CHAPITRE XXXIII

Depuis le moment où il était sorti de prison, Koop se consumait de désir pour cette femme.

Il n’arrivait pas à penser à autre chose.

Il avait fait de la gymnastique, les muscles encore douloureux de son séjour derrière les barreaux, jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à se décontracter. Il avait pris une douche, et s’était remis à penser à Jensen.

Il était allé courir dans Braemar Park, sur les collines. Il était descendu dans un restaurant de la chaîne Arby’s, avait commandé un sandwich et était sorti sans. La vendeuse avait dû le rattraper sur le parking. Il pensait à Sara Jensen.

Ensuite, dans l’ascenseur, il s’était retrouvé dos à dos avec un grand type, Sara juste devant lui. À la moitié de l’ascension, elle avait fait un pas en arrière, avait encore frotté ses fesses contre lui. Oui.

Elle était au courant de son existence, aucun doute.

C’est la deuxième fois.

Pas d’erreur possible.

Koop roula dans les Cités jumelles, à peine conscient du trajet qu’il effectuait, et se retrouva en route vers l’immeuble de Jensen, juste après la tombée de la nuit. Il descendit la rue, et leva les yeux. La lumière ne se diffusait pas comme d’habitude. Elle avait à moitié tiré les rideaux de la chambre.

Koop eut la sensation du danger. Est-ce qu’ils avaient découvert son observatoire sur le toit ? Est-ce qu’ils l’attendaient là-haut ? Mais, si tel avait été le cas, elle n’aurait jamais tiré les rideaux. Ils auraient tout laissé comme d’habitude.

Quelle importance ?…

Il allait monter de toute façon.

– Il est entré, prévint Greave. Il avait une clé.

Greave était encore dehors, dans la fourgonnette. Del et Sloan avaient pris l’ascenseur dès qu’il était devenu clair que Koop cherchait à se garer. Sloan attendrait dans un appartement. Del était en route vers le toit.

– Il a attaqué le couple d’en face, cette femme de l’autre côté de la rue. Pour prendre les clés du type, dit Connell. Ça ne fait aucun doute.

– Oui, approuva Lucas.

Connell était assise par terre dans la cuisine, sous le buffet. Lucas était dans le couloir entre le salon et la chambre de Jensen. Celle-ci avait partiellement tiré les rideaux, ne laissant qu’une fente de soixante centimètres à la fenêtre. Lucas avait fait une objection :

– On devrait tout laisser comme d’habitude.

– Erreur, avait-elle répliqué. Je sais ce que je fais.

Elle paraissait si sûre d’elle-même qu’il l’avait laissée faire. Il se leva et avança vers sa chambre.

– Caméras, lança-t-il. Action !

Elle se leva. Elle portait un peignoir blanc en tissu-éponge, et exhibait des jambes et des pieds nus.

– Je suis prête, annonça-t-elle. Tenez-moi au courant de ce qu’il fait, dès que Del vous le dira.

Ils avaient décidé qu’elle lirait au lit. Koop verrait l’essentiel de la scène par la fente entre les rideaux. Elle prit des numéros du Wall Street Journal et de l’Investor’s Daily, les étala autour d’elle, et se laissa tomber sur le lit.

– Je suis un peu nerveuse.

– Souvenez-vous : quand je vous dis de sortir, vous sortez immédiatement.

Ils avaient obtenu la possibilité de se servir d’un autre appartement sur le même palier, chez une vieille femme que le gardien de l’immeuble leur avait indiquée. Elle avait accepté de les laisser utiliser son appartement, si elle pouvait y rester pendant l’action. Ça n’enchantait pas Lucas, mais elle n’avait pas voulu en démordre, et il avait fini par céder. Elle était là, en train d’ouvrir la porte à Sloan.

Greave attendait dehors, dans la fourgonnette, avec deux autres types du service de renseignements.

Si Koop pénétrait dans l’immeuble de Jensen, Greave et ses collègues couperaient le courant des ascenseurs avec la commande du poste d’entretien situé au rez-de-chaussée, avant de bloquer les issues. Del descendrait du toit, par l’escalier, se cacherait dans un placard sur le palier de Jensen.

Lorsque Koop arriverait chez Jensen, ils attendraient qu’il s’en prenne à la porte – qu’il essaie de l’ouvrir, de la crocheter, de la fracturer. Lucas donnerait alors le signal, Sloan marcherait sur Koop à un bout du couloir, et Del à l’autre. Lucas et Connell surgiraient de l’appartement. Quatre contre un.

