16

Lucas reposa d'un coup l'épais dossier et décrocha le téléphone. « Lucas Davenport.

— Oui, euh... Je joue à des jeux vidéo?» La femme avait une voix hésitante, un rien déconnectée. Ses déclarations prenaient la forme interrogative. « On m'a dit que je devrais vous parler?

— Oui?»

Il était impatient. Il attendait que la police de Los Angeles le rappelle avec des renseignements sur Francis Xavier Peter, l'acteur qui aimait allumer des incendies.

« Je crois, hum, je crois que j'ai vu le type sur la photo. J'ai joué à Donjons et Dragons avec lui il y a deux ou trois mois, dans la maison de cette fille. À Dinkytown ? »

Lucas se redressa aussitôt dans son fauteuil.

« Vous connaissez son nom, ou son adresse ?

— Non, mais il était avec cette fille, et nous étions chez elle, alors elle le connaît.

— Vous êtes sûre que c'est lui ?

— Je ne suis pas certaine, sauf pour les yeux... Les yeux sont les mêmes. La bouche est différente. Mais les yeux sont les siens? Et il savait vraiment jouer, un excellent maître du donjon, il connaissait

tout. Il avait peur. Il avait pris de la drogue ? Et il y a un truc que cette fille a dit, ça m'a fait penser qu'il avait suivi un traitement? »

Lucas consulta sa montre. « Où êtes-vous ? J'aimerais venir vous parler. »

Il nota l'adresse.

« Allez, Sloan, on file. »

Le grand maigre prit sa veste toute neuve, un nouveau ton de brun.

« Où ça? »

Lucas lui expliqua pendant qu'ils gagnaient la sortie. « Elle avait un drôle de ton, dit-il. Je ne crois pas que ce soit bidon. »

La femme habitait une petite résidence universitaire en face de la fac, de l'autre côté de la 1-494. Lucas gara la Plymouth grise sur un emplacement réservé aux pompiers, et ils entrèrent dans l'immeuble sur les talons d'une étudiante blonde vêtue d'une minijupe et d'un blouson de bowling. Ils s'arrêtèrent ensemble devant l'ascenseur, les deux policiers la guignant du coin de l'œil. Elle était extrêmement jolie, avec des yeux bleus en amande et un nez retroussé qui était peut-être naturel. La fille étudia les chiffres indiquant les étages, au-dessus de la porte de l'ascenseur, avec une attention soutenue. Personne ne dit mot. La cabine arriva, ils s'engouffrèrent à l'intérieur et tous les trois examinèrent les chiffres alignés au-dessus de la porte.

La fille descendit au troisième et leur sourit avant de s'éloigner. La porte se referma. « J'ai l'impression qu'elle m'a souri, dit Sloan.

— Tu permets. Je crois plutôt que c'est à moi qu'elle a souri.

— N'importe quoi. Tu étais devant, c'est tout. »

Cindy McPherson, la fan de jeux de rôles, était une campagnarde du Wisconsin à l'air un peu largué.

Elle était grande, avec le teint irréprochable, un gentil sourire un peu naïf ; vêtue de noir des pieds à la tête, elle portait autour du cou un lacet en cuir retenant une étoile à sept branches.

« Plus je regardais la photo, plus je me disais que c'était lui », expliqua-t-elle. Elle était assise tout au bord du canapé de l'Armée du Salut et parlait avec ses mains. Lucas eut l'impression que la robe noire dissimulait une ancienne championne de basket au lycée. « Il a un truc particulier dans le visage, poursuivit-elle. Comme un coyote — les yeux rapprochés et les pommettes. Il aurait été presque sexy mais c'était comme si quelque chose... manquait. Il n'était pas connecté avec nous. Enfin, avec Gloria, si. Elle le tripotait.

— Cette Gloria, quel est son nom de famille?

— Je ne sais pas, dit-elle en haussant les épaules. Je la vois avec des gens, on traîne parfois ensemble, mais ce n'est pas une de mes amies. Il y a deux, trois ans, on est allées dans des raves, au parc industriel par exemple, en haut de la 280. C'est là que je l'ai rencontrée. Je la voyais aussi à Dinkytown. Et puis je l'ai revue il y a environ deux mois, elle m'a dit qu'ils commençaient un nouveau jeu. Alors j'y suis allée, et c'était lui le maître du donjon.

— Vous pouvez nous montrer l'endroit? demanda Sloan.

