26

Haywood appela du toit. « Y a quelqu'un qui approche. »

Lucas était allongé sur le lit de camp depuis une heure, à moitié enveloppé dans un sac de couchage dont il n'avait pas ouvert la fermeture Éclair, l'esprit trop préoccupé pour parvenir à dormir. Il rejeta le sac de couchage d'un coup de pied et empoigna la radio. « Qui approche? Qu'est-ce que vous racontez?

— Il y a un taré qui avance le long des rails, dans notre direction, en feintant de droite et de gauche comme s'il se croyait au Vietnam. Mais il vient par ici. Je vois son visage. Il regarde vers notre bâtiment.

— Ne le quittez pas des yeux. » Lucas se leva, appuya sur l'interrupteur de la réserve et enfila son pantalon. La radio grésilla de nouveau. Sloan demanda : « On y va?

— Peut-être. » Lucas appela le standard de la coordination. « Vous êtes prêts pour une opération bouclage de secteur?

— Oui. » Légère tension dans la voix du standardiste.

« Il se peut que je la déclenche, indiqua Lucas. À mon adresse. Faites immédiatement un appel préliminaire, que les gars soient prêts à partir, mais ne les envoyez pas encore.

— Compris. »

Ils couchaient dans la salle de réunions, Sloan sur un matelas gonflable qu'on avait poussé sous la table de conférences, Lucas près de la porte. Sloan se débattit dans l'obscurité avec son pantalon et sa chemise. « Qu'est-ce qui se passe? »

Lucas ajusta son étui à pistolet et expliqua : « Il y a quelqu'un qui se pointe. Hay le surveille. »

Haywood appela au même moment. « Il arrive par-derrière, les gars. Il se faufile très discrètement. J'ai l'impression qu'il se dirige vers le vieil entrepôt de chargement... Il y a un cadenas, non?

— Exact. Il va sans doute passer par le côté non éclairé. Il doit essayer d'atteindre les fenêtres, estima Lucas. Suis-le, dis-nous comment il progresse. On se branche.

— Je déteste ces saloperies », grommela Sloan en enfonçant l'écouteur radio couleur chair dans son oreille. Lucas eut des difficultés avec le sien. Il réussit enfin à le mettre en descendant l'escalier. « Tu contournes l'immeuble par la gauche, signala-t-il à Sloan. Moi, je prends à droite.

— Vas-y doucement, répondit Sloan en enlevant son oreillette et en désignant sa jambe.

— D'accord. » Lucas poussa une munition dans la chambre de son .45. Le grincement résonna sèchement dans l'entrée carrelée.

« Il se dirige vers les fenêtres », reprit Haywood. Sa voix retentit au centre du crâne de Lucas. « Ce type est bizarre. Il avance sur la pointe des pieds. Comme Gros-Minet s'approchant de Titi. »

Lucas secoua la tête. L'idée qu'il se faisait de Mail n'avait rien de drôle ni de ridicule. « On sort, murmura-t-il dans le micro. On va le coincer. »

Sloan courut du côté gauche, tandis que Lucas avançait doucement par la droite, arme levée, prêt à tirer. À l'angle du bâtiment, il attendit, à l'écoute. Trop de voitures et une voix qui flottait jusqu'à lui depuis le bar de drogués : Tu as vu ça ? Tu as vu ce qu'elle a fait? Recommence un peu...

« Il essaie de fracturer les fenêtres. Je suis juste au-dessus de lui. » Haywood parlait tout doucement dans son oreille. Sloan devait être prêt.

Lucas tourna au coin de l'immeuble. L'homme s'apprêtait à briser un angle de fenêtre en frappant avec une barre de fer, quand Lucas surgit et hurla : « Plus un geste ! »

Sloan, arrivant de l'autre côté, cria « Police ! » une seconde plus tard. Ils s'écartèrent en même temps du mur, un pas, deux pas, coinçant le type dans la trajectoire croisée de leurs armes. L'homme qu'ils avaient piégé avait les cheveux blonds à hauteur d'épaules. Il rappela à Lucas la première description qu'on leur avait donnée du ravisseur. Il était musclé, lui aussi, mais de petite taille. Il tourna brusquement la tête vers Lucas, puis vers Sloan, de nouveau vers Lucas.

Et, sans dire un mot, il fonça sur Sloan en brandissant sa barre de fer.

« Arrêtez ! Arrêtez ! » crièrent Sloan et Lucas à l'unisson, mais l'homme continua. Lucas ajusta son arme, mais l'homme se rapprochait trop vite de Sloan.

Sloan tira.

