18

Gloria avançait vers le porche de l'entrée de Mail quand la voiture du shérif s'arrêta dans l'allée. Elle se retourna, souriante, et attendit. Le flic nota quelque chose sur le bloc-notes posé sur le siège du passager, sortit et sourit en inclinant la tête avec courtoisie.

« M'dame? C'est vous la propriétaire?

— Oui ? Il y a un problème ?

— Ben, c'est juste qu'on vérifie la liste des propriétaires des maisons du coin, dit l'officier de police. Vous êtes...?» Il consulta sa liste et attendit.

« Gloria LaDoux. Mon mari, c'est Martin, mais il n'est pas encore rentré.

— Il travaille aux Villes jumelles ?

— Ouais. » Elle réfléchit en vitesse, choisit le boulot le plus nul parmi ceux qui lui venaient à l'esprit. « Il travaille au Mail of America... Le magasin de chaussures Brothers. »

Le flic opina de la tête, traça une croix sur la feuille « Auriez-vous vu quelque chose d'un peu inhabituel, le long de cette route? Nous recherchons un homme dans une camionnette... »

 

Mail était à huit cents mètres de chez lui, le siège avant rempli de sacs d'épicerie, quand il repéra la voiture dans l'allée.

Il s'arrêta au bord de la route, ferma les yeux un moment. Cette voiture lui était familière, une Chevrolet Cavalier brun-roux. Elle appartenait à un dénommé Bob Machinchose, qui avait une queue de cheval, un anneau dans le nez, et rongeait ses ongles jusqu'au sang. Bob ne savait pas où Mail habitait, mais Gloria si, et Gloria prenait la voiture de Bob quand elle en avait besoin.

Gloria.

Elle avait été un contact utile à l'hôpital. Elle travaillait sur place. Elle pouvait voler des cigarettes, de la petite monnaie, des sucreries et, à l'occasion, quelques analgésiques. Une fois sorti, elle n'avait été qu'une source d'ennuis. Elle l'avait aidé pour régler le problème Marty LaDoux, elle avait interverti les dossiers dentaires, elle avait touché l'assurance du vrai John Mail quand son corps avait été retrouvé dans la rivière. Mais ensuite, elle avait commencé à lui casser les oreilles avec « leur relation ». Sans jamais le menacer directement, elle n'en avait pas moins insinué que connaître Martin LaDoux faisait d'elle une personne à part.

Il s'en était inquiété. Il n'avait jusqu'alors rien fait parce qu'elle était aussi impliquée que lui dans tout ça, et assez intelligente pour le savoir. D'un mitre côté, elle aimait bien être à l'hôpital, elle lui avait confié que, là-bas, elle se sentait en sécurité.

Et Gloria adorait parler.

Si elle avait compris, pour l'enlèvement Manette, elle n'allait pas rester dans son coin. Elle finirait sans doute par le dire à quelqu'un. Gloria suivait encore une psychothérapie. Elle ne se lassait pas de raconter ses problèmes, d'écouter quelqu'un les décortiquer.

Merde. Gloria...

Mail quitta le bas-côté et roula le long de la route qui conduisait chez lui.

 

Gloria Crosby s'éclatait. Pendant des semaines, elle avait eu l'impression de vivre enfermée dans une boîte. Les jours se suivaient et se ressemblaient tandis qu'elle attendait que quelque chose se produise, que surgisse une direction à suivre. Et voilà que cela arrivait. John détenait Andi Manette et les petites, elle en était sûre ; et il devait avoir un plan pour accéder à l'argent de cette femme. Lorsqu'ils l'auraient, il leur faudrait partir. Vers le sud, peut-être. Il était malin, il avait des idées, mais il n'était pas très fort pour les détails. Elle pouvait s'occuper des détails, comme elle l'avait déjà fait dans le cas de Martin LaDoux.

Martin LaDoux était un cinglé de première, ayant peur de tout le monde, allergique à tout, cerné par « Eux », qui n'arrêtaient pas de lui parler toute la nuit et l'empêchaient de dormir. Quand elle pensait à Martin, elle voyait un grand adolescent maigrichon, couvert d'acné, un mouchoir à la main, qui essayait de sourire tout en frottant son nez éternellement rouge pendant que ses yeux se mouillaient...

Il n'avait eu aucune utilité jusqu'au jour où l'État les avait tous virés de l'hôpital psychiatrique, leur accordant, en l'honneur de leur prétendu retour à la normalité, la Sécurité sociale et une assurance vie, en plus d'une place dans un centre de réinsertion. L'assurance vie avait scellé le sort de Martin LaDoux.

