11

Lucas se leva quelques minutes après Weather, luttant contre le petit matin, la lumière blafarde qui pointait derrière les fenêtres à l'est. Weather prépara le petit déjeuner pendant qu'il faisait sa toilette. Une fois habillé, Lucas sortit la bague du tiroir à chaussettes, la fît tourner entre ses doigts et la glissa dans sa poche de pantalon, comme presque tous les jours depuis un mois.

Dans la cuisine, Weather fredonnait devant l'évier en creusant le cœur d'un melon. Lucas avait encore l'impression d'avoir été frappé au front avec un marteau.

« Tu as quelque chose d'intéressant aujourd'hui?» demanda-t-il. Le matin, la voix de Lucas faisait un bruit de grille rouillée auquel elle s'était habituée.

« Rien -de particulier. La première est une femme qui a une cicatrice faciale suite à une décharge électrique. » Elle effleura sa joue à hauteur de l'oreille pour lui montrer l'emplacement. « Je vais enlever le plus possible de tissu cicatriciel, la totalité, j'espère.

— J'ai l'impression qu'elle aurait plutôt besoin de chirurgie réparatrice », dit Lucas. Il glissa deux tranches de pain dans le grille-pain et partit à la chasse à la cannelle.

« Il m'arrive de pratiquer la chirurgie réparatrice, dit Weather. Nous avons cet enfant, bientôt. Ça, ce sera intéressant. Six interventions, probablement. Il va falloir faire pivoter son crâne vers l'arrière... »

Il aimait la regarder parler, son enthousiasme pour son travail, même quand il ne comprenait rien à ce qu'elle racontait. Il avait assisté à une demi-douzaine d'interventions, revêtant la tenue de bloc et apprenant où il fallait se tenir pour ne gêner personne. Il avait été émerveillé par la précision de la chose, ainsi que par le naturel avec lequel elle donnait des ordres. Il s'était dit qu'il aurait volontiers fait ce métier, que ça lui aurait plu.

Il y avait chez les chirurgiens un curieux ego, dur comme de l'acier, qui n'épargnait ni Weather — elle commandait à son équipe opératoire comme un sergent-major — ni George Howell, son mentor. Howell était un chirurgien réparateur d'une cinquantaine d'années. Il passait souvent au bloc quand Weather opérait, et Lucas éprouvait la tentation, contrôlée, de le fourrer quelque part dans un égout. Pourtant, Howell était plutôt un type bien.

« Tu m'écoutes? demanda Weather.

— Bien sûr, répondit Lucas en scrutant les entrailles du grille-pain. C'est juste que je suis très proche de la mort, en ce moment.

— Il y a quelque chose qui cloche avec ton métabolisme, dit-elle. Comment peux-tu faire un million de choses à trois heures du matin et être incapable, à six, d'additionner deux et deux? Tu devrais te faire faire un bilan de santé. À quand remonte le dernier?»

Lucas leva les yeux au ciel.

« Ce n'est pas parce qu'un type va me braquer une lampe électrique dans le derrière que je vais être meilleur en calcul. » Il jeta un regard cafardeux par la fenêtre de la cuisine. Un merle sautillait dans le jardin, guettant le ver de terre. « Zut, pourquoi n'ai-je jamais mon .45 sous la main quand j'en ai besoin ? »

Weather s'interrompit pour regarder dehors, vit le merle et dit : « Je vais te dénoncer à Nos amis les bêtes. Tu auras des défenseurs d'oiseaux groupés sous le porche à cinq heures du matin, en train de roucouler.

— Encore du gibier pour mon .45. » Ils prirent leur petit déjeuner en évoquant la journée de travail qui les attendait, Lucas l'embrassa pour lui dire au revoir et lui donna une tape sur les fesses, puis il alla s'allonger à plat ventre sur le canapé.

 

Sherrill et Black terminaient leur mission au bureau d'Andi Manette. Lucas passa les voir à huit heures, ayant encore le sentiment de vivre en décalage par rapport à son horloge personnelle. Black était égal à lui-même, s'adressant d'un air bougon à son équipière, hochant la tête à l'intention de Lucas. « Six hommes. Pas de femme. Anderson a leurs noms. Ils seront au programme d'aujourd'hui. Nous les recherchons tous, et le FBI passe ses fichiers au crible. Maintenant, on va revenir sur l'ensemble et s'occuper des deuxièmes choix... les cinglés pas si cinglés que ça.

— Et les six, ils sont comment?

— Gravement atteints, dit Black.