— Bien sûr. Le nom de Gloria est sur la boîte aux lettres. Elle avait regardé dedans avant de monter l'escalier, et j'ai vu que c'était marqué Gloria quelque chose. »

Dinkytown est un îlot de commerces très fréquentés à la sortie du campus de l'université du Minnesota, des bâtiments de deux ou trois étages vendant des vêtements, des plats à emporter, des disques compacts, des produits pharmaceutiques et des photocopies. Ils se garaient en marche arrière dans un emplacement de parking lorsque McPherson tendit le doigt, montrant l'autre côté de la rue : « La voilà. C'est Gloria. Et c'est son immeuble. »

Gloria était une femme mince, voûtée, vêtue, comme McPherson, de noir des pieds à la tête. Et, comme McPherson, elle portait une amulette autour du cou. Mais, tandis que McPherson avait un joli visage ouvert et un teint de pêche à la crème, Gloria était sombre, saturnienne, avec une expression fermée, méfiante comme un renard.

« Attendez-nous ici, ou allez vous acheter un sandwich, ce que vous voudrez, dit Lucas à la jeune fille. Nous aurons peut-être d'autres questions à vous poser. »

Les deux policiers se faufilèrent entre les voitures et se hâtèrent vers la porte d'entrée de l'immeuble. Gloria était en train de refermer sa boîte aux lettres, une enveloppe verte entre les dents.

« Gloria? » demanda Lucas, la devançant. Elle prit son enveloppe et les regarda. « Oui ?

— Nous sommes officiers de police et nous...

— Apprécierions votre aide », conclut Sloan.

 

Gloria Crosby aurait pu être jolie, mais elle ne l'était pas : mal arrangée, pas très propre, une expression peu amène. Elle les conduisit avec mauvaise grâce jusqu'à son appartement du dernier étage. « J'ai travaillé à ma thèse, pas eu beaucoup de temps pour le ménage », dit-elle. Quand elle ouvrit la porte, une odeur de soupe à la tomate et de plumes d'oie jaillit de l'endroit, recouverte d'une couche de tabac et de marijuana.

« Vous prenez un peu d'herbe de temps en temps ? demanda Sloan d'un ton enjoué.

— Non, jamais », répondit-elle. Elle n'avait pas l'air très vive. « La marijuana vous rend encore plus bête que vous ne l'êtes. Il y a des gens qui font ce 1 choix, je leur dis très bien, mais moi, non.

— Pourtant, ça sent plutôt l'herbe par ici, remarqua Sloan.

— Il y a des gens qui sont venus me voir hier soir, ils ont fumé, admit-elle d'un ton détaché. Moi pas.

— Vous ne trouvez pas ça mal? demanda Lucas.

— Non. Et vous ? »

Lucas haussa les épaules et Sloan rit. Puis il enchaîna : « Il y a environ deux mois, vous avez joué à Donjons et Dragons ici avec cinq personnes. Le maître du donjon était cet homme. Nous avons besoin de connaître son nom. » Il lui tendit le portrait-robot.

Crosby prit la feuille, l'étudia longuement. Puis elle plissa le front et dit : « Ben, ce n'est pas lui, mais je vois de qui vous voulez parler. Il lui ressemble mais les yeux ne sont pas pareils. Il s'appelle... David. » Sa main retomba sur le côté. Elle se dirigea vers la fenêtre et regarda la rue en contrebas tout en tiraillant sa lèvre inférieure.

Lucas commença : « Qu'est-ce... »

Elle lui intima le silence en levant la main, sans quitter la rue des yeux. Au bout d'un moment, elle précisa : « David... Ellers. E-L-L-E-R-S. Bon sang, j'avais presque oublié. Ça en dit long sur mes rapports avec les mecs, non?

— Savez-vous...

— Comment êtes-vous au courant, pour le jeu ? » demanda-t-elle en se tournant vers eux. Elle semblait intéressée, mais pas autrement émue. Tellement calme, même, que Lucas se demanda si elle ne prenait pas des médicaments.

« Je suis dans l'industrie des jeux, en plus d'être flic », dit Lucas. Elle tendit le doigt vers lui, exprimant la première étincelle d'activité mentale depuis le début : « Davenport.

— Oui.

— Vous avez inventé quelques jeux drôlement malins, avant de vous mettre à l'ordinateur. Mais vos jeux informatiques sont à chier.

— Merci, fit Lucas sèchement. Vous savez où habite ce type ?

— C'est lui qui a embarqué la femme Manette?

— Eh bien, on enquête là-dessus...

— Je crois que vous frappez à la mauvaise porte. David venait du Connecticut et il se dirigeait vers la Californie.

— J'ai l'impression que vous le connaissiez assez bien », poursuivit Lucas.