Gloria attendait Mail assise sous le porche, n'éprouvant aucune impatience. La maison était fermée à clé, mais John était dans les parages : elle avait vu par la fenêtre des reliefs d'un repas réchauffé au micro-ondes qui traînaient sur un plateau dans le salon.

La question était : Où avait-il enfermé Manette et ses filles? La maison avait l'air vide. Il n'y avait rien de vivant à l'intérieur. Un soupçon de malaise effleura le cœur de Gloria : s'en serait-il déjà débarrassé ?

Non. Elle savait, pour John et Manette. Il allait la garder un moment, elle en était sûre.

Sur les marches de devant, Gloria mâchonnait une brindille d'herbe. Elle se leva quand Mail arrêta la voiture dans le jardin — toute de noir vêtue elle avait l'air d'une apprentie sorcière —, et sautilla jusqu'à lui.

« John », dit-elle. Son visage était blafard, mou, un visage d'intérieur, un visage qui sentait le renfermé. « Comment vas-tu ?

— Ça va, lâcha-t-il brièvement. Qu'est-ce qui se passe?

— J'étais venue voir comment tu allais? Tu as une bière ? »

Il la dévisagea un instant : elle rayonnait d'expectative. Elle savait. Il acquiesça : « Oui, bien sûr. Entre donc. »

Elle le suivit à l'intérieur, regarda autour d'elle. « Ça n'a pas changé », remarqua-t-elle. Elle se laissa choir sur la chaise de Mail et considéra les yeux aveugles des moniteurs de l'ordinateur. « Tu en as d'autres? demanda-t-elle. Il y a de nouveaux jeux?

— J'ai un peu laissé tomber les jeux », répondit-il. Il sortit deux bières du réfrigérateur, en tendit une à la fille, qui fit sauter la capsule en le regardant.

« Tu as un jeu de Davenport, dit-elle en prenant une boîte de logiciels. Il y avait une brochure et trois disquettes à l'intérieur.

— Ouais. » Il avala une lampée de bière. « Comment va la tête ? demanda-t-il.

— Bien, ces derniers temps. » Elle feuilleta la brochure.

« Tu prends toujours des médicaments ?

— Ouais, de temps en temps. » Elle fronça les sourcils. « Mais je les ai oubliés chez moi.

— Ah oui?

— Oui. Et je ne pense pas pouvoir retourner là-bas. » Elle prononça ces mots d'un air provocant, pour l'inciter à demander pourquoi. Elle remit la brochure dans la boîte et leva les yeux vers lui.

« Pourquoi pas ?

— Les flics sont venus, dit-elle en buvant à la bouteille, sans le quitter des yeux. Ils te cherchaient.

— Moi?

— Ouais. Ils avaient une photo de toi. Je ne sais pas qui leur a dit que je te connaissais, mais ils le savaient. J'ai réussi à me débarrasser d'eux et à filer par-derrière.

— Bon Dieu, tu es sûre ? Qu'ils ne t'ont pas suivie... ?» Il regarda par la fenêtre de façade, s'attendant presque à voir des voitures de police.

« Oui. Ils étaient idiots. Ça a été facile. Eh, tu sais qui il y avait?

— Davenport.

— Oui.

— Nom de Dieu, Gloria !

— J'ai sauté dans un bus, j'y suis restée le temps de passer huit rues, puis je suis descendue, j'ai traversé l'immeuble de Janis sur toute sa longueur, j'ai pris l'allée qui mène chez Bob, je lui ai demandé sa clé de voiture...

— Tu lui as dit que tu venais me voir?

— Non. » Elle était fière d'elle. « Juste que j'avais des bouquins de fac à ramener à la maison. Toujours est-il que j'ai obtenu la clé, je suis descendue dans le garage et j'ai pris la voiture. Il n'y avait pas un chat dans le coin quand je suis sortie. »

Il l'observa attentivement pendant qu'elle parlait. Lorsqu'elle eut fini, il hocha la tête.

« Très bien. J'ai eu quelques ennuis avec les flics, ces jours-ci.

— Je sais. » Et elle lâcha l'information comme une surprise. « Ils sont venus ici, aussi.

— Ici? » Ça, c'était plus inquiétant.

« Un flic s'est garé là, devant, peu après mon arrivée — ils vérifient toutes les fermes. Ça a cessé de l'intéresser quand je lui ai dit que j'étais ta femme et qu'on vivait ici ensemble. »

Mail la considéra un moment : « Tu as fait ça.

— Exactement. Et il est reparti.

