CHAPITRE VIII

Tard dans l’après-midi, le soleil chauffait encore les trottoirs de la ville. Greave ne voulait pas y aller.

– Écoutez, je ne vous serai pas d’un grand secours. Je ne sais pas dans quoi vous êtes embarqué avec Connell, ni ce que vous avez en tête – mais je veux m’occuper de ce que j’ai à faire. Et je suis déjà allé visiter une putain de décharge aujourd’hui.

– On a besoin d’une personne supplémentaire qui soit au courant de ce qui se passe dans cette affaire, expliqua Lucas. C’est vous. Je veux qu’il y ait quelqu’un d’autre que nous qui voie ces gens et qui leur parle.

Greave se frotta les cheveux avec ses deux mains, avant de répondre.

– D’accord, d’accord, je vais venir. Mais… si on a le temps, on s’arrête devant mon immeuble, ça marche ?

Lucas haussa les épaules.

– Si on a le temps.

 

 

Connell attendait au coin de la rue de Woodbury sous une enseigne de Lavomatic, habillée dans le plus pur style puritain, en noir et blanc. Elle portait encore son énorme sac à main. Les bâtiments d’un centre de révision pour automobiles s’étendaient en longueur plus bas dans la rue.

– Ça fait longtemps que vous êtes là ? demanda Greave.

Il boudait encore.

– Une minute.

Elle était à cran, la tension masquant sa profonde lassitude. Elle n’avait pas dormi de la nuit, songea Lucas. Elle l’avait passée à parler à la télé. À mourir.

– Vous avez discuté avec Saint Paul ? demanda-t-il.

– Ils en sont au point zéro, déclara Connell, d’une voix où perçait son impatience. Le flic présent dans la librairie ce jour-là est un type de chez eux. Il boit trop, il trompe sa femme. Un type, là-bas, m’a raconté qu’ils en étaient venus aux mains, lui et elle. Je crois qu’une de leurs bagarres est assez célèbre dans la brigade – sa femme lui avait cassé deux dents avec un fer à repasser, et il l’a poursuivie dans la cour de l’immeuble avec un manche à balai, ivre, en train de pisser le sang. Les voisins ont appelé les flics. Ils croyaient qu’elle lui avait tiré dessus. C’est ce que j’ai entendu dire.

– Alors, qu’est-ce que vous en pensez ?

– C’est un salopard, mais il y a peu de chances que ce soit lui. C’est aussi un type assez vieux, pas du tout en forme. Il fumait des Marlboro mais il a arrêté, il y a dix ans. Ce qu’il y a surtout, c’est que Saint Paul le couvre à fond. On les a appelés chez lui une demi-douzaine de fois, mais il n’y a jamais eu d’inculpation.

Lucas secoua la tête, et regarda le centre de révision.

– Et le témoin, la femme ?

– Mae Heinz. Elle m’a dit au téléphone qu’elle avait vu un type avec une barbe. Petit. L’air costaud.

Lucas entra le premier, ouvrant la marche, dans un long bureau plein de catalogues de pièces détachées, de pneus, de pots d’échappement, et de l’odeur habituelle, un jumelage d’antigel et de liquide de transmission. Heinz était une femme enjouée aux joues rondes, au teint rose parsemé de taches de rousseur. Elle était assise derrière le comptoir, les yeux écarquillés, pendant que Connell lui parlait du meurtre.

– J’ai parlé à cette femme, raconta Heinz. Je me souviens qu’elle a posé une question…

– Mais vous ne l’avez pas vue partir avec un homme ?

– Elle était toute seule quand elle est partie. Je l’ai vue.

– Il y avait beaucoup d’hommes, ce soir-là ?

– Ouais, pas mal. Il y avait un type avec un catogan et une barbe, il s’appelait Carl, il a posé beaucoup de questions sur les porcs et il avait les ongles sales, alors, il ne m’intéressait pas beaucoup. Il y avait un type dans l’informatique, un blond assez fort, je l’ai entendu parler à quelqu’un.

– Meyer, dit Connell à Lucas. Je lui ai parlé ce matin. Il est en dehors du coup.

– Plutôt mignon, commenta Heinz, à l’intention de Connell, avec un clin d’œil. Si vous aimez les intellectuels.

– Et celui qui…

– Il y avait un flic, le coupa Heinz.

– Je m’en occupe, dit Lucas.