— Très gravement», confirma Sherrill. Comme Weather, elle était plutôt gaie, en fait, elle semblait absorber toute la gaieté qu'il pouvait y avoir chez Lucas et Black. « N'empêche, j'aimerais bien savoir ce qu'on fait pour les maniaques sexuels.

— On va les poursuivre, affirma Lucas. Simplement, nous ne voulons pas exciter les médias. Ils sont bien assez remontés comme ça.

— Je trouve que la 3 a battu les records d'imbécillité hier soir, fit remarquer Sherrill. Ce qu'ils racontaient était tellement stupide que j'en ai eu mal aux dents.

— Je ne comprends pas ce qu'ils recherchent, dit Black. Vraiment pas.

— L'argent, répondit Lucas. Faire de l'argent, voilà ce qui les intéresse. »

Quand Lucas quitta le bureau du Dr Manette, la réceptionniste, celle qui s'était montrée si fébrile le premier jour, leva la main en jetant un coup d'œil furtif, à droite et à gauche, du côté des bureaux. Lucas comprit le message. Il poursuivit son chemin dans le couloir, se retourna, croisa son regard et tourna à gauche. Au bout du couloir, un renfoncement abritait des distributeurs de Coca-Cola, café et sucreries diverses. Elle le rejoignit une seconde plus tard, alors qu'il sirotait un Coca Light.

« Ça me gêne un peu de vous parler comme ça », commença la femme, qui, d'après son badge, s'appelait Marcella. Sa voix était hésitante, comme si elle n'était pas tout à fait décidée.

«Le moindre détail peut nous aider, dit Lucas. N'importe quoi. Il y a deux enfants dans le coup. »

Elle hocha la tête. « Avec toutes ces discussions et ces avocats, je me sens un peu... déloyale. Nancy n'est pas obligée de l'apprendre?

— Personne ne saura rien », la rassura Lucas en secouant la tête.

La femme jeta un regard inquiet vers son bureau. « Eh bien, voilà. Les fichiers d'Andi sont complets, mais seulement ceux d'ici. »

Lucas fronça les sourcils et fit un geste de sa main qui tenait le Coca. «Comment ça, ceux d'ici? On m'a dit que c'était le seul endroit où elle travaillait.

— Pour son compte. Mais quand elle a fait son stage après son doctorat, à l'université, elle a suivi beaucoup de gens à la prison de Hennepin County. Vous savez, des examens psychiatriques requis par le tribunal. La plupart étaient tout jeunes, mais c'était il y a pas mal de temps, alors beaucoup d'entre eux doivent être adultes maintenant.

— A-t-elle jamais mentionné l'un d'eux plus précisément?

— Non, elle ne pouvait pas, en fait, à cause de... vous savez, le secret médical. Mais ils la terrifiaient, ça elle en parlait quelquefois. Certains la coinçaient contre la porte, ou chuintaient à sa vue, comme font les chats, et elle sentait bien qu'ils étaient prêts à se jeter sur elle. Les obsédés sexuels lui faisaient particulièrement peur. Elle disait qu'on pouvait sentir leur désir traverser la pièce. Selon elle, certains l'auraient agressée sur place, dans le parloir de la prison, s'ils avaient eu leur liberté de mouvement. Je crois que les gens qu'elle a suivis là-bas, c'étaient les pires.

— Mais, bon Dieu, pourquoi est-ce que personne n'en a rien dit? »

La femme baissa les yeux.

« Je vais vous expliquer, monsieur Davenport. Ils sont tous furieux que vous ayez accès à ces dossiers. Je ne suis même pas sûre que vous ayez raison. Parce que vous risquez de détruire beaucoup d'acquis. Mais, en même temps, il y a Andi, et je n'arrête pas de penser à ses filles.

— Je comprends. Écoutez, Marcella, vous m'avez été d'un grand secours. Je parle sérieusement. Tout cela va rester entre nous mais, s'il en sort quelque chose de positif et que vous êtes d'accord, je dirai à Mme Manette que vous m'avez aidé. »

Lucas termina son Coca pendant que Marcella regagnait son bureau, puis il retourna dans celui de Manette.

« Qu'y a-t-il ? demanda Sherrill en le voyant réapparaître.