— Très bien », dit-il d'une voix neutre.

Elle prit l'ourlet de sa jupe de ses deux mains et esquissa une révérence pour rire et, le temps de pencher la tête, elle ressembla étrangement à un corbeau.

« C'est toi qui as enlevé Mme Manette et ses filles. »

Abasourdi par la hardiesse de l'attaque, il se ressaisit comme il put.

« Quoi ?

— Allons, John, je suis Gloria. Tu ne peux pas me mentir. Où les caches-tu?

— Gloria... »

Pas du tout impressionnée, elle secoua la tête. « On s'est fait quinze mille dollars, souviens-toi ?

— Oui.

— C'était chouette. J'aimerais bien t'aider à ramasser le fric de Manette, si tu me laisses...

— Seigneur... » Il la regarda et se gratta la tête.

« Est-ce que je peux les voir? demanda-t-elle. En me cachant la tête sous un collant, quelque chose comme ça, tu comprends? J'imagine qu'elles n'ont pas vu ton visage.

— Gloria, ce n'est pas pour de l'argent. C'est à cause de ce qu'elle m'a fait dans le temps. »

Cet aveu la désarçonna : « Oh ! » Puis elle se reprit : « Qu'est-ce que tu lui fais? »

Mail réfléchit dix secondes avant de répondre : « Tout ce que je veux.

— Mon Dieu ! C'est vraiment... génial », dit Gloria en se tortillant sur la chaise.

Cela fit sourire Mail. « Viens. Je vais te montrer. »

 

En sortant par l'arrière de la maison, Gloria demanda : « Je croyais que tu avais cessé de penser à elle?

— Ça m'a repris.

— Comment ça ? »

Mail envisagea de ne pas répondre, mais, d'un autre côté, Gloria avait été internée avec lui. Elle avait beau être sinistre et déplaisante, elle n'en restait pas moins une des rares personnes capables de comprendre comment son cerveau fonctionnait, ce qu'il éprouvait réellement.

« Une femme s'est mise à me téléphoner. Quelqu'un qui n'aime pas Andi Manette. Je ne sais pas qui c'est, juste que c'est une femme. Elle a dit qu'Andi Manette continuait à parler de moi, du genre d'homme que je suis. Que je la trouvais sexy, qu'elle sentait le désir émaner de moi. Cette femme m'a appelé une quinzaine de fois.

— C'est un peu bizarre, non?

— Oui. » Mail se gratta le menton en y repensant. «Le truc vraiment étrange, c'est qu'elle m'a téléphoné ici. Elle sait qui je suis, mais elle ne veut pas me dire qui elle est. Et je n'arrive pas à deviner. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est qu'elle déteste Andi. Elle a beaucoup insisté, et moi, j'y ai pensé de plus en plus, alors, pour finir... tu sais comment ça se passe. C'est pareil quand tu ne peux pas t'enlever une chanson de la tête.

— Oui. Comme à l'époque où je comptais jusqu'à mille. » Gloria avait passé une année à compter jusqu'à mille, encore et encore. Et puis, un jour, ça s'était arrêté. Elle n'avait pas l'impression d'avoir fait grand-chose dans tout ça, ni pour que ça commence, ni pour que ça cesse, mais elle avait apprécié le silence dans son cerveau. Mail sourit : « Ça vous rend dingue... » En descendant l'escalier menant au sous-sol qui sentait le moisi, Gloria comprit qui était la femme, celle qui appelait John Mail. Elle ouvrit la bouche pour le lui dire, et se ravisa : Plus tard. C'est une chose qu'elle devait utiliser pour l'agacer. Ça ne devait pas jaillir spontanément. John était un type qu'il fallait contrôler, dans une certaine mesure. Il fallait se battre pour rester à niveau avec lui.

« J'ai construit une cellule, dit Mail en montrant la porte d'acier dans le mur de la cave. Avant, c'était une réserve à pommes de terre. J'ai failli en crever, à travailler là-dedans. J'étais obligé de m'arrêter toutes les dix minutes pour sortir à l'air libre. »

Gloria opina de la tête. Elle savait qu'il était claustrophobe.

« Ouvre », fit-elle.

 

Andi et Grace s'étaient servies de l'attache de soutien-gorge de Grace pour essayer d'arracher le clou de la solive du plafond, mais elles n'avaient pas pu travailler plus d'une demi-heure, ayant trop mal aux doigts pour continuer. Elles avaient progressé : un peu plus d'un centimètre était dégagé. Andi pensait cependant qu'il leur faudrait encore une demi-heure pour parvenir à l'extraire complètement.