– Il y avait aussi deux types qui restaient ensemble, et je me suis dit qu’ils devaient être homosexuels. Je crois qu’ils étaient architectes, ou paysagistes ou quelque chose comme ça, parce qu’ils discutaient à propos de la densité des terrains destinés à la construction avec l’auteur.

– Et le type à la barbe, ajouta Connell, lui soufflant sa réplique.

– Ouais. Il est arrivé pendant le débat. Et il a dû partir aussitôt, parce que je ne l’ai pas revu. Je le cherchais un peu. Doux Jésus – j’aurais pu mourir ! Je veux dire : si je l’avais retrouvé.

– Il était grand, petit, gros, maigre ?

– Une stature imposante. Pas grand, mais bien bâti. Grosses épaules. Barbu. Je n’aime pas les barbus, mais les épaules me plaisaient bien. (Elle fit de nouveau un clin d’œil à Connell, et Lucas masqua un sourire en se grattant le visage.) Mais surtout, dit-elle à Connell, vous avez demandé s’il fumait, et je l’ai vu jeter sa cigarette dans la rue. Je l’ai vu faire. Il l’a jetée avant de pousser la porte.

Lucas regarda Connell et lui fit un signe de tête. Heinz surprit le geste.

– C’était lui ? demanda-t-elle d’une voix surexcitée :

– Est-ce que vous le reconnaîtriez si nous vous montrions un portrait de lui ? interrogea Lucas.

Elle inclina la tête et regarda sur le côté, comme si elle se passait une bande-vidéo dans la tête.

– Je ne sais pas, répondit-elle au bout d’une minute. Peut-être, si je voyais une vraie photo. Je me souviens de la barbe et des épaules. Sa barbe avait une drôle d’allure. Courte mais très dense, comme de la fourrure… Je me suis dit que c’était plutôt déplaisant. Peut-être une fausse barbe. Je ne me souviens pas bien de son visage. Bosselé, je crois.

– Une barbe claire ou foncée ?

– Mmm… foncée. Entre les deux, en fait. Une couleur assez commune, je pense… brun.

– Parfait, fit Lucas. Il va falloir mettre ça noir sur blanc. Et vous faire rencontrer un portraitiste. Vous avez le temps de venir à Minneapolis ?

– Bien sûr. Tout de suite ? Je vais prévenir mon patron.

Pendant qu’elle allait prévenir son patron, Connell tira Lucas par la manche.

– Ça doit être lui. Il fume, il arrive après le débat, et s’en va tout de suite. Wannemaker reste un peu, mais s’en va brusquement, comme si quelqu’un était arrivé.

– Je ne compterais pas trop là-dessus, à votre place, dit Lucas. (Mais il comptait là-dessus. Il le sentait, une odeur avant-coureuse, une bouffée dans le sillage du tueur.) Il faut qu’on lui fasse examiner les fichiers de criminels sexuels.

La femme revint, le visage très animé.

– Comment voulez-vous qu’on fasse ? Vous voulez que je vous suive ?

– Laissez-moi vous emmener, proposa Connell. On aura le temps de discuter en chemin.

 

 

Greave voulait qu’ils s’arrêtent sur le chemin du retour pour que Lucas puisse s’attaquer au mystère de la pièce fermée.

– Allez, mon vieux, c’est juste une histoire de vingt minutes, pas plus ! On sera de retour avant qu’elle en ait fini avec le portraitiste. Allez, mon vieux, ça me tue, cette histoire.

Lucas lui jeta un coup d’œil : mains jointes, costume à la dernière mode. Il soupira.

– D’accord. Vingt minutes.

Ils prirent l’Interstate 94 jusqu’à Minneapolis, et, vers l’hôtel de ville, bifurquèrent en direction du sud au lieu du nord. Greave le dirigea dans un dédale de rues jusqu’à un immeuble en béton de hauteur moyenne datant des années cinquante avec une pancarte en bois gravé à la main sur l’étroite pelouse devant l’entrée. Au sommet de l’écriteau figurait un canard au-dessous duquel on pouvait lire : Eisenhower Docks. Un gros homme s’éloignait en poussant une tondeuse sur la pelouse, laissant dans son sillage une odeur d’essence et de cigare bon marché.

– Eisenhower Docks ? interrogea Lucas en sortant de la voiture.

– En montant sur le toit, on peut voir la rivière, expliqua Greave. Et ils se sont dit qu’Eisenhower, ça ferait plaisir aux personnes âgées.