Un éclair jaillit de la bouche de l'arme. L'homme hurla, tituba et s'effondra. « Merde, ah, merde ! » s'exclama Sloan. Lucas s'adressa à Haywood. «Appelle la coordination. Dis-leur que nous avons descendu quelqu'un. Qu'ils envoient une ambulance ici.

— J'appelle.

— Ça va, dit Lucas. L'ambulance arrive. »

L'homme se roulait par terre en tenant sa jambe.

Lucas rangea son arme et s'approcha de lui, lui appuya un genou dans le dos et lui passa les menottes, le fouilla et trouva un misérable .38 chromé qu'il tendit à Sloan, qui le glissa dans sa poche. Lucas retourna ensuite l'homme qui se mit à gémir et à jurer. Il avait un visage rond, bouffi, des yeux bleu clair. Ce n'était pas John Mail.

« Vous pouvez parler?

— Ma jambe, putain, dit-il, les yeux brillants de larmes. J'ai la jambe cassée. Je sens mon putain d'os.

— Et merde, fit Sloan. Quelle journée de merde. »

Lucas examina l'homme dans la pénombre et repéra la tache humide qui s'élargissait sur sa cuisse. « Où sont les Manette ? demanda-t-il.

— Qui ?» Le type était affolé, manifestement largué.

«Qui êtes-vous? Quel est votre nom? demanda Lucas.

— Ricky Brennan.

— Pourquoi êtes-vous venu ici, Ricky ? Pourquoi avez-vous choisi cet endroit?

— Eh bien, mec... » Le regard de Ricky s'égara, et Lucas craignit de le perdre.

« Allons, connard.

— Eh bien, ce type, il a dit que je trouverais de la coke chez les dingues de l'informatique. Il m'a dit qu'il y avait un paquet de coke dans la pièce du fond, genre une cinquantaine de grammes. Ça les aide à tenir la nuit. Ma putain de jambe, mec, ça me fait un mal de chien.

— Merde », répéta Sloan. Il semblait presque en état de choc.

Lucas reprit la radio : « Janet ? On y va. Je demande qu'on boucle le secteur.

— Comme si c'était fait. »

Sloan s'assit par terre à côté du blessé. « L'ambulance sera là dans une minute.

— Ça me fait vraiment mal, mec. »

Haywood arriva en courant. Lucas lui demanda : « Vous avez une lampe électrique ?

— Oui. »

Lucas sortit une liasse pliée de sa poche, la déplia, tria les portraits-robots, trouva celui où Mail avait les cheveux bruns.

« C'était ce type-là? » demanda-t-il en braquant la lampe sur la feuille.

Ricky était sur le point de perdre de nouveau conscience, mais la lumière le ramena à lui. Il se concentra sur le cliché. « Ouais. C'est bien lui.

— Où est-il?

— Il doit m'attendre à la rampe du parking », marmonna-t-il en bougeant mollement le bras. La rampe se trouvait de l'autre côté du bâtiment, hors de leur vue. Lucas reprit la radio. « Janet, bordel, ça y est ! Notre homme est tout près, quelque part. Activez-les.

— Ils devraient être là, Lucas. Ils sont déjà dans la zone avec les chiens. »

C'est alors que Lucas entendit les sirènes. Entre quinze et vingt, en provenance de toutes les directions. D'autres allaient suivre. Les gars de la patrouille avaient décidé de les brancher pour effrayer Mail, afin de mieux le coincer. « Dites-leur d'ouvrir la pochette de signalements qu'on leur a remise ce soir et de regarder le portrait-robot C, comme Chat. C'est lui qu'on recherche.

— C comme Chat. »

Lucas se pencha vers Ricky. « Cet homme s'appelle John Mail, c'est ça?

— Oh, mec, ma putain de jambe !

— John Mail?

— Oui, mec. John. Je le vois de temps en temps, vous savez. Je le rencontre dans le coin et je lui dis : "Salut, John." Il me répond "Salut, Ricky", et c'est tout. Il m'a dit qu'il y avait de la coke ici. Il l'a vue. Ma putain de jambe, mec, vous n'avez rien à me donner? Vous n'auriez pas du Percodan ?

— Vous savez où il habite ?

— Oh, mec, écoutez, je le connais pas, ce type. Je le voyais quand on était à l'hosto. Il me disait juste "Salut, Ricky", c'est tout. » Il poussa un gémissement. « Alors, ce Percodan, mec ?

— Il a envoyé un leurre pour voir comment on allait réagir », dit Lucas à Sloan. Puis : « Toi tu restes ici. Ils vont te demander une déposition et récupérer ton arme. » À Haywood : « Allons-y. Vous avez les jumelles ?