Connell avait sorti son pistolet, pour une vérification de dernière minute. Elle l’avait chargé avec des balles de sécurité, qui faisaient de massifs cratères dans la viande, mais tombaient en morceaux dès qu’elles percutaient un mur. Elle tenait l’arme le canon en l’air, le doigt sur le morceau de métal qui protégeait la détente, la joue contre le magasin.

– Sur le toit. Il est sur le toit ! appela Del, posté sur celui de l’immeuble de Jensen.

Il haletait : il n’avait précédé Koop que de trente secondes. Il ajouta, un peu plus tard :

– Il est sur le climatiseur.

 

 

Koop se hissa, rampa jusqu’au conduit d’aération protecteur, jeta un regard de l’autre côté de la rue. Sara était là, sur le lit, en train de lire. Il l’avait vue faire ça au moins vingt fois, fouiner dans ses papiers. Il braqua le télescope Kowa sur elle et vit qu’elle scrutait de longues listes de chiffres. Sa concentration semblait intense. Elle tourna une page.

Elle portait un peignoir blanc en tissu-éponge, c’était la première fois qu’il le voyait. Ça lui plaisait. Ça faisait ressortir ses cheveux foncés, son teint mat, son air tragique, comme rien d’autre. Si ses cheveux avaient été mouillés, elle aurait ressemblé à une vedette de cinéma, sur un plateau…

– Il est sur le climatiseur, dit tranquillement Lucas à l’adresse de Jensen.

Rien dans son attitude ne montra qu’elle avait entendu, et pourtant, c’était le cas.

– Il l’observe au télescope, signala Del. Bon Dieu ! il doit avoir l’impression d’être avec elle dans la chambre.

– Je n’en doute pas, murmura Connell dans son casque radio.

Lucas la regarda : elle avait toujours la joue collée à la crosse de l’arme.

Jensen posa son journal et descendit du lit, se dirigea vers la salle de bains. Ça ne faisait pas partie du scénario.

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Lucas.

Elle ne répondit pas, fit couler l’eau dans la baignoire un petit moment, et revint. Le peignoir était ouvert. Lucas ne voyait que son dos, mais il avait l’intuition que…

 

 

Jensen sortit de la salle de bains. Le peignoir s’était ouvert, et elle ne portait qu’une culotte dessous. Ses seins étaient splendides dans le tissu-éponge, alternativement exposés et cachés. Elle était apparemment contrariée par quelque chose. Elle passa quelques minutes à faire les cent pas devant l’intervalle entre les rideaux, la poitrine parfois offerte au regard, parfois dérobée. C’était le meilleur strip-tease auquel Koop ait jamais assisté. Le cœur lui remontait dans la gorge chaque fois qu’elle passait devant la fenêtre.

Elle se laissa tomber sur le lit de nouveau, face à lui, appuyée sur le coude, un sein découvert, avant de se remettre à fouiner dans ses papiers. Puis elle roula sur le dos ; les jambes nues et repliées, les pieds à plat sur le lit, les genoux en l’air, la tête sur l’oreiller, le peignoir ouvert, les seins qui s’affaissaient sous leur propre poids…

Le tableau était si affolant que Koop grogna d’excitation. Il supportait à peine d’assister à cette scène. Il n’arrivait absolument pas à en détacher ses yeux.

 

 

Lucas déglutit, jeta un coup d’œil à Connell. Elle ne voyait rien de tout ça. Elle était assise en train de fixer le buffet sans le voir. Il retourna à Jensen. Les yeux de celle-ci s’étaient portés une fois vers lui, et il avait cru voir l’ombre d’un sourire sur ses lèvres. Doux Jésus ! Il se mit à ressentir ce que ressentait Koop, le magnétisme animal de cette femme. Il émanait d’elle une étrange séduction à l’italienne, de quoi vous mettre les hormones sur des charbons ardents. Comment avait-elle hérité d’un nom comme Jensen ? Il fallait que ce soit le nom de son ex-mari ; ce qui bouillonnait sur ce lit n’avait rien de Scandinave.

Lucas déglutit une deuxième fois.