— Je crois qu'on s'est fait avoir. Il y a une autre série de dossiers. Ça relève du criminel. Dépêchons-nous, on a un retard terrible. »

 

L'université aurait pu s'y opposer en vertu du principe du secret médical, mais le chef appela le gouverneur, qui appela trois membres du conseil de l'université, qui appelèrent le président, qui émit une déclaration : « Étant donné les circonstances — un monstre s'attaquant à une femme et à deux petites filles innocentes, et contribuant à opprimer tous les genres et races en rendant les rues peu sûres —, nous acceptons d'accorder à la ville de Minneapolis un accès limité à un nombre limité de dossiers psychiatriques. »

« Limité à quoi ? » demanda Lucas au responsable de la section des archives de l'université. Il avait accompagné Sherrill et Black parce que son titre donnait plus de poids à leur requête.

« Limité à ce que vous demanderez, répondit le responsable, pince-sans-rire.

— Ces deux-là se chargeront des demandes, dit Lucas en désignant Sherrill et Black d'un signe de tête. Nous vous remercions vraiment de ce que vous pourrez faire. »

 

Lucas apprit l'incendie d'Irv's Boat Works en prenant un petit déjeuner tardif à son bureau. L'événement était relaté en quelques lignes dans les faits divers du Star-Tribune : « Un loueur de bateaux de Minnetonka frappé par le feu.» L'article citait un capitaine de pompiers : « C'était manifestement un incendie criminel, mais on n'a pas cherché à le dissimuler et, pour l'instant, nous n'avons pas de mobile. Nous demandons au public... »

Lucas téléphona au capitaine des pompiers, qu'il connaissait vaguement en tant que voisin.

« C'était une bombe, un cocktail Molotov précisément, essence et huile de moteur. Pas un travail de pro, mais un pro n'aurait pas fait mieux. Ça a tout cramé, du toit aux fondations. L'assurance du vieil Irv ne le couvrait que pour six mille dollars, donc ça ne peut pas être lui. À moins que quelque chose ne m'échappe. »

 

À l'université, Sherrill était installée, la mine maussade, devant un lecteur de microfilms, actionnant le matériel désuet à la main, les yeux rouges à force de déchiffrer les images rayées de dossiers vieux de dix ans. « Doux Jésus !

— Quoi ? » Black occupait la chaise voisine, trois bouteilles vides de root beer à ses pieds. Il portait des chaussettes marron décorées de montres bleues.

« Celui-ci, il tringlait des tuyaux d'échappement, dit Sherrill.

— Tu veux dire, de voiture? demanda Black, effaré.

— Dieu m'est témoin. » Elle n'eut pas conscience de l'ambiguïté de la chose, et gloussa, suivant du doigt sur l'écran l'image projetée. «Tu sais comment ils l'ont attrapé?

— Il est resté coincé, suggéra Black.

— Non. »

Il réfléchit un moment

« Sa tondeuse à gazon lui a fait un procès pour harcèlement sexuel ?

— Il a essayé d'en enfiler un qui était encore chaud. Il a été transporté à l'hôpital avec des brûlures au troisième degré.

— Aïe, aïe », grogna Black. Il s'agrippa l'entrejambe et remit les choses en place, puis jeta quelques lignes sur le bloc-notes posé sur la table.

«Quelque chose d'intéressant? demanda Sherrill pendant qu'il écrivait.

— Le gosse qui était à la fois obsédé sexuel et pyromane, expliqua Black. Je crois qu'il l'effrayait terriblement. » Il fit défiler le texte sur l'écran jusqu'à la page suivante. « Elle dit qu'il présentait des signes d'importante inadaptation sexuelle se manifestant par un comportement sexuel indécent et agressif lié à une identification au feu.

— Les mecs sont vraiment dérangés, conclut Sherrill alors que Black appuyait sur la touche d'impression. On ne voit jamais de femmes faire des trucs pareils.

— Tu connais la blague du "meilleur ami" qu'on raconte en ce moment?

— Oh, non ! Je ne veux pas entendre ça. » Sherrill secoua la tête, mais ce n'était pas convaincant.

« Bon, il y a ce type qui part au travail mais il arrive en retard. Son patron lui saute dessus...

— Black, je t'en prie...

— Très bien. Si tu ne veux vraiment pas l'entendre, tant pis. Je vais chercher ma sortie d'imprimante. »

Quand il revint une minute plus tard avec la feuille imprimée, elle avait changé d'avis : « Bon, d'accord, raconte-la. Ta blague. »

Black posa la feuille près du lecteur de microfilms et reprit : « Donc, son patron lui dit : "Foutez-moi le camp, vous êtes viré. Ne remettez jamais les pieds ici." Alors le type prend la porte à contrecœur, vraiment perturbé, monte dans sa voiture et, à mi-chemin de chez lui, il se tamponne un adolescent à un carrefour. Sa voiture est nase, le gamin n'a pas d'assurance. Doux Jésus ! C'est en train de devenir le pire jour de sa vie. Donc, la dépanneuse vient chercher sa voiture, et il rentre chez lui en bus. Quand il arrive, onze heures du matin, il entend des bruits dans la chambre à coucher. Genre sexe. Gémissements, halètements, draps déchirés. Alors il se glisse en douce jusqu'à la porte et qu'est-ce qu'il voit, sa femme en train de se faire sauter par son meilleur ami.