Elle ne pensait pas avoir une semaine devant elle : Mail était de plus en plus agité, et plus sombre en même temps. Elle sentait le diable gagner du terrain en lui, elle le voyait dans ses yeux. Il était en train de perdre les pédales.

« On n'y arrivera jamais, dit Grace, debout sur le Porta-Potti. Maman, on ne va pas y arriver. » Elle laissa tomber l'attache du soutien-gorge, s'assit sur le couvercle des toilettes et plongea la tête dans ses mains. Elle ne pleurait pas : elles n'en étaient plus capables, ni l'une ni l'autre. On aurait dit que leur réserve de larmes était tarie.

Andi s'accroupit à côté d'elle, lui prit la main et la frotta doucement : à l'endroit où elle avait tenu la minuscule attache, sa peau était écarlate, flétrie. En dessous s'étalait un hématome plus profond, bleu foncé. « Il ne faut pas poursuivre. Tu ne dois pas recommencer tant qu'il y aura du rouge. » Elle leva les yeux vers la solive en frottant son pouce contre la peau lacérée de son index. « Je vais essayer de continuer.

— Ça ne sert à rien de toute manière. Il est trop fort pour nous. C'est un monstre.

— Il faut persévérer malgré tout. Si au moins nous avions une arme, nous pourrions... »

Elles entendirent des bruits de pas au-dessus de leurs têtes. « Le voilà », chuchota Grace. Elle se rencoigna à l'extrémité du matelas.

Andi ferma les yeux un instant, les rouvrit et murmura : « Rappelle-toi, il ne faut pas croiser son regard. »

Elle cracha dans sa main, plongea le doigt dans un coin poussiéreux et passa le mélange de salive et de terre sur la partie du bois que Grace avait entamée en creusant autour du clou. L'humidité assombrit le bois et rendit les entailles moins visibles. Satisfaite — les pas se rapprochaient dans l'escalier, elle ne pouvait attendre davantage —, elle descendit du Porta-Potti, le repoussa contre le mur et s'assit dessus.

« N'ouvre la bouche que s'il t'adresse la parole et, surtout, garde la tête baissée. Je commencerai à parler dès qu'il entrera. D'accord? Grace, tu as compris ?

— D'accord. » Grace roula sur le matelas, le visage tourné contre le mur, en tirant sa robe déchirée sur ses jambes.

Mail se tenait dans l'embrasure.

« John », dit Andi d'une voix neutre, le visage dépourvu d'expression. Elle essayait désespérément de projeter l'image d'une créature épuisée, sans vie. Elle ne voulait rien risquer qui fût susceptible de le provoquer.

« Allons, debout, nous avons de la visite. » Andi releva la tête malgré elle et, du coin de l'œil, vit Grace qui se tournait. Mail entra dans la cellule. Quand elle se leva, il la prit par le bras et elle se traîna vers la sortie.

« Je peux venir? » couina Grace. Andi sentit son cœur flancher.

« Non », fit Mail. Profitant de ce qu'il n'accordait pas un regard à la petite, Andi, ne voulant pas lui laisser le temps de penser à elle, demanda aussitôt : « Qui est-ce, John ?

— Une vieille copine de l'asile », répondit Mail. Il la poussa dehors, sortit derrière elle, tira la porte et la verrouilla. Une femme, entièrement vêtue de noir, se tenait debout au pied de l'escalier. D'une main, elle tenait un long bâton mince — une branche d'arbre — et de l'autre, par le goulot, une bouteille de bière.

Une sorcière, pensa Andi. Une exécutrice.

« Mon Dieu, John », dit la femme dans un souffle. Elle s'approcha, tourna autour d'Andi, la dévisageant des pieds à la tête comme s'il s'agissait d'un mannequin. « Tu la bats beaucoup ?

— Pas beaucoup. Je la baise, surtout.

— Elle te laisse faire ou tu la forces ? » La femme était à quelques centimètres d'elle. Andi sentait son haleine, le relent aigre de la bière.

« La plupart du temps, je m'y mets et je la baise. Quand elle fait des manières, je cogne un peu. » Andi se tenait immobile, ne sachant que faire. Mail précisa : « J'essaie de ne rien casser. En général, je me sers simplement de ma main ouverte. Comme ça. »

Il gifla Andi avec force. Elle s'écroula, mais elle avait l'esprit clair. Comme Mail la battait pour ainsi dire chaque fois qu'il la sortait de la cellule, elle avait appris à anticiper son geste. En l'accompagnant, discrètement, l'impact du coup était limité. Tout en se laissant tomber, elle se demanda ce qui avait pu l'inciter à la frapper.