S’il y avait eu un manuel de police politiquement correct, ce stratagème aurait été interdit. Mais Lucas n’avait rien à objecter : si ça ne forçait pas Koop hors de sa tanière, rien n’y parviendrait.

 

 

Sara sortit du lit, le peignoir toujours ouvert, alla dans la salle de bains, et ferma la porte. Quand elle faisait ça, il y en avait en général pour un moment.

Koop retomba derrière le conduit de ventilation, tenta d’allumer une cigarette. Se rendit compte que le tabac était mouillé, et qu’il était en nage.

Inutile d’insister. Il bandait comme jamais. Il chercha son couteau, appuya sur le cran d’arrêt. La lame jaillit comme une langue de serpent.

Il était temps d’y aller.

 

 

– Il est descendu, signala Del. Bon Dieu de merde ! Il est descendu. Il traverse le toit, il passe la porte.

– Vous avez entendu, Greave ?

– On l’a dans le collimateur.

Lucas entra dans la chambre.

– Sara. C’est le moment d’y aller.

Jensen sortit de la salle de bains, le peignoir fermé.

– Il va venir ?

– Peut-être. Il n’est plus sur le toit, en tout cas.

Elle se sentait vulnérable ; lui aussi, il avait assisté au spectacle.

– Mettez vos pantoufles.

Jensen mit ses pantoufles, prit un tas de vêtements dans les bras, son sac à main, et ils attendirent, attendirent… Elle se tenait près de Lucas, et il avait l’impression de la protéger, d’être son grand frère, en quelque sorte…

– Il a passé la porte, appela Greave. Il traverse la rue.

– Je descends, dit Del.

Greave :

– Il a aussi la clé de cet immeuble-là, il entre…

– Il arrive, annonça Lucas à Jensen. Allez-y.

Jensen sortit, courut en peignoir dans le couloir, avec son sac à main et ses vêtements, comme une môme courant faire la sieste. Connell s’était relevée. Elle revint au salon, avec le même air rêveur au fond des yeux, l’arme à la main…

Lucas l’accompagna, lui prit le bras.

– Ne faites pas de conneries. Vous avez l’air bizarre. Si vous lui tirez dessus, vous risquez de toucher Del ou Sloan. Ils vont arriver à toute vitesse…

Elle leva les yeux vers lui.

– D’accord.

– Écoutez, je ne plaisante pas, reprit-il brutalement. Ce n’est pas le moment de…

– Je vais très bien… Il y a longtemps que j’attends cet instant. Maintenant, il est à nous. Et je suis encore vivante.

Pas rassuré pour autant, Lucas la quitta, et passa dans la cuisine.

Dès que Koop ouvrirait, Lucas se propulserait dans l’ouverture avec tout le poids de son corps. L’impact de ce choc inattendu était censé renvoyer Koop dans le couloir. Del et Sloan surgiraient, et Lucas rabattrait la porte dans l’autre sens, se précipiterait dehors, sans laisser au tueur le temps de reprendre ses esprits. Greave et les deux autres arriveraient par l’escalier…

Ils le tenaient. Ils avaient peut-être déjà assez d’éléments pour un procès, rien qu’avec la violation de domicile, dans l’immeuble d’en face, et celle de la vie privée dont Koop s’était rendu coupable en épiant Jensen.

Mais s’il forçait la porte, ils pouvaient le coincer pour tout le reste. S’il tentait seulement de la forcer…

Koop entra dans l’immeuble et marcha rapidement droit sur la porte de service, l’ouvrit et prit l’escalier. Avant qu’elle ne se referme, il entendit flap-click. Quoi ? Il s’immobilisa, tendit l’oreille. Rien. Rien du tout. Il s’élança, s’arrêtant à chaque palier pour écouter, avant de monter jusqu’au suivant d’un pas feutré.

 

 

– Il a pris l’escalier, appela Greave. Il n’est pas dans l’ascenseur. Il est dans l’escalier.

– Bien reçu, dit Lucas. Del ?

– Je suis prêt.

– Sloan ?

– Prêt.

 

 

Koop grimpait l’escalier de béton en colimaçon. Qu’est-ce que c’était ce flap-click ! Ça ressemblait à une course dans l’escalier, un pas précipité et une porte qu’on refermait. De quoi qu’il ait pu s’agir, ça venait de là-haut. Peut-être même de l’étage de Jensen. Koop arriva en haut, tendit la main vers la poignée de porte. Et s’interrompit. Flap-click ?

