrouillant mollement sur la place de la cathédrale ou le long des murailles. Nous étions persuadés que tout était fini. Je passai la nuit à laisser défiler en mon esprit les images de la chasse de la veille : tous ces hommes au visage défiguré par tant d’excitation.

 

Ce fut là, au milieu de cette seconde nuit d’attente, que j’entendis le cri de Kermarec. Près de la porte Saint-Pierre. Il appelait avec force. Je courus dans sa direction, persuadé qu’il allait falloir se battre mais, dès que j’aperçus Kermarec, dès que je le vis, pâle comme un linge, les lèvres entrouvertes, me désignant de la main la porte d’une maison, je sentis que le nègre n’était pas mort et que c’était à son tour de jouer avec nous.