L’homme qui poussait la tondeuse fit demi-tour au bout de la pelouse et s’apprêta à refaire le trajet en sens inverse. Lucas reconnut Ray Cherry. Il avait pris une vingtaine de kilos depuis l’époque où il boxait dans le tournoi des Gants d’Or, dans les années soixante. L’essentiel de ce poids excédentaire était concentré dans le ventre, qui pendait pardessus la taille d’un jean sans ceinture. Son visage, carré à l’origine, était devenu massif, et une demi-douzaine de plis de graisse roulaient de la nuque aux épaules. Son tee-shirt était trempé de sueur. Il vit Davenport et Greave, poussa la tondeuse jusqu’à leurs pieds, et coupa le moteur.

– Qu’est-ce que tu fais par ici, Davenport ?

– Je fouine un peu, Ray, répondit Lucas en souriant. Comment ça va ? Tu as grossi.

– Tu n’es plus flic, alors dégage, je suis chez moi.

– Je suis de retour dans la police, Ray, rectifia Lucas sans cesser de sourire. (Voir Ray le mettait en joie.) Tu devrais lire les journaux. Chef adjoint, chargé de trouver comment tu as tué la vieille dame.

Le visage de Cherry prit un air particulier, comme une ombre fugitive, où Lucas reconnut quelque chose qu’il avait déjà vu des centaines de fois : Cherry était coupable. Celui-ci chassa l’expression de ses traits, tenta de prendre un air abasourdi, sortit un chiffon souillé de sa poche et se moucha.

– Des conneries, finit-il par dire.

– Je vais t’avoir, Ray, le prévint Lucas. (Le sourire était toujours sur ses lèvres mais sa voix était devenue froide.) Les Joyce aussi, je les aurai. On va vous enfermer à la prison de Stillwater. Tu dois approcher la cinquantaine, Ray. Meurtre au premier degré, ça va te coûter… merde, ils viennent de changer les lois. Pas de chance. Tu auras dépassé quatre-vingts ans avant de sortir.

– Je t’emmerde, Davenport, éructa Cherry.

Il démarra la tondeuse.

– Tu devrais venir tout me raconter, Ray, lui conseilla Lucas par-dessus le bruit du moteur. Dès qu’ils penseront que ça peut les aider à s’en sortir, les Joyce te vendront sans hésiter. Tu le sais bien. Viens me parler, et on pourra peut-être passer un marché tous les deux.

– Va te faire foutre ! grogna Cherry en se remettant à tondre la pelouse.

– Charmant garçon, commenta Greave en prenant un accent anglais faussement distingué.

– Il est coupable, déclara Lucas.

Il se tourna vers Greave et celui-ci recula d’un pas : le visage de Lucas avait l’air taillé dans la pierre.

– Hein ?

– Il l’a tuée. Voyons voir l’appartement.

Lucas se dirigea vers la porte, et Greave s’élança derrière lui.

– Hé, attendez une minute, attendez une minute !…

Il y avait des milliers de livres dans l’appartement, un tapis oriental roulé attaché avec de la ficelle brune, et quinze cartons de rangement encore aplatis. Une femme entre deux âges aux traits tirés était assise sur un tabouret de piano, un foulard sur la tête ; elle avait un visage buriné par le vent et le soleil, comme celui d’un jardinier, où se lisait le chagrin. La fille de Charmagne Carter, Emily.

– … dès qu’ils ont dit qu’on pouvait déménager tout ça. Si on ne le fait pas, il faut continuer à payer le loyer, expliqua-t-elle à Greave. (Elle regarda autour d’elle.) Je ne sais pas quoi faire des livres. J’aimerais bien les garder, mais il y en a tellement…

Lucas avait jeté un coup d’œil à la bibliothèque : littérature américaine, poésie, essais, histoire. Des ouvrages sur le féminisme, disposés de telle manière qu’on était enclin à croire qu’il s’agissait d’une simple collection, plutôt que d’un choix de lectures.

– Je pourrais vous débarrasser de quelques-uns, proposa-t-il. Je veux dire : si vous fixiez un prix. Je prendrais la poésie.

– Qu’en pensez-vous ? demanda Emily Carter, tandis que Greave le regardait d’un air curieux.

– Il y a… (Il compta rapidement.)… Trente-sept volumes, brochés pour la plupart. Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de particulièrement rare. Cent dollars, ça vous irait ?