Il y avait encore une volée de marches au-dessus de lui, qui menait au toit de l’immeuble. Est-ce qu’il était si pressé que ça, au fond ? Non, pensa-t-il. Monte-en-l’air : lentement mais sûrement…

Il monta le dernier étage, se servit de sa clé – celle de Sara – pour accéder au toit. Belle nuit. Les étoiles brillaient doucement, l’air était chargé d’humidité, un reste de la tiédeur de la journée. Il avança silencieusement jusqu’au bord. L’appartement de Jensen, c’était le troisième balcon en partant du bout.

Il regarda dans le vide. Le balcon de Jensen était à quatre mètres environ au-dessous de lui. Une chute d’un mètre cinquante, s’il s’accrochait au rebord. Rien du tout. Sauf s’il le manquait – dans ce cas-là, c’était l’éternité qui l’attendait en bas. Mais il ne pouvait pas le manquer. Le balcon faisait deux mètres de large et quatre de long.

Il regarda l’immeuble d’en face, où il avait passé tant de nuits délectables. Il y avait quelques lumières, encore, mais peu de fenêtres dont les rideaux n’aient pas été tirés, et personne devant.

Quatre mètres. Flap-click.

– Putain, où est-ce qu’il est ? demanda Del, dans son placard. Greave ? Vous le voyez.

– Il doit être dans l’escalier, répondit Greave. Vous voulez que j’aille voir ?

– Non, non, ne bougez pas, intervint Lucas.

Connell écoutait cette conversation dans les écouteurs, et faillit ne pas entendre le léger whop à cinq ou six mètres de distance. Avec le « Non, non » de Lucas dans les oreilles, elle ne sut même pas d’où ça venait, et lança un regard sur la droite sans réfléchir.

 

 

Koop atterrit devant la porte vitrée ouverte du balcon, sur les pieds, en pliant les genoux pour amortir le choc. La première chose qu’il vit, là, dans l’aquarium, ce fut une blonde, un pistolet près du visage, en train d’attendre, en face de la porte d’entrée.

Koop n’eut pas besoin de réfléchir. Il savait. Il n’y avait plus d’échappatoire. La rage était en lui, à fleur de peau, prête à éclater.

Koop hurla et s’avança vers la femme appuyée contre le mur, au pas de charge…

 

 

Lorsque Connell le vit enfin, il n’était plus qu’à deux mètres cinquante, elle n’eut qu’une fraction de seconde pour réagir. Le hurlement qu’il avait poussé la paralysa, les mots qui résonnaient encore à ses oreilles aggravèrent la confusion, et Koop la frappa juste après, du plat de la main, sur le côté de la tête. Le coup l’étourdit, la sonna pour le compte, puis il fut sur elle, le sang emplit sa bouche, et le pistolet avait disparu.

 

 

Lucas entendit le hurlement, se retourna, vit Koop franchir d’un bond la distance qui le séparait du salon, hurla « Il est là, il est là ! » dans la radio, et courut vers l’endroit où Koop et Connell, emmêlés, s’affrontaient. Le pistolet de cette dernière tomba, dérapa sur la moquette, et disparut à moitié sous le canapé. Koop lui tournait le dos, penché sur Connell. Lucas ne pouvait pas se servir de son arme, pas avec Connell à proximité ; il choisit de la lever au-dessus de sa tête et de cogner sur la nuque de Koop. Celui-ci sentit venir le coup : il se tourna à moitié en se redressant, un œil localisant Lucas, et l’arme prête à s’abattre. Koop eut le temps de rentrer la tête, de lever l’épaule pour se couvrir, le canon du pistolet l’atteignit dans le gras du muscle, il se rétablit sur ses pieds, et se jeta sur Lucas.

Ça n’était pas un match de boxe. Koop s’élança vers Lucas, et celui-ci le cueillit avec un large crochet du gauche, qui ne ralentit pas plus le tueur que si on l’avait frappé avec de la guimauve. Les bras de Koop se nouèrent autour des côtes du policier.

Lucas et Koop chancelèrent, soudés l’un à l’autre comme des danseurs ivres, rebondissant contre le mur de la cuisine, la pression écrasante des bras de Koop autour de sa poitrine broyant les côtes de Lucas. Celui-ci le frappa légèrement à la tempe avec le pistolet, sans avoir assez de puissance pour réussir un coup décisif. Quand il eut l’impression que sa colonne vertébrale allait céder, il pressa l’arme contre l’oreille de Koop et appuya sur la détente. La balle alla se perdre dans le plafond.