Elle poussa un soupir, se laissa tomber sur un fauteuil. « C'est-à-dire, il est resté ici une semaine et il m'a sautée tous les jours, mais il n'est resté que cette semaine-là.

— Quel genre de voiture avait-il ? »

Elle ricana, laissant entrevoir une ombre de sourire, ou de grimace.

« Un mec qui voyage et joue à des jeux informatiques, en route vers la Californie ? À votre avis ? »

Lucas réfléchit un instant et risqua : « Une Harley.

— Exactement. Une Harley-Davidson sporster. Il a essayé de me rouler : il aurait adoré m'emmener avec lui, qu'il disait, mais il avait besoin de l'argent pour acheter un pot souple. Je lui ai dit de repasser me prendre quand il l'aurait. »

Elle n'avait pas beaucoup de détails concernant Davis Ellers : elle l'avait rencontré au McDonald's, où il discutait avec des gens au sujet du jeu MYST. Il ne savait pas où dormir, elle le trouvait bien, elle lui avait proposé de rester chez elle. Ce qu'il avait fait, pendant une semaine.

«J'ai vraiment regretté qu'il parte. Il était intense. » Il venait du Connecticut, expliqua-t-elle. « Je crois que ses parents avaient de l'argent, genre assurances, ou quelque chose comme ça. Il était de Hartford, peut-être. »

 

«Qu'en penses-tu?» demanda Lucas à Sloan quand ils se retrouvèrent dans la rue. McPherson avançait dans leur direction, mangeant un cheeseburger, un sac McDonald's à la main.

« Je ne sais pas, dit Sloan. Si elle a menti, elle est forte. Mais ça n'avait pas tout à fait l'air d'être la vérité non plus. Avec ces saletés de drogués, c'est dur à dire. Ils sont immunisés contre la peur. »

Ils arrivèrent à la voiture en même temps que McPherson. Elle leur proposa des frites et parut un rien chagrinée lorsque Sloan en prit quelques-unes. « Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle.

— Elle prétend qu'il était seulement de passage dans le coin, dit Lucas. Il s'appelle David Ellers, il vient du Connecticut et il était en route pour la côte ouest. »

McPherson avait généreusement mordu dans son cheeseburger, mais elle s'arrêta aussitôt de mâcher, jeta un coup d'oeil par la fenêtre de la voiture, secoua la tête en regardant Lucas, avala son morceau et se lécha les lèvres avant de dire : « Mon Dieu, quand vous avez dit ça, Connecticut, ça a fait tilt dans ma tête. J'ai demandé à ce type s'il connaissait mon copain David parce qu'ils étaient tous les deux de la même ville, Wayzata. Mais il a raconté qu'il était allé dans une école privée et qu'il ne le connaissait pas.

— Wayzata? répéta Sloan.

— Je suis à peu près sûre.

— Mais Gloria a dit qu'il s'appelait David. »

McPherson secoua la tête. « Ce n'est pas vrai. Je m'en serais souvenue, deux David venant de la même ville, ayant le même âge et tout. »

Sloan soupira et regarda Lucas. « Vraiment, c'est une honte, la façon dont les jeunes vous mentent de nos jours.

— Et les vieux, alors! répliqua Lucas. Et les adultes dans la force de l'âge. » Se tournant vers McPherson : « Allons-y. On va voir si elle se souvient de vous et si ça l'aide à se rappeler le vrai nom de ce type.

— Zut! J'aime pas trop qu'on me voie avec des flics, siffla McPherson.

— C'est ce qu'on vous a enseigné dans le Wisconsin ? demanda Sloan tandis qu'ils descendaient de voiture.

— Non. Ils m'ont appris que si je me perdais, je devais demander mon chemin à un flic. Quand je suis venue ici, à la fac, je me suis perdue et j'ai demandé à un flic. Il a voulu me ramener à la maison. Chez lui, je veux dire.

— Ce devait être un flic de Saint Paul, rétorqua Lucas. Allez, on y va. »

 

Ils reprirent le même escalier. Quand ils frappèrent à la porte de Gloria, ils n'obtinrent aucune réponse. « Elle est peut-être allée chez un voisin », hasarda Sloan. Mais ça n'en avait pas l'air. L'immeuble était silencieux, pas le moindre mouvement.

Lucas avança jusqu'au bout du couloir et regarda par une fenêtre. « Issue de secours », annonça-t-il. Une vieille échelle en fer était accrochée au flanc du bâtiment. Il essaya d'ouvrir la fenêtre juste au-dessus, qui glissa sans effort. « Ce n'est pas verrouillé de l'intérieur. L'échelle débouche sur l'arrière de l'immeuble. »

Il se pencha. Rien ne bougeait.