– Laissez-moi y jeter un coup d’œil. Je vous appellerai.

– Parfait. (Délaissant les livres, il se tourna plus franchement vers elle.) Votre mère était-elle déprimée, ou quelque chose comme ça ?

– Si vous voulez savoir si elle s’est suicidée, la réponse est non. Pour commencer, elle n’aurait jamais fait ce plaisir-là aux Joyce. Mais surtout, elle aimait la vie qu’elle menait, répondit Carter. (Elle s’anima à mesure que les souvenirs lui revenaient en mémoire.) On avait dîné ensemble le soir précédent, et elle parlait d’un gamin dans sa classe, un Noir, elle pensait qu’il pourrait devenir romancier, mais qu’il fallait qu’on l’encourage… Impossible qu’elle se soit tuée. D’ailleurs, même si elle avait voulu se suicider, comment est-ce qu’elle s’y serait prise ?

– Ouais. Bonne question, admit Lucas.

– La seule chose qui n’allait pas chez maman, c’était la thyroïde. Elle avait un petit problème d’hyperactivité et elle avait tendance à perdre du poids. Ça et l’insomnie. Qui avait peut-être un rapport avec la thyroïde.

– Elle était malade, alors ?

Lucas jeta un regard oblique à Greave.

– Non, non, elle n’était pas vraiment malade. Même pas assez pour prendre des médicaments. Elle était trop maigre, c’est tout. Elle pesait quarante-cinq kilos pour un mètre soixante. C’était au-dessous de son poids idéal, mais elle n’était pas émaciée, ni rien de ce genre.

– D’accord.

– À présent, plus personne ne va aider ce gamin, le romancier, se lamenta Emily, et une larme lui coula sur la joue.

Greave lui donna une tape amicale sur l’épaule – le policier sympa –, et Lucas se détourna, les mains dans les poches, se dirigeant vers la porte. Il n’avait rien trouvé dans l’appartement.

– Vous devriez discuter avec Bob, l’appartement suivant, dans le couloir, conseilla Emily.

Elle ramassa un rouleau adhésif et un carton dont elle fit un cube ; arracha un morceau de chatterton ; on aurait dit qu’elle avait déchiré un drap.

– Il est passé juste avant votre arrivée.

– Bob était un ami de Charmagne, expliqua Greave à Lucas. Il était venu ici dans la soirée, la nuit où elle est morte.

Lucas hocha la tête.

– D’accord. Je suis désolé pour votre mère.

– Merci. J’espère que vous les aurez, ces… ces salauds, déclara Emily, la voix réduite à un sifflement.

– Vous croyez qu’on l’a assassinée ?

– Il s’est passé quelque chose, dit-elle.

 

 

Bob Wood était lui aussi professeur, il enseignait la physique et la chimie à Central, à Saint Paul. Il était mince, perdait ses cheveux, avait l’air inquiet.

– On va tous s’en aller, maintenant que Charmagne n’est plus là. La ville va nous indemniser, mais je ne sais pas combien. Les prix sont au plus bas.

– Est-ce que vous avez entendu quelque chose cette nuit-là ?

– Non, rien. Je l’ai vue vers dix heures, ce soir-là, on avait tous les deux descendu les poubelles et on a pris l’ascenseur ensemble pour remonter. Elle allait se coucher aussitôt après.

– Elle n’était pas déprimée ?…

– Non, non, elle était assez en forme. Je vais vous répéter ce que j’ai déjà dit aux autres policiers : quand elle a fermé la porte j’ai entendu claquer le verrou de sécurité. On ne pouvait verrouiller que de l’intérieur, et il fallait avoir la clé. Je le sais parce que, depuis qu’elle l’avait installé, elle craignait d’être enfermée en cas d’incendie. Mais Cherry lui a fait peur, un jour – il l’a juste regardée, je crois, mais elle a eu peur –, et elle s’est mise à fermer le verrou. J’étais là le jour où ils l’ont posé. Il a fallu qu’ils enlèvent un bout du mur. Ils ont repeint, mais on peut encore voir les contours du trou.

On distinguait vaguement un endroit replâtré sur le mur. Lucas y toucha, et secoua la tête.