La détonation, à quelques millimètres de son oreille, rejeta la tête de Koop en arrière, le sonna, ce que les coups n’avaient pas réussi à faire. Lucas put enfin respirer, mais mal : une douleur fulgurante lui traversa la poitrine de part en part, comme si un os avait été touché. Des côtes cassées. Il inspira et martela le visage de Koop, qui recula d’un pas, avant de cueillir Lucas d’un court crochet dans les côtes. Lucas les sentit céder sous l’impact, se sentit partir en arrière, rentra les coudes pour se protéger dans un geste dérisoire. Il bloqua un coup de cette manière, frappa faiblement Koop au visage, le coupant sans le stopper, et le tueur se remit à le broyer dans son étreinte ; Lucas se tortillait, essayait de taper, ils rebondissaient tous les deux au petit bonheur dans la cuisine. Lucas entendait les autres cogner contre la porte d’entrée de l’appartement, hurler au-dehors, il se contorsionna pour regarder dans cette direction, Koop l’écrasait, le broyait…

 

 

Connell atterrit sur le dos de Koop. Elle avait des ongles courts et carrés, mais de grandes mains et des doigts puissants qu’elle enfonça dans les petits yeux du tueur, à quelques centimètres du visage de Lucas. Il vit les doigts plonger loin dans les orbites, et pensa, quelque part dans un coin de sa tête : Bon Dieu, elle lui a crevé les yeux !… Et elle planta ses dents à la base du cou de Koop, le visage déformé par la haine, comme un animal enragé.

Koop cria et lâcha Lucas qui le frappa encore au visage, le coupant une nouvelle fois, toujours sans parvenir à l’envoyer à terre. Les doigts de Connell s’enfoncèrent plus profondément dans les yeux du tueur, et celui-ci se baissa brusquement, tentant de la projeter par-dessus lui. Ses pieds quittèrent le sol et se nouèrent autour de la taille du tueur, ses doigts cherchant à perforer le crâne, et Koop hurlait, se débattait, tandis que Lucas se rapprochait, sans cesser de lui cogner dessus.

Puis Koop frappa à l’aveuglette d’une large manchette du revers de la main qui cueillit Lucas sur le côté de la tête pendant qu’il avançait. Il perdit conscience pendant un moment, comme si on avait éteint dans toute la maison. Tout devint noir, et il perdit l’équilibre, roula au sol, allant heurter le buffet ; se remit sur pied tant bien que mal, retourna vers les deux corps emmêlés. Koop essayait de se débarrasser d’elle.

Mais elle était toujours à califourchon sur le tueur, et elle poussait des cris stridents, comme une folle…

La porte s’ouvrit à la volée et Sloan surgit, le pistolet à la main, pointé sur eux, Lucas vacillant devant lui tandis que Koop chancelait en arrière, en direction du balcon.

Connell le sentit heurter la rambarde du balcon, juste au-dessous des hanches. Elle baissa les yeux. Elle était dans le vide. Elle dénoua ses jambes, se mit debout sur la rambarde, vit Lucas s’approcher…

Et celui-ci hurla :

– MEAGAN !…

Connell, toujours agrippée à Koop, détendit ses jambes puissantes, rua en arrière, et ils passèrent tous les deux pardessus la rambarde, s’enfonçant dans la nuit.

 

 

Lucas, à deux pas, plongea en avant, réussit à toucher le pied de Koop, qui lui échappa des mains, entra lui-même en collision avec la rambarde, sentit que Sloan le rattrapait. Il se pencha et les vit tomber.

Connell avait les yeux ouverts. Elle avait relâché son étreinte autour de la tête de Koop pendant la chute, et, à la fin, leurs deux corps aux membres épars se superposaient, formant une étoile, comme des parachutistes en chute libre.

Jusqu’au trottoir.

Et pour toujours.

– Jésus-Christ Tout-Puissant ! fit Sloan.

Son regard passa de Lucas à la rambarde et revint se poser sur Lucas. Le sang coulait du nez de ce dernier, dégoulinait sur sa chemise, il était penché au balcon, blessé, une épaule cinquante centimètres plus bas que l’autre…

– Bon Dieu ! Lucas…