« Elle s'est taillée, constata Sloan.

— Et elle le connaît, dit Lucas. Prends par là. »

Sloan se précipita dans l'escalier, tandis que Lucas enjambait la fenêtre et descendait l'échelle de secours. Arrivé au premier palier, il dut reprendre son équilibre pour sauter et s'engager sur un passage étroit qui séparait l'immeuble du bâtiment voisin. La ruelle était encombrée de débris, de vieux papiers, de morceaux de bois, de bouteilles de vin et même d'une pancarte rouillée et tordue portant l'adresse d'une agence immobilière. Lucas regarda du côté de la rue puis de la ruelle qui courait derrière les immeubles. Si elle avait filé vers la rue, ils l'auraient vue. Il partit en courant dans l'autre sens, vers la ruelle, sautant par-dessus des crottes de chien séchées et un tas, à hauteur des genoux, qui ressemblait de loin à une litière de chats. La porte vitrée d'une pizzeria s'ouvrait au bout du passage. Derrière la vitre, un ado rinçait au jet des assiettes dans un évier en inox. Lucas poussa la porte. Une femme fumait une cigarette, appuyée à un comptoir. Le gamin leva les yeux. «Eh là! s'écria-t-elle. Vous n'êtes pas censé...

— Police, expliqua Lucas. Est-ce que l'un de vous a vu une femme descendre l'échelle de secours à l'arrière de l'immeuble qui est au fond de la ruelle ? Il y a cinq ou six minutes ? »

La femme et le plongeur échangèrent un coup d'œil. « Je crois bien, fit le gamin. Maigrichonne, habillée en noir?

— C'est cela, confirma Lucas. Vers où est-elle allée?

— Elle est partie par là, dit le gamin en pointant l'index.

— Elle avait l'air pressée?

— Oui. Elle allait au petit trot et elle portait un sac, genre sac de linge. Elle a tourné au coin. Qu'est-ce qu'elle a fait? »

Lucas partit sans répondre, courut jusqu'au coin. Il y avait un arrêt de bus, et personne pour l'attendre. Il traversa la rue en courant, entra dans une boulangerie, brandit son insigne et demanda à se servir du téléphone. Un gros type constellé de farine blanche l'emmena dans le fond et lui désigna un appareil mural. Lucas appela la coordination : « Elle a peut-être pris un bus, mais il se peut qu'elle soit à pied. Prévenez tout le monde : on recherche une grande jeune femme dans les vingt-cinq ans, le teint pâle, entièrement vêtue de noir, probablement pressée, qui porte sans doute un gros sac. Peut-être en toile, genre pour le linge. Réquisitionnez une voiture et donnez le signalement. »

De retour sur le trottoir, il regarda des deux côtés. Il y avait trois ou quatre femmes vêtues de noir. L'une d'elles aurait pu être Crosby, mais, quand elle se retourna pour traverser, Lucas, qui courait derrière elle, vit que ce n'était pas le cas. Une voiture de police passa comme un éclair : deux hommes regardant par la fenêtre. Lucas se retourna : il y avait des étudiants partout.

Trop d'étudiants vêtus de noir.

 

Lucas revint vers l'entrée de l'immeuble. Sloan tourna au coin de la rue et marcha à sa rencontre. Il secoua la tête, enleva son chapeau, se lissa les cheveux et dit : « Rien vu.

— Merde. C'est exactement la même chose qu'au magasin, l'autre jour. On était à ça », dit-il en montrant un espace d'un centimètre entre son pouce et son index. Il regarda l'immeuble. « Allons voir s'il y a un gardien. »

Un panneau d'affichage vitré leur indiqua que le gardien était au 3A. Sa femme les expédia au sous-sol, où ils le trouvèrent en train de fabriquer un cerf-volant.

Lucas lui exposa la situation et demanda : « Vous avez une clé de son appartement?

— Bien sûr. » Le gardien avait un fort accent allemand. Il apporta une dernière touche au cerf-volant, cala un assemblage de balsa dans un serre-joint et leur dit : « Benez bar ici. » Il ne fit aucune allusion à un mandat de perquisition.

McPherson attendait dans le couloir devant la porte de Gloria.

« Vous voulez prendre un taxi ? demanda Lucas.

— Eh bien...

— Voilà vingt dollars. Ça paiera le taxi et de quoi vous acheter à dîner, fit-il en lui tendant un billet. Et merci beaucoup. Si jamais quelque chose vous revient à l'esprit...

— J'ai votre numéro », dit-elle en opinant de la tête.

