CHAPITRE XII

Quand il passa les portes de l’hôtel de ville pour se rendre au bureau du chef, Lucas avait l’impression que sa tête avait pris du volume, sans compter qu’elle était passablement brumeuse. Manque de sommeil. Il vieillissait. La secrétaire de Roux tendit le pouce pour lui faire signe d’entrer, mais Lucas s’arrêta une seconde.

– Vous pouvez vérifier si Meagan Connell est dans les murs, s’il vous plaît ? Et dites-lui où je me trouve.

– Bien sûr. Vous voulez que je vous l’envoie ?

– Ouais. Pourquoi pas ?

– Parce que elle et le chef pourraient en venir aux mains, par exemple ?

Lester et Anderson étaient assis sur les sièges réservés aux visiteurs. Lonnie Shantz, l’attaché de presse de Roux, était appuyé contre le bord de la fenêtre, les bras croisés, une expression accusatrice peinte sur son visage joufflu de permanent de parti politique. Roux fit un signe de tête quand Lucas arriva.

– Ils sont fumasses, au Strib. Vous avez vu le journal ?

– Ouais. Le gros papier sur Junky.

– Avec l’assassinat de la nuit dernière, ils pensent qu’on les a menés en bateau, dit Shantz.

Lucas s’assit.

– Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Il est devenu complètement dingue. À un autre moment, il aurait pu retenir leur attention pendant quelques jours.

– Ça n’est pas très bon pour nous, Lucas, déclara Roux.

– Et le flic de Saint Paul ? demanda Shantz. Est-ce qu’on peut les lancer sur cette piste-là ?

– On m’a dit que l’administration l’avait obligé à aller voir un psy, intervint Lester. Ils n’ont pas l’air de le croire capable de faire ça.

– Il battait sa femme, insista Shantz.

– Les accusations ont été retirées. Il s’agissait plutôt d’une bagarre. Sa régulière lui avait rendu la monnaie de sa pièce, précisa Anderson. Elle l’a frappé avec une cafetière.

– On m’avait dit que c’était un fer à repasser, observa Lucas. Où se trouvait-il la nuit dernière, à propos ?

– Mauvaises nouvelles, répondit Lester. Sa bourgeoise l’a plaqué après leur dernière grosse scène de ménage, et il était chez lui. Tout seul. En train de regarder la télé.

– Merde ! s’exclama Lucas.

– Les gars de Saint Paul sont en train de l’interroger sur les émissions qu’il a vues.

– Ouais, ouais, mais s’il les a enregistrées au magnétoscope, il pouvait se trouver n’importe où à l’heure du crime, fit remarquer Shantz.

– Foutaises, répliqua Anderson.

Shantz s’adressa à Roux.

– Il suffit de divulguer un nom, et les charges de violence domestique. On peut le faire sans que ça ait l’air de venir d’ici – je pourrais demander à un de mes potes de la DFL. Bon Dieu ! ils adorent rendre service aux médias, pour le renvoi d’ascenseur, ensuite. TV3 va pisser dans son froc et faire des taches par terre avec un tuyau de ce genre. Et ça ressemble tout à fait à une piste qu’on tente de camoufler.

– Ils vont l’accabler, protesta Lester. Ils vont donner l’impression que les accusations contre lui ont été abandonnées parce qu’il est flic.

– Et qui sait si ça n’est pas le cas ? insinua Shantz. Nous, ça nous donnerait le temps de souffler. Bon Dieu ! cet assassinat près des lacs, c’est un putain de désastre pour nous. La femme est morte, et le type est réduit à l’état de légume. Maintenant, cet enfoiré de tueur en série nous tombe dessus et charcute une laitière de province. C’est carrément un cataclysme.

– Si vous livrez ce flic de Saint Paul en pâture à la presse, vous le regretterez. Vous ne serez jamais sénateur, lança Lucas à Roux.

– Pourquoi ? interrogea Shantz. Je ne vois pas comment…

Lucas l’ignora, s’adressant directement à Roux.

– Ça finira par se savoir. Quand tout le monde aura compris ce qui s’est passé – que vous avez livré un flic innocent aux vautours pour détourner l’attention – on ne l’oubliera jamais, et on ne vous pardonnera pas davantage.

Roux le regarda un moment, puis ses yeux se posèrent sur Shantz.

– Laissez tomber.

– Mais, chef…

– Laissez tomber, coupa-t-elle. Davenport a raison. Le risque est trop important.