Parfois, il l'aidait à se relever. Pas cette fois. Cette fois, il la domina de toute sa taille, avec la femme en noir.

« J'ai apporté un peu de corde », dit-il à Andi. Il lui montra plusieurs longueurs d'un mètre vingt de corde en plastique jaune qu'on utilise pour le ski nautique. « Levez les mains. Non, ne vous mettez pas debout. Levez simplement les mains. »

Andi obtempéra, et il lui attacha les mains à hauteur du poignet. La corde était dure et lui entamait la chair.

« John, ne me faites pas mal, l'implora-t-elle aussi calmement que possible.

— Je n'en ai pas l'intention. »

Il attacha un deuxième morceau de corde aux liens qui entravaient ses poignets, le fît passer par-dessus une solive et redescendre de manière à maintenir les mains et les bras d'Andi au-dessus de sa tête. Ensuite, il fit un nœud.

« Tu peux y aller, dit Mail à Gloria. La voilà comme tu la voulais.

— Seigneur Dieu ! » siffla Gloria. Elle tourna autour d'Andi, qui tourna en même temps qu'elle, l'observant. « Ne commence pas à tourner, ou je te massacre pour de bon », aboya Gloria.

Andi s'arrêta, ferma les yeux. Une seconde plus tard, elle perçut un sifflement rapide et la branche d'arbre l'atteignit dans le dos. Le tissu de sa robe amortit partiellement la morsure mais cela lui fit mal. Elle cria « Ahhh ! » et se cambra pour échapper à l'autre femme.

Le ton de Gloria s'échauffait, on la sentait excitée. « Seigneur! Est-ce qu'on peut lui ôter sa robe? Je voudrais la frapper sur les seins.

— Vas-y, dit Mail. Elle ne peut rien te faire. »

Gloria s'approcha d'Andi et, tendant la main vers son chemisier : « Tu aurais dû lui enlever ses vêtements, de toute manière. Tu aurais dû les déchirer avec un couteau. C'est pareil pour la gosse, on devrait... »

Mail arriva dans son dos, un morceau de corde à la main. D'un geste vif, il le passa autour du cou de Gloria et le tordit. La corde entama la gorge de Gloria. Elle tenta de se retourner et de l'agripper. Son visage, les yeux exorbités, était à quelques centimètres de celui d'Andi. Andi voulut se détourner, Mail hurla : « Non, regarde ça ! Regarde ! »

Elle regarda. La femme tirait la langue, maintenant. Puis elle exécuta une petite danse, tapant des pieds et battant des bras d'abord, essayant ensuite d'arracher la corde avec ses doigts, recommençant à battre des bras.

Les muscles des bras et du visage de Mail saillirent alors qu'il tordait la corde et maîtrisait la femme, simultanément. Puis il tint son corps ramolli comme si c'était une poupée, il la soutint jusqu'à ce que sa vessie se relâche et que l'odeur d'urine flotte dans la pièce. Il continua de la tenir pendant une dizaine de secondes, en gardant cette fois les yeux fixés sur le visage d'Andi.

Andi regardait mais elle n'éprouvait pas grand-chose : sa capacité de réaction à l'horreur s'était asséchée aussi sûrement que sa réserve de larmes. Elle avait imaginé que John pourrait la tuer, ou tuer Grace, de cette façon-là. Et elle avait rêvé de Geneviève, non pas à la maison mais quelque part dans une tombe, vêtue de la robe qu'elle portait le premier jour d'école. Le meurtre de Gloria lui paraissait presque insignifiant.

Mail lâcha la corde, et Gloria tomba le visage tourné vers le sol, les yeux grands ouverts, et ne cilla pas quand il vint à sa rencontre. Mail lui enfonça un genou dans le dos, imprima une nouvelle torsion à la corde, la garda serrée une minute de plus, fit un nœud solide et se releva en se frottant les mains, comme pour se débarrasser de la poussière.

« Elle était pénible », expliqua-t-il en baissant les yeux vers le corps. Puis il sourit à Andi. « Vous voyez? Je prends soin de vous. Elle vous aurait battue à mort. »

Andi avait toujours les mains en l'air. « J'ai mal aux épaules, gémit-elle.

— Ah bon ? Pas de pot. » Il avança derrière elle, la prit par la taille, appuya les dents sur son épaule et regarda le corps. « C'est vraiment... » Il chercha une expression, et celle de Gloria lui revint à l'esprit « ... vraiment génial. »