— Oui. »

À Sloan : « Ça ira? »

Sloan déglutit et hocha la tête. « C'est la première fois. Je ne crois pas que j'aime ça.

— Mets-le dans l'ambulance et n'y pense plus. » Lucas lui sourit et lui donna une grande tape dans le dos. «Je ne peux pas croire que tu aies visé les jambes, espèce d'idiot. Si tu l'avais raté, il t'aurait enfoncé dix centimètres de fer dans le crâne.

— Oui, oui, fit Sloan avec difficulté. En fait, j'ai visé la poitrine. »

Lucas sourit : « Je sais ce que c'est. Allons-y, Hay. »

Lucas et Haywood partirent en courant vers l'avant du bâtiment. Lucas se retourna une fois et, voyant Sloan debout devant Ricky, songea qu'il était peut-être en train de s'excuser. Il faudrait qu'il veille sur son copain : Sloan avait l'air déstabilisé par ce coup de feu. C'était conforme à son caractère, pensa Lucas. Sloan appréciait les relations humaines dans le métier de policier, la mêlée. Il aimait bien se battre à l'occasion. Mais il ne voulait blesser personne.

Lucas repartit au pas de course vers la rampe de parking, côte à côte avec Haywood, armes au poing. Au bout de University Avenue, des barrages se mettaient en place, et partout, dans toutes les directions, les gyrophares rouges flashaient.

« Un putain de congrès de représentants en rampes d'halogène », lâcha Haywood, à bout de souffle.

Lucas l'entendit mais n'eut pas le temps de répondre : ils avaient fait le tour de l'immeuble de bureaux qui donnait sur University Avenue et approchaient maintenant de la rampe. « On monte. Prêt? demanda Lucas.

— Je n'ai plus trop la forme, répondit Haywood. Allons-y. »

Lucas gravit la volée de marches qui atteignait le premier niveau, où une demi-douzaine de voitures étaient garées. Ils les contrôlèrent rapidement. Puis ils montèrent la deuxième volée. Lucas, se penchant au-dessus du muret de ciment, vit des feux arrière trembloter vers le nord, en direction de la voie ferrée.

« Vous avez vu ça ?

— Quoi?»

Les feux clignotèrent de nouveau. « Là.

— Oui, dit Haywood. Quelqu'un est en train de rouler au ralenti dans l'obscurité, phares éteints.

— Bon sang de bois, c'est lui ! » Lucas prit la radio : « Il me faut une voiture au... bordel, comment s'appelle cet immeuble? Vite, une voiture près de la laiterie Hansen, première route à l'ouest des entrepôts de livraison Hansen. Nous avons repéré le suspect, il descend vers les silos. »

Haywood traversait déjà la piste en courant et dévalait les escaliers, Lucas dans son sillage. Le véhicule sans lumières était à deux rues d'eux, et, quand ils atteignirent le rez-de-chaussée, il était devenu invisible. Ils couraient maladroitement sur le sol inégal en direction de l'élévateur quand des phares les éclairèrent par-derrière, suivis de plusieurs autres. Ils se retournèrent et aperçurent deux voitures de patrouille qui venaient dans leur direction. Lucas leur fit signe d'avancer et continua à courir.

Quand les voitures le rattrapèrent, il tendit le doigt devant lui : « Il allait passer sous l'élévateur. »

Le conducteur du véhicule de tête, un sergent, grogna : « Il n'y a pas d'issue par là. Ça ne mène nulle part.

— Est-ce qu'il pourrait passer par-dessus les rails ? »

Le flic haussa les épaules. « Possible, mais on le verrait. Peut-être qu'il pourrait s'en sortir en les longeant. » Il prit sa radio. « Une patrouille sur la passerelle 280 qui franchit la voie ferrée. Éclairez les rails. Où est l'hélico?

— Il quitte l'héliport à l'instant. Il sera là dans cinq minutes. On confirme qu'une automobile essaie de franchir les rails.

— Ramenez des voitures K9 par ici, ordonna Lucas.

— On les a appelées, répondit le sergent. Elles sont en route. » La voiture de tête repartit devant lui, suivie de près par la seconde. Le sergent annonça par radio : « Nous avons besoin de renfort au nord de la voie ferrée. »

 

« Il va faire noir comme dans un four, remarqua Haywood alors qu'ils avançaient au pas de course vers les élévateurs. — Mais une fois qu'on l'aura rattrapé, même si nous n'avons que sa camionnette et qu'il a changé les plaques, nous retrouverons son immatriculation par le numéro de châssis, et alors on aura un nom et une adresse.

— Il ne faut pas vendre la peau de l'ours, objecta Haywood.

— D'accord, mais c'est la première fois que je suis si près de l'ours », répliqua Lucas.