Son regard se porta vers la gauche, au-delà de Lucas, et se durcit. Il se retourna et vit Meagan Connell sur le seuil de la porte.

– Entrez, Meagan, dit-il. Vous avez le portrait ?

– Ouais.

Connell fouilla dans son sac, sortit le papier plié, et le tendit à Lucas. Celui-ci le déplia, le lissa, et le passa à Roux.

– Ça n’est pas de la foutaise, ça ; notre homme est probablement comme ça. Plus ou moins. Je ne suis pas sûr qu’il faille le diffuser.

Roux regarda le portrait, puis Connell, puis Lucas.

– Comment est-ce que vous avez obtenu ça ? demanda-t-elle.

– Meagan a déniché hier un témoin qui se souvient d’un type présent dans la librairie de Saint Paul en même temps que Wannemaker. Il ne figure pas sur les listes de noms qu’on a déjà et son signalement correspond à d’autres descriptions. Un type qui l’a vu hier soir nous a dit qu’il portait la barbe.

– Et qu’il roule en camionnette, ajouta Connell.

– Tous ceux qui roulent en camionnette portent la barbe ! protesta Lester.

– Pas toujours, rectifia Lucas. On tient quelque chose. Un avant-goût du personnage.

– Pourquoi est-ce que je ne diffuserais pas son portrait-robot ?

– Parce qu’on n’a pas assez de preuves. Rien qui le rattache à un meurtre d’une façon concluante – un cheveu, des empreintes digitales. Si ce n’est pas un bon portrait, et qu’on finisse par le prendre au collet… un avocat va s’en emparer et nous le mettre dans le cul. Vous connaissez comme moi : « Voilà le type qu’ils cherchaient – jusqu’à ce qu’ils décident de faire porter le chapeau à mon client. »

– Est-ce qu’on va arriver à quelque chose, aujourd’hui ? Quelque chose qui nous permette de respirer ?

– Pas que je sache, sauf si ça tient de l’autopsie pratiquée sur Lane. Ça prendra un certain temps.

– Hum… Bob Greave a reçu un coup de fil de TV3 – un tuyau sur un suspect, déclara Connell. Rien de sérieux.

– Comment ça, rien de sérieux ? De quoi s’agit-il, Lucas ?

– Je ne peux pas vous le dire, je viens de l’apprendre en même temps que vous.

– Qu’il amène son cul au trot, ordonna Roux.

 

 

Greave arriva une feuille de papier jaune à la main, et s’adossa au chambranle.

– Alors ? demanda Roux.

Il regarda la feuille.

– Une habitante d’Edina dit qu’elle sait qui est le tueur.

Lucas :

– Et la mauvaise nouvelle, c’est que… ?

– Elle a d’abord appelé TV3. C’est eux qui nous ont passé un coup de fil. Ils veulent savoir si on va faire une arrestation, suite au renseignement qu’ils nous ont fourni.

– Vous auriez dû venir nous raconter ça tout de suite, lui reprocha Roux. On était assis là à se cogner la tête contre les murs.

Greave leva la main.

– Il faut comprendre que cette femme n’a aucune preuve de ce qu’elle avance.

– Continuez, fit Roux.

– Elle se souvient d’avoir vu le tueur revenir de chacun des meurtres pour laver le sang sur ses mains et ses vêtements, avant de la violer. Elle avait refoulé tout ça jusqu’à hier, quand la mémoire lui est revenue, avec l’aide de son psychothérapeute.

– Oh ! non ! gémit Lucas.

– C’est possible, admit Shantz en regardant autour de lui.

– Est-ce que j’ai précisé que c’est son père, l’assassin présumé ? demanda Greave. Soixante-six ans, ancien propriétaire de drive-in. Un type affligé d’une artériosclérose si grave qu’il ne peut même pas monter un étage.

– Il faut vérifier, insista Shantz. Surtout si la télé s’est emparée de l’histoire.

– C’est de la foutaise, protesta Lucas.

– Il faut vérifier, dit Roux.

– On vérifiera, l’assura Lucas. Mais, en réalité, ce qu’il faut, c’est attraper l’assassin, et c’est pas en discutant avec des cardiaques du troisième âge qu’on va y arriver.

– Rien que cette fois, Lucas, bon Dieu ! repartit Roux avec véhémence. Je veux que vous interrogiez ce type, et que vous communiquiez ses déclarations à TV3.

– Depuis quand est-ce que c’est la télé qui nous dicte la façon de mener une enquête ?