Le gardien les introduisit chez Gloria. Ils firent un tour rapide : un détail tracassait Lucas. Il avait vu quelque chose mais ne pouvait dire ce que c'était. Quelque chose que son œil avait enregistré au passage. Mais quand? Pendant qu'ils parlaient à Crosby ? Non. C'était juste à l'instant... il regarda autour de lui sans réussir à mettre le doigt dessus. Je me fais vieux, songea-t-il.

« Vous connaissez des amis à elle ? » demanda Lucas au gardien, sans trop y croire.

L'Allemand haussa les épaules avec affectation : « Moi ? Non. »

 

Ils frappèrent à toutes les portes de l'immeuble, le gardien à leurs basques. Peu de gens étaient chez eux et personne ne l'avait vue. Deux agents de patrouille se présentèrent, et Lucas leur précisa : « Allez-y avec le gardien. Il a le droit d'entrer chez elle, comme ça on n'a pas besoin de mandat. Fouillez tous les appartements sans exception. Ne touchez à rien, cherchez seulement la fille. » Comme ils s'éloignaient, il ajouta : « Regardez sous les lits », et l'un des flics répondit, un rien agacé : « Évidemment, chef. »

Lucas fronça les sourcils et se tourna vers Sloan : « Trouve la meilleure photo possible, rapporte-la au bureau et fais-la reproduire. Demande à Rose Marie de la communiquer à la presse.

— Et toi, qu'est-ce que tu vas faire?

— Je vais tout passer au peigne fin, voir ce que je peux trouver. Oh, demande aussi à quelqu'un d'appeler la compagnie du téléphone pour vérifier si elle vient de passer un coup de fil.

— D'accord. Et peut-être que je devrais me procurer un mandat.

— Oui, oui, oui. »

Sloan se mit en quête de la photo pendant que Lucas refaisait un tour. L'appartement comportait trois pièces — un salon prolongé par une kitchenette, une minuscule salle de bains et une petite chambre à coucher.

Une commode défraîchie, provenant probablement du dépôt de l'Armée du Salut, était adossée à un mur de la chambre. Plusieurs tiroirs étaient restés ouverts. Il avait jeté un coup d'oeil dans la chambre la première fois et ne se rappelait pas avoir vu des tiroirs ouverts. Elle avait donc emporté quelques vêtements. Il souleva le matelas, regarda dessous. Rien. Sortit les chaussures du placard, palpa les vêtements. Rien.

Il passa dans la kitchenette, inspecta l'intérieur du réfrigérateur, tira les bacs à glace. Vérifia tous les morceaux de papier à proximité du téléphone. Dix minutes plus tard, il était en possession d'une douzaine de numéros, la plupart griffonnés au verso de vieilles enveloppes, deux ou trois autres inscrits dans un répertoire. Il vérifia les indicatifs : aucun ne correspondait à Eagan, Apple Valley ou quelque endroit du voisinage. Il entassa les vieilles enveloppes et le répertoire sur le comptoir, et les signala à Sloan.

Il alla ensuite dans la salle de bains et explora l'armoire à pharmacie. Une douzaine de flacons marron remplis de gélules étaient alignés comme des pièces d'échecs sur l'étagère supérieure. « Elle prend de drôles de médicaments, cria-t-il à Sloan. Essayons de voir où elle se les procure et à quoi ils servent. Demande à quelqu'un d'interroger les pharmaciens du coin et aussi la pharmacie de l'université. Ça m'a l'air d'être de la camelote sérieuse, elle aura peut-être besoin de s'en procurer d'autres.

— D'accord. » Lucas ouvrit ensuite la porte d'un petit placard à linge — les femmes cachent toujours des trucs dans le linge, les réfrigérateurs et les tiroirs de commode. Il ne trouva rien d'intéressant.

Sloan passa la tête dans l'embrasure. « Elle n'aimait pas se faire photographier. » Il montra à Lucas une poignée de Polaroid et deux tirages sur papier. Elle était toujours en noir, presque toujours seule, appuyée à quelque chose. Les rares personnes figurant sur les photos étaient exclusivement des femmes.

« Prends le tout », ordonna Lucas. Il referma le tiroir avec force, et ils entendirent un bruit de verre brisé à l'intérieur.

« D'accord », dit Sloan. Puis : « Calme-toi, mon vieux. On la retrouvera tôt ou tard. Tu es en train de craquer.

— Elle le connaît, bon Dieu !» Il se détourna et donna un grand coup de pied dans le mur de la salle de bains. La pointe de sa chaussure entama le plâtre. Ils restèrent un instant à regarder le trou, et Lucas reprit : « Elle sait qui est ce salopard, où il se trouve, et nous, nous l'avons laissée filer. »