– S’il s’était passé quoi que ce soit chez elle, j’aurais forcément entendu, fît remarquer Wood. On a un mur en commun dans la chambre à coucher, et la climatisation était en panne depuis deux jours. Il n’y avait aucun bruit. La nuit était étouffante, et d’un calme effrayant.

– Alors, vous pensez qu’il s’agit d’une mort naturelle ?

Wood déglutit deux fois de suite, sa pomme d’Adam coulissant de haut en bas.

– Bon Dieu, je n’en sais rien ! Quand on connaît Cherry on pense forcément à… Bon Dieu !

Dans la rue, Lucas et Greave regardèrent une petite fille faire de la bicyclette, elle tomba, releva le vélo, l’enfourcha de nouveau, et retomba.

– Elle a besoin de quelqu’un pour courir derrière elle, observa Greave.

Lucas grogna.

– On en est tous là, non ?

– Grand philosophe, hein ?

Lucas dit :

– Wood et Carter avaient une cloison commune.

– Oui.

– Vous avez observé Wood ?

– Ouais. Il trouve les bandes dessinées du journal du matin ultra-violentes.

– Il se pourrait qu’il y ait quelque chose à chercher dans cette direction. Qu’est-ce qu’on peut faire avec une cloison commune ? Enfoncer une aiguille pour diffuser un gaz, ou un truc dans ce goût-là ?

– Hé, Davenport ! L’analyse toxicologique n’a rien donné, objecta Greave avec âpreté. Cette putain d’analyse toxicologique n’a rien donné. Vous pouvez chercher à « toxicologie » dans le dictionnaire, il y a une photo de la vieille dame, et la légende dit : « Pas elle ».

– Ouais, ouais…

– Elle n’a été ni empoisonnée, ni gazée, ni poignardée, ni abattue d’un coup de feu, ni étranglée, ni battue à mort… Qu’est-ce qu’il y a d’autre ?

– Et l’électrocution ? suggéra Lucas.

– Hum. Et comment est-ce qu’ils s’y seraient pris ?

– Je ne sais pas. Raccorder des fils à son lit, les faire passer sous la porte, et quand elle s’est mise au lit, zap, ensuite ils ont enlevé les fils.

– Excusez-moi si je ricane, répliqua Greave.

Lucas se tourna vers l’immeuble.

– Laissez-moi réfléchir un peu plus.

– Mais Cherry est coupable ?

– Ouais.

Ils regardèrent la pelouse. Cherry était à l’autre bout, agenouillé sur une tondeuse réduite au silence, occupé à bayer aux corneilles et à les observer.

– Aussi sûr que deux et deux font quatre.

 

 

Lucas jeta un coup d’œil à sa montre quand ils retournèrent à la voiture : ils étaient restés dans l’immeuble presque une heure.

– Connell va me faire la peau, soupira-t-il.

– Ah ! c’est une chieuse, commenta Greave.

Ils croisèrent Mae Heinz sur le parking. Elle montait dans sa voiture. Lucas klaxonna, l’appela.

– Comment ça s’est passé ?

Heinz approcha.

– Cette femme, l’agent Connell… Elle a une présence assez forte.

– Oui. Elle est comme ça.

– On a fini par avoir un dessin, mais…

– Quoi ?

Heinz secoua la tête.

– Ce dessin, je ne sais plus si c’est moi qui l’ai fait ou elle. Ce qu’il y a, c’est qu’il est trop spécifique. Je me souviens à peu près du type à la barbe, mais maintenant on a tout un portrait, et je ne sais pas s’il est fidèle ou non. Il me semble fidèle, mais je ne sais plus si je m’en souviens vraiment ou si c’est seulement parce qu’on a essayé toutes sortes d’images.

– Est-ce qu’on vous a fait voir les photos du fichier, les gueules ?…

– Non. Pas encore. Il faut que j’aille chercher mon gamin à la crèche. Mais je reviens ce soir. Et l’agent Connell me recevra.

Connell attendait dans le bureau de Lucas.

– Bon Dieu, vous étiez où ?

– On a fait un détour. Pour une autre affaire.

Les yeux de Connell s’étrécirent.

– Greave, hein ? Je vous avais prévenu. (Elle tendit une feuille de papier à Lucas.) C’est lui. C’est notre homme.

Lucas déplia la feuille et l’examina. Le visage qu’il avait sous les yeux était plutôt carré, avec une barbe drue et foncée, de petits yeux, et un nez dur, triangulaire. Les cheveux étaient mi-longs et foncés.