– Doux Jésus, Lucas – on est devenus un passe-temps, de nos jours ! On est devenus du cinéma à prix réduit. On vend du déodorant et on obtient des voix aux élections. Ou on en perd. C’est une boucle ; on m’avait dit que vous étiez le premier à vous en être aperçu.

– Bon Dieu ! ça n’était pas à ce point-là, rétorqua Lucas. On se renvoyait l’ascenseur, on se rendait service. Maintenant, c’est…

– Un passe-temps pour le troisième sous-sol.

Quand Lucas sortit de la pièce, Roux lui lança :

– Lucas. Hé… ne tuez pas ce vieillard, hein ? Quand vous allez lui parler…

 

 

Ils prirent une voiture de la maison, tous les trois. Greave était vautré à l’arrière.

– Je me charge de l’interview à la télé, suggéra-t-il à Lucas. Je le faisais tout le temps quand j’étais « policier sympa ». Je suis bon dans ce genre de truc. J’ai les costumes qu’il faut pour ça.

– Vous étiez « policier sympa » ? fit Connell, en le regardant par-dessus le dossier du siège avant. Vous savez, ça vous va bien.

Elle avait craché ça comme une insulte. Lucas lui jeta un coup d’œil et faillit dire quelque chose, mais Greave poursuivit.

– Ah bon ? C’est ce que je pensais, moi aussi. Aller dans les classes, dire aux petits garçons qu’ils allaient tous devenir flics ou pompiers, et aux petites filles qu’elles deviendraient ménagères ou putes.

Lucas, modérément surpris par la saillie, se tut et regarda pardessus le volant.

– Allez vous faire foutre, Greave, répliqua Connell.

Toujours jovial, il reprit :

– Dites, je vous ai parlé des sourdingues ?

– Hein ?

– Des sourdingues sont allés voir les flics de Saint Paul, et leur ont dit qu’ils avaient vu le type à la librairie la nuit où Wannemaker a été refroidie. Un type barbu avec une camionnette. Ils ont même relevé une partie de sa plaque minéralogique.

Connell se retourna pour le regarder de nouveau.

– Pourquoi est-ce que vous n’avez rien dit ?

– Malheureusement, ils n’ont noté aucun numéro. Que des lettres.

– Eh bien, ça réduit déjà les probabilités d’au moins mille fois…

– Hmm… Les lettres qu’ils ont relevées, c’était CUL.

– CUL ?

– Ouais.

– Bon Dieu ! fit Connell.

L’Etat interdisait les plaques dont les combinaisons de lettres pouvaient prendre un sens insultant : il n’y avait pas de BAIZ, PIP, KEU ou BIT. Pas de CON ni de PIN. Il ne pouvait y avoir de CUL.

– Est-ce qu’on a fait les vérifications ?

– Ouais. Ça n’existe pas. Personnellement, je pense que c’est le vieux qui tue, avant de rentrer chez lui et de chatouiller un peu sa fille.

– Vos conneries, Greave, je m’assieds dessus.

– Quand vous voulez, où vous voulez.

 

 

Un camion de TV3 était garé devant la maison des Weston, une journaliste peignait ses cheveux blond roux face au rétroviseur, un cameraman en gilet était assis au bord du trottoir, occupé à manger un sandwich. Il dit quelque chose à la journaliste quand Lucas s’arrêta devant la maison. Elle se tourna, le vit, entreprit de traverser la rue. Elle avait de longues jambes lisses et des escarpins noirs à hauts talons. Sa robe lui collait à la peau, comme une couche de peinture neuve sur une Chevrolet 55.

– Je crois qu’elle est dans le dernier numéro de Playboy, fit observer Greave, le visage collé à la vitre. Elle s’appelle Pamela Stem. C’est un vrai piranha, cette fille.

Lucas sortit de la voiture, Stem s’approcha, sa main jaillit et elle dit :

– Je crois qu’il est calfeutré à l’intérieur.

– Ouais, eh bien…

Lucas leva les yeux vers la maison. Les rideaux frémirent à une fenêtre tout droit sortie d’un vieux film. La journaliste tendit le bras et retourna la cravate de Lucas. Celui-ci baissa les yeux et la vit en train de lire l’étiquette orange.

– Hermès. C’est bien ce que je pensais. Très élégant.

– Il achète ses chaussures chez Emmaüs, ironisa Connell, de l’autre côté de la voiture.

– Et ses caleçons chez Fruits of the Loom, renchérit Greave. La noix de coco, c’est lui.

– J’adore vos lunettes de soleil, reprit Stem en les ignorant, ses dents blanches parfaites passant sur sa lèvre inférieure juste une fraction de seconde. Elles vous donnent l’air méchant. C’est tellement sexy !

– Doux Jésus ! souffla Lucas.

Il entra dans l’allée avec Greave et Connell et constata que la journaliste ne le lâchait pas d’une semelle. Derrière elle, le cameraman filmait.

– Quand on va arriver devant les marches, je vais demander à ce type s’il veut que je vous arrête pour violation de domicile. S’il répond oui, je vous arrêterai. Quelque chose me dit qu’il répondra oui.

Elle s’arrêta net, les yeux comme des éclats de silex.

– Ça n’est pas gentil d’envoyer Mère Nature sur les roses. Je ne vois vraiment pas ce que Jan Reed peut vous trouver.

Connell demanda : « Qui ça ? Jan Reed ? », Greave : « Whaou ! » et Lucas, irrité, grommela : « Foutaises ! » avant de sonner à la porte. Ray Weston entrebâilla la porte et jeta un regard de souris apeurée.

– Je m’appelle Lucas Davenport, chef adjoint de la police de Minneapolis. Je voudrais vous parler.

– Ma fille est dingue ! lança Weston en ouvrant la porte de quelques centimètres supplémentaires.

– Il faut qu’on discute, répliqua Lucas.

Il enleva ses lunettes de soleil.

– Laisse-les entrer, Ray, fit une voix de femme que la peur rendait tremblante.

Ni Ray ni Mina Weston ne savaient quoi que ce soit des meurtres. Lucas, Connell et Greave en convinrent au bout de cinq minutes de conversation. Ils passèrent encore une demi-heure à vérifier leurs alibis. Les Weston étaient au lit à l’heure où Lane avait été enlevée, et regardaient L’Équipée sauvage avec des amis le soir où le tueur avait embarqué Wannemaker.

– Vous croyez que vous pouvez nous débarrasser de ces chariots, dehors ? demanda Ray Weston quand ils s’apprêtèrent à partir.

– Je n’en sais rien, avoua honnêtement Lucas. Les histoires que leur raconte votre fille, c’est assez salé.

– Elle est cinglée, protesta Weston. Comment est-ce qu’ils peuvent y croire ?

– Ils n’y croient pas, affirma Lucas.

Stem attendait à la porte, le micro à la main, le cameraman en action à son côté, lorsque Lucas, Connell et Greave quittèrent la maison.

– Officier de police Davenport, qu’avez-vous appris ? Allez-vous arrêter Ray Weston, père d’Elaine Louise Weston-Brown ?

Lucas secoua la tête.

– Non. Toute votre histoire est un ramassis irresponsable de ragots merdiques, et une honte pour le journalisme.

 

 

Greave riait de la réaction de Stem sur le chemin du retour, et Connell elle-même semblait un peu plus détendue.

– Il a fallu qu’elle vous regarde deux fois pour comprendre. Ça m’a beaucoup plu. Elle était déjà en train de préparer la deuxième question, dit Greave.

– S’ils le diffusent, ça sera beaucoup moins drôle, fit remarquer Connell.

– Ils ne feront jamais ça, trancha Lucas.

– Cette histoire, on dirait une blague féministe, reprit Greave. Si ça existait, les blagues féministes…

– Il y en a des tas, rétorqua Connell.

– Oh ! d’accord, excusez-moi. Vous avez raison, admit Greave. Ce que je voulais dire, c’est qu’il n’y a pas de blagues féministes drôles.

Connell se tenait vers lui, une petite lueur dans les yeux.

– Vous savez pourquoi les femmes ne sont pas bonnes en maths ?

– Non. Pourquoi ?

Elle écarta le pouce et l’index d’à peine quelques centimètres.

– Parce que toute leur vie on leur a dit que ça, c’était vingt centimètres.

Lucas sourit, et l’amusement étira les lèvres de Greave.

– Une seule putain de bonne blague au bout de trente ans de féminisme.

– Vous savez pourquoi les hommes donnent un nom à leur pénis ?

– Je retiens mon souffle, ironisa Greave.

– Parce qu’ils ne veulent pas que ce soit un parfait inconnu qui prenne les décisions importantes à leur place.

Greave regarda vers ses genoux.

– T’entends ça, Godzilla ? Elle est en train de se payer ta tête.

Juste avant d’arriver, Connell demanda :

– Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

– Je ne sais pas, répondit Lucas. On réfléchit. On relit votre dossier. On cherche à en sortir quelque chose. On attend.

– On attend qu’il assassine quelqu’un d’autre ?

– On attend qu’il se passe quelque chose.

– Je pense qu’il faut le pousser dans ses retranchements. Je pense qu’il faut publier le portrait-robot dans les journaux. Je n’ai pu trouver personne pour le confirmer, mais je parie qu’il est ressemblant.

Lucas soupira.

– Ouais, on devrait peut-être le faire. J’en parlerai à Roux.

 

 

Roux était d’accord.

– Comme ça, on aura un os à leur jeter, expliqua-t-elle. S’ils nous croient.

Lucas retourna à son bureau, contempla le téléphone en se mordillant la lèvre inférieure ; il essayait de trouver un élément tangible auquel s’accrocher dans cette affaire. Les solutions faciles, comme Junky, s’évanouissaient.

La porte s’ouvrit sans qu’on ait frappé, et Jan Reed passa sa tête.

– Whoops ! Est-ce que j’étais censée savoir ? Je pensais que c’était le bureau de la secrétaire.

– Je ne suis pas assez important pour avoir une secrétaire, répliqua Lucas. Entrez. Vous finirez par avoir notre peau, vous autres.

– Pas moi, le rassura-t-elle en s’asseyant les jambes croisées.

Elle s’était changée depuis le matin, et elle avait dû dormir un peu. Elle avait l’air fraîche et bien réveillée, avec une jupe toute simple, et un corsage de soie blanche.

– Je voulais m’excuser, pour Pam Stem. Il y a un peu trop longtemps qu’elle est sur le terrain.

– Qui a craché le morceau, au départ ?

– Je ne sais pas… C’était un coup de fil.

– Le psychothérapeute ?

– Je ne sais vraiment pas, insista-t-elle en souriant. Et je ne vous le dirais pas si je le savais.

– Ah ! La déontologie pointe son museau hideux.

– Est-ce qu’il y a du nouveau ? demanda-t-elle.

Elle sortit un petit bloc-notes de journaliste de son sac.

– Non.

– Vers quoi orienter mes recherches, ensuite ?

– Il faut attendre l’autopsie. Des échantillons du sang ou du sperme du tueur. Si on obtient ça, on aura quelque chose. Il y a une bonne chance qu’il s’agisse d’un délinquant sexuel récidiviste, et l’État a un fichier d’empreintes ADN. Voilà.

– D’accord. (Elle prit quelques notes.) Je vais rechercher ça. Quelque chose d’autre ?

Lucas haussa les épaules.

– C’est à peu près tout.

– D’accord. Bon, eh bien, je n’ai rien d’autre à vous demander, dans ce cas.

Et elle s’en alla, laissant un sillage parfumé derrière elle. Elle avait marqué une pause minuscule, microscopique, après avoir dit : « D’accord. » Une occasion de donner à la conversation un tour plus personnel ? Il n’en était pas certain.

 

 

Connell passa tard dans l’après-midi.

– L’autopsie n’a encore rien donné pour l’instant. Elle a un hématome sur le visage, on dirait que quelqu’un l’a pincée, et ils attendent un spécialiste pour voir s’ils peuvent recueillir une empreinte digitale. Pas beaucoup d’espoir.

– Rien d’autre ?

– Pas encore. Et je fais chou blanc.

– Et le type du tatouage, l’ancien prisonnier qui a vu PPP sur la main ? Comment est-ce qu’il s’appelle… Price ? S’il ne se passe rien entre-temps, pourquoi est-ce qu’on n’irait pas demain à Waupun en voiture pour lui parler ?

– D’accord. Et Greave ?

– Je lui dirai de travailler sur son affaire à lui. C’est tout ce qui le préoccupe pour l’instant, de toute façon.

– Bien. C’est loin, Waupun ?

– Cinq ou six heures.

– Et si on prenait l’avion ?

– Ah !…

– Je pense que je peux obtenir un avion de patrouille de l’État.

 

 

Weather avait posé sa tête sous la mâchoire de Lucas, et elle dit :

– Tu aurais dû y aller en voiture. Tu n’as vraiment pas besoin de ce genre de tension supplémentaire.

– Ouais, mais j’aurais eu l’air d’une poule mouillée.

– Il y a beaucoup de gens qui n’aiment pas prendre l’avion.

– Mais ils le prennent quand même.

Elle lui tapota l’estomac.

– Ça ira très bien. Je pourrai te donner quelque chose qui te calmera un peu, si tu veux.

– Non merci, ça me mettrait la tête à l’envers. Ça me ferait planer. