Lorsque nous arrivâmes sur le quai, c’était un capharnaüm inimaginable : les badauds se mêlaient aux marins, des enfants, mi-effrayés, mi-excités, couraient en tous sens. Les nègres, eux, sans que l’on sache comment, avaient réussi à ouvrir la trappe de la cale et s’étaient précipités sur le pont. Quelques marins des navires voisins, voyant cela, s’étaient immédiatement chargés de les empêcher d’aller plus loin. Un désordre confus s’était ensuivi. Des coups avaient été échangés. On cria. On frappa. Les nègres, encerclés de toute part, repoussés sur le pont du navire, devinrent fous et tentèrent de sauter sur le quai, comme des hommes qui sautent dans le vide. C’est à cet instant que nous arrivâmes : juste à temps pour éviter qu’ils ne parviennent à se répandre dans le port comme une volée de sauterelles.

Aujourd’hui que j’y repense, leur désir de quitter le pont du navire me semble absurde. J’en sourirais presque. Où comptaient-ils aller ? S’imaginaient-ils vraiment pouvoir disparaître dans cette ville qu’ils ne connaissaient pas ? À moins qu’ils n’aient pas pensé à tout cela. À moins qu’il ne se soit agi que d’une sorte de réflexe de survie. Quitter ce navire. Simplement cela. Quitter ce bateau qui les menait en enfer. Quitter cette cale où ils vomissaient depuis des semaines les uns sur les autres. Descendre. Courir droit devant eux. C’est cela, sûrement, qui les a portés. Mettre le plus de distance entre eux et le bateau. Rien de plus.

 

À notre arrivée, nous nous armâmes de mousquetons. J’abattis aussitôt le premier nègre qui se présenta. Il alla rouler au milieu des autres, le poitrail ouvert. Cela ramena le calme. Plus personne ne bougea pendant quelques secondes. Nous profitâmes de ce moment de stupéfaction pour remonter à bord, en poussant de grands cris et en rouant de coups tous les corps que nous pouvions atteindre. Tout fut réglé assez vite.

 

J’étais soulagé. La fuite avait été endiguée. Le pire était évité. Je ne perdais pas la face vis-à-vis des autorités de la ville. Avec un peu de chance, même, on louerait la célérité et la poigne avec lesquelles j’avais réglé tout cela.