CHAPITRE XXX

Lucas et Connell assistèrent à l’arrestation sur le parking d’une station-service Super America, de l’autre côté de la rue, appuyés contre la voiture de Connell, en mangeant des crèmes glacées. Koop sortit, Kershaw marchait un pas derrière lui, la main sur le coude droit du suspect.

– Je voulais l’avoir, dit Connell entre deux bouchées.

– Pas pour cambriolage.

– Non. (Elle regarda sa montre.) Les mandats de perquisition devraient être prêts.

Carrigan et Kershaw poussaient Koop dans la voiture. Les bras de ce dernier étaient tendus en arrière et les muscles ressortaient comme des cordes. Lucas fit une boule avec l’emballage de sa glace et la projeta vers une poubelle ; elle rebondit et atterrit sur la chaussée.

– Je veux aller regarder la maison de plus près, poursuivit Connell. On se retrouve là-bas ?

– Ouais. Je vais rester ici jusqu’à ce qu’ils ouvrent la camionnette – s’il y a quelque chose d’intéressant à l’intérieur, je vous le dirai.

 

 

Lucas voulait que ce soient les techniciens du labo de la police qui ouvrent le camion.

– Il y a peut-être un ou deux poils, là-dedans, qui feront la différence, expliqua-t-il au policier en uniforme qui avait les clés. Attendons.

– D’accord. Qui c’était, ce type ?

– Un monte-en-l’air. Il n’a pas fait d’histoires.

– Il m’a flanqué les jetons, avoua le flic en uniforme, les yeux revenant au magasin. J’étais devant la porte, et il a regardé dans ma direction, comme s’il allait s’enfuir. Il avait des yeux de fou, mon vieux. Il était sur le point de craquer. Vous avez vu ses bras ? Je n’aurais pas aimé avoir à me battre avec lui.

Les techniciens arrivèrent cinq minutes plus tard. Une cartouche de Camel sans filtre à moitié entamée était posée sur le siège avant. Un sac de sel et de sable, des câbles, une boîte à outils et d’autres choses sans intérêt traînaient à l’arrière.

Lucas fouilla méticuleusement et ne trouva rien. Il sortit les clés fournies par Koop. Il y avait deux clés pour la camionnette, ce qui ressemblait à deux clés pour la maison, et une cinquième. Peut-être celle de Jensen. Mais elle n’avait pas l’air assez neuve. Il fallait vérifier.

– Une belle trousse de cambrioleur par ici, annonça l’un des techniciens.

Lucas fit le tour, gagna l’arrière du véhicule. Malheureusement ça ne consistait en rien d’autre qu’un choix un peu inhabituel d’outils ordinaires. Il fallait d’abord prouver la culpabilité du cambrioleur. Le technicien prit une petite lime en métal et l’examina à la loupe, comme Sherlock Holmes.

– Il y a des traces de cuivre, là-dessus, déclara-t-il.

– Ça peut nous être utile. (Koop fabriquait donc lui-même ses clés, à la main.) Et pas de couteau ? de corde ?

– Non.

– Nom de Dieu ! Bon, refermez la camionnette et ramenez-la au labo, dit Lucas, déçu. On veut tout ce que vous pouvez trouver – les empreintes, les cheveux, la peau, les sécrétions. Tout ce que vous pouvez.

 

 

Lucas abandonna la Porsche le long du trottoir, et avança dans l’allée qui menait jusqu’à la maison de Koop. La porte d’entrée et les portes latérales étaient ouvertes, et deux fourgonnettes banalisées étaient garées dans l’allée, avec la Chevrolet grise de Connell. Lucas était presque aux marches du perron, quand il vit deux ménagères du quartier descendre la rue ; l’une d’elles poussait un landau. Lucas revint vers elles.

– Bonjour, fît-il.

La femme qui poussait le landau avait des bigoudis sur la tête, recouverts par un foulard en rayonne. L’autre avait des cheveux filasse, avec des mèches cuivrées. Elles s’arrêtèrent.

– Vous êtes de la police ?

Les voisins étaient toujours au courant.

– Oui. Avez-vous vu Mr. Koop ces temps-ci ?

– Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda la femme aux mèches cuivrées.

Le bébé du landau avait une tétine dans la bouche, et regardait fixement Lucas avec des yeux bleu pâle.

– Il a été arrêté dans une affaire de cambriolage.

– Je te l’avais dit, fit Mèches cuivrées à Bigoudis. (À Lucas :) On a toujours su que c’était un criminel.

– Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il faisait ?

– Il ne se levait jamais le matin, expliqua-t-elle. On le voyait à peine. De temps en temps quand il sortait ses poubelles. Point final. Il ne sortait jamais dans la cour. La porte du garage se levait dans l’après-midi, et il s’en allait. Il revenait au milieu de la nuit, sur le coup de trois heures du matin, la porte du garage se levait et il ne sortait plus de sa maison. On ne le voyait jamais. La seule fois où je l’ai vu, sauf pour les poubelles, c’était il y a deux ans quand il y avait eu cette tempête de neige, à Halloween. Il est sorti déblayer l’allée à la pelle. Après ça, il a toujours fait appel à un service spécialisé pour le faire.

– Est-ce qu’il portait la barbe ?

Mèches cuivrées regarda Bigoudis, et elles se tournèrent ensemble vers Lucas.

– Bien sûr. Il a toujours eu la barbe.

Un élément de plus, pensa Lucas. Ils parlèrent pendant encore une minute, puis Lucas les laissa pour entrer dans la maison.

Connell était dans la cuisine, en train de griffonner sur un bloc-notes jaune.

– Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Lucas.

– Pas grand-chose. Et la camionnette ?

– Rien pour l’instant. Pas d’arme ?

– Des couteaux de cuisine. Mais ce type ne se sert pas d’un couteau de cuisine. J’en mettrais ma main au feu.

– Je viens de parler à ses voisines. Elles ont dit qu’il avait toujours eu la barbe.

– Hum. (Connell plissa les lèvres.) C’est intéressant… Venez, on va jeta un coup d’œil à la cave.

Lucas la suivit dans un petit escalier qui partait de la cuisine. Le sous-sol était complètement aménagé. À gauche, par une porte entrouverte, Lucas pouvait voir une machine à laver, un séchoir à linge, un panier à linge sale, et un chauffe-eau sur le sol carrelé. La chaudière devait être aussi dans cette pièce, hors de vue. Le sol de la partie la plus large de la cave était tapissé d’une moquette de laine grossière bicolore datant des années soixante-dix. Un canapé, un fauteuil et une petite table avec une lampe étaient collés contre le mur. Le centre de la moquette était recouvert d’une bâche de peintre en bâtiment en plastique, de trois mètres sur quatre. Un technicien passait l’aspirateur sur les bords de la bâche.

– Est-ce que ce plastique était là ? demanda Lucas.

– Non, c’est moi qui l’ai mis, répondit Connell. Venez par ici jeter un coup d’œil aux fenêtres.

Les fenêtres étaient obstruées par des feuilles de contre-plaqué, épaisses d’un demi-centimètre.

– Je suis sortie pour regarder du dehors, raconta Connell. Il a peint l’extérieur en noir, alors, à moins de s’agenouiller et d’examiner les ouvertures des fenêtres, on dirait que le sous-sol est plongé dans l’obscurité. Il s’est donné beaucoup de mal pour faire ça : les bords sont calfeutrés au mastic.

– Ouais ?

– Ouais. (Elle baissa le regard sur la bâche.) Je pense que c’est là-dessus qu’il a tué Wannemaker. Sur un morceau de plastique. Il y a deux paquets de trois bâches dans la pièce débarras. Il n’y en a qu’un d’ouvert. L’autre ne contenait plus qu’une seule bâche. Je faisais un petit tour par ici, et il m’a semblé qu’un rectangle plus mat se dessinait sur la moquette. Après, j’ai remarqué que le mobilier était orienté vers quelque chose au milieu. Quand j’ai vu les bâches… (Elle haussa les épaules.) J’ai étalé le plastique et ça collait parfaitement.

– Doux Jésus !… (Il regarda le technicien.) Vous avez trouvé quelque chose ?

Le technicien hocha la tête :

– Une tonne de cochonneries : je ne crois pas que cette moquette ait jamais été nettoyée, et ils ont dû la poser il y a quinze ans. Ça va être un vrai cauchemar de faire le tri.

– Bon, c’est quand même quelque chose.

– Il n’y a pas que ça, dit Connell. Là-haut dans la chambre.

Lucas la suivit de nouveau dans l’escalier. La chambre de Koop était austère, presque militaire, bien que le lit fût défait et sentît la sueur. Lucas vit tout de suite de quoi il s’agissait : un flacon de parfum Opium sur la commode.

– Vous n’y avez pas touché ?

– Pas encore. Mais ça n’aurait rien changé.

– Jensen a dit qu’il l’avait pris chez elle. Si ses empreintes à elle sont encore dessus…

– Je l’ai appelée. Son flacon à elle faisait trente centilitres. Elle s’offre un flacon de trente centilitres tous les ans à Noël, parce que ça dure presque exactement un an.

Lucas examina la bouteille de parfum : quinze centilitres.

– Elle en est sûre ?

– Certaine. Bon Dieu ! je croyais qu’on le tenait.

– Il faut vérifier quand même. Elle se trompe peut-être.

– Oui, on vérifiera – mais elle en était sûre. Ce qui nous amène à la question : pourquoi Opium ? Est-ce qu’il est obsédé par les parfums ? Ou bien est-ce qu’il est allé en acheter parce que ça lui rappelle Jensen ?

– Hum, fit Lucas.

– Eh bien ? C’est la femme, ou le parfum ?

Elle le regardait, s’attendant qu’il tire un lapin de son chapeau. Il le pouvait, peut-être. Lucas ferma les yeux. Au bout un moment, il finit par dire :

– C’est parce que c’est celui de Jensen. Il est entré la nuit dans son appartement, il est allé dans sa chambre, et quelque chose l’a allumé. Le parfum. Ou bien de la voir là. Mais le parfum lui rappelle ce moment-là. Il est possible, s’il s’est mis à disjoncter sérieusement, qu’il ait utilisé toute la bouteille volée chez elle.

– Vous croyez que ça suffit ? La barbe rasée, et la bouteille de parfum ?

Il secoua la tête.

– Non. Il faut qu’on trouve quelque chose de concluant. Quelque chose.

Connell s’approcha de Lucas et fixa son regard dans le sien. Elle avait le teint cireux, pâle comme une chandelle.

– J’ai encore eu un malaise, ce matin. Dans deux semaines, je n’arriverai plus à marcher. Je serai de nouveau sous chimio, je commencerai à perdre mes cheveux. Je ne serai plus capable de réfléchir correctement.

– Bon Dieu ! Meagan…

– Je veux la peau de ce salopard, Lucas ! Je ne veux pas qu’il se balade en rigolant pendant que je pourris sous la terre. Vous savez que c’est lui, et je le sais aussi.

– Alors ?

– Il faut qu’on discute. Il faut qu’on trouve quelque chose.