— Sans blague, dit Sherrill.

— Là, le type perd les pédales. Il se met à hurler à sa femme : "Sors d'ici, espèce de roulure. Prends tes fringues, rhabille-toi et fous le camp. Et ne remets jamais les pieds ici, sinon je t'encastre le cul dans le sol." Puis il se tourne vers son meilleur ami : "Quant à toi... Tu es un vilain chien ! Un vilain chien !"

— C'est rigolo, dit Sherrill en se détournant, sourire aux lèvres.

— Surtout, ne ris pas », ironisa Black, sachant que ça lui avait plu. Et, en haut de la feuille imprimée, il inscrivit « John Mail ».

 

Irv était un homme âgé, avec de larges épaules, une couronne de magnifiques cheveux blancs et une petite tache rose au centre. Il avait le nez couperosé, comme s'il portait trop d'affection à sa bouteille de whisky. Vêtu d'une chemise de flanelle passée de couleur et d'un pantalon de toile, il était assis sur un banc de parc municipal, à côté de son ponton. Une boîte métallique était posée près de lui sur le banc. « Qu'est-ce que je peux pour vous ? demanda-t-il quand Lucas arriva à sa hauteur.

— Vous êtes Irv ? » Un peu plus loin sur la gauche, il y avait des restes de mur de pierre calciné, de la poussière à l'intérieur, et rien d'autre.

« Ouais. » Irv le regarda en clignant des yeux. « Z'êtes de la police ?

— Oui, de Minneapolis. Qu'est-ce que vous allez faire? Reconstruire et recommencer?

— Sans doute. » Irv gratta son gros nez du dos de la main. « Je n'ai pas vraiment d'autre solution, et l'assurance m'en paiera la moitié. »

Lucas marcha jusqu'aux vestiges de murs. Il n'y avait pas de trace du feu, en dehors de la suie sur les pierres. « Ça a été vite nettoyé. »

Le vieil homme haussa les épaules. « Il n'y avait pas grand-chose, du bois et du verre et quelques bacs à vairons à l'intérieur. Ça a brûlé comme une torche. Ce qui n'a pas brûlé, ils l'ont emmené avec une pelleteuse. Le matos et tout le bataclan ont été dégagés en cinq minutes. » Il enleva ses lunettes et essuya les verres avec sa chemise de flanelle. « Nom de Dieu ! »

Lucas s'éloigna, inspecta les fondations de plus près et, quand Irv eut rechaussé ses lunettes, le rejoignit et lui tendit le portrait-robot.

« Vous avez vu ce type la semaine dernière ? »

Irv pencha la tête pour pouvoir examiner le croquis à travers ses doubles foyers, puis il la redressa et dit : « C'est ce salopard qui a foutu le feu?

— Est-ce qu'il est venu ? »

Irv acquiesça.

« Je crois bien que oui. Il n'était pas tout à fait comme ça — la bouche ne colle pas —, mais il avait cet aspect-là, et je me suis demandé ce qu'il venait faire. Ce n'était pas un pêcheur, il ne savait pas lancer le moteur. Et il faisait froid ce jour-là.

— Quand était-ce ?

— Il y a deux jours. Quand la pluie a commencé. Il est rentré sous la pluie.

— Vous vous rappelez son nom? »

Irv se gratta le menton. « Non, non. Je l'ai recopié d'après son permis de conduire. Il serait dans ma boîte à reçus, si j'en avais encore une. » Il regarda Lucas, et le soleil se refléta dans ses lunettes. « C'est lui qui a enlevé la fille et les petites-filles de Manette, hein?

— Ça se pourrait bien », fit Lucas. Mais, dans son for intérieur, il pensa : Oui, c'est lui.

 

John Mail appela Lucas à une heure de l'après-midi. « Je suis là, en train de m'imaginer que les flics vont me tomber dessus d'une minute à l'autre. Même que j'achète ma nourriture au jour le jour pour ne pas gaspiller. Où êtes-vous, les gars ?

— On arrive », grogna Lucas. La voix commençait à lui taper sur le système. Il regardait sa montre tout en parlant, comptant les secondes. « On a parié sur le temps que vous alliez tenir. Personne n'a misé sur plus d'une semaine. Il faut qu'on gagne notre pari.

— Voilà qui est intéressant, nota Mail d'un ton enjoué. Vraiment, c'est très intéressant. Je vous préviens que je baise tant que je peux, parce que je risque de ne plus pouvoir pendant un bout de temps, après. À cause de ces vieux culs poilus qui m'attendent à Stillwater.

— C'est votre cul qui va y passer », aboya Lucas.

Le ton de Mail se fit glacial : « Oh, non, je ne crois pas. Je ne crois pas, Lucas.

— Ah bon ? Vous avez une formule magique ?

— Rien de tel. Mais une fois que les gens me connaissent, ils ne veulent plus me baiser. C'est la vérité. Hé, dites, il faut que j'y aille.

— Attendez une minute. Est-ce que vous prenez soin de ces femmes? C'est vous qui les séquestrez, cela vous donne une sacrée responsabilité. »

Mail hésita : «... Je n'ai pas le temps de parler. Mais oui, je m'en occupe. Quelquefois, elle me met en colère, mais d'un autre côté, j'ai l'impression que dans son subconscient elle m'aime bien. Elle m'a toujours aimé, mais elle s'en défendait. Elle a un complexe de culpabilité à cause de notre relation médecin-patient, mais enfin, elle était assise, là... » Il s'interrompit : « Il faut que j'y aille. » Dans un contexte différent, il m'aurait paru presque humain, songea Lucas en entendant le clic. Mais, dans l'état actuel des choses, il était tout simplement dément.

 

« Le feu, dit Lucas à Sherrill et Black, le feu et le sexe. Il a dû être interné quelque part. Il parle de Stillwater comme si... je me demande. Il ne sait pas exactement comment c'est, mais il en a entendu parler. »

Lester entra. « Il a appelé du secteur de Woodbury.

— Woodbury. C'est le 494, dit Lucas. Ce type se balade sur la ligne 494, donc il est quelque part dans le Sud.

— Oui. Nous avons réduit les possibilités à un million deux cent mille personnes.

— Cette histoire de feu et de sexe, reprit Sherrill. On en a un qui correspond exactement à ça.

— Tout à fait, renchérit Black en fouillant dans une pile de papiers. Ce type, John Mail. Laissez-moi regarder. Il avait quatorze ans quand elle le suivait... Hum. Ça lui ferait dans les vingt-quatre ans aujourd'hui. »

Lucas regarda Lester. «Ça colle parfaitement. L'heure d'écoute optimale pour un psychopathe. »

Lester tapota le dossier. « Mettons celui-ci de côté et examinons-le de près. »

 

Lucas consulta sa montre : bientôt deux heures. Presque deux jours depuis l'enlèvement. Il donna un tour de clé à la porte de son bureau, ferma les persiennes, tira les rideaux, posa les pieds sur la table et commença à réfléchir. Et plus il y pensait, plus la liaison téléphonique lui paraissait la meilleure des opportunités, dans l'immédiat.

Il ferma les yeux et visualisa la carte de la zone métropolitaine. Très bien : si l'on coordonnait tous les policiers de la zone, s'ils montaient le coup à l'avance, jusqu'à quel point pourraient-ils réduire le temps de réaction? Une minute? Quarante-cinq secondes ? Moins que ça, peut-être, s'ils avaient de la chance. Et s'ils le coinçaient dans un centre commercial, un endroit dont l'accès est contrôlé, avec juste une ou deux sorties, ils seraient en mesure de boucler l'endroit avant qu'il ait eu le temps de sortir sa voiture de là. Ils pourraient vérifier toutes les plaques minéralogiques du parking, contrôler chaque carte d'identité...

Lucas élaborait son plan quand une autre idée lui vint: qu'avait dit Dunn? Qu'il avait téléphoné à Andi quand elle était dans sa voiture? Andi Manette avait donc un portable ? De quel genre ? Un portable pour son sac ou un téléphone de voiture ?

Il se redressa dans son fauteuil, alluma sa lampe de bureau, appela Black, n'obtint pas de réponse, essaya Sherrill, idem. Il prit alors l'agenda d'Anderson, le feuilleta, trouva le numéro de Dunn, qu'il composa.

Un policier décrocha. « n doit être dans sa voiture, chef. »

Lucas nota le numéro, appela. Dunn répondit.

«Est-ce que votre femme a un téléphone cellulaire?

— Bien sûr.

— Il reste dans la voiture ou elle l'emmène partout?

— Elle le garde dans son sac », fit Dunn.