Il descend les escaliers avec précaution, pas à pas, ménageant ses forces, évaluant le chemin qu’il lui reste à parcourir. Les ampoules du couloir sont cassées. Les lumières de l’extérieur, seules, éclairent la cage d’escalier, en faisant scintiller les marches de reflets de couleur.

Sa main de vieille femme s’agrippe à la rampe. Il s’arrête toutes les cinq ou six marches pour relever la tête, voir où il en est et reprendre son souffle. Ses jambes semblent à peine pouvoir le soutenir. Plongé dans le silence de la cage d’escalier, il entend parfois des bribes de conversations provenant des appartements adjacents : un bébé qui hurle, des convives en plein dîner, le vacarme d’une télévision. Derrière ces bruits familiers, il perçoit une rumeur sourde faite du fleuve des voitures et du pas mélangé des passants. C’est vers cela qu’il descend. Il a hâte d’y être. Alors seulement, il pourra relâcher son attention et allumer la cigarette qui pend à ses lèvres. Il a hâte. Mais pour l’heure, il doit se concentrer. Ne pas se presser, ne pas hâter son pas, ne pas risquer la chute. Son vieux corps ne s’en remettrait pas.

 

Il ne fait pas beau dehors. Et la journée touche à sa fin. Peu importe. L’obscurité ne tombe jamais tout à fait sur New York et il aime plus que tout, lui, la caresse des néons sur son visage. Il pleut quelques gouttes et le trottoir est parsemé de pauvres flaques sans profondeur. Il sourit car il a pensé à mettre son imperméable. Il sourit car il aime bien, lui, ce petit martèlement irrégulier qui lui baigne le visage.

La rue est vide, plus vide, bien entendu, qu’il ne l’avait espéré. À cause de la pluie probablement. Il fouille dans sa poche, en sort un petit briquet, allume la cigarette qui pend à ses lèvres et sourit. Il retrouve cette rue qu’il aime tant, sur laquelle il a tant écrit. Il retrouve cette rue qu’il a si souvent observée, assis sur un banc public, laissant défiler les heures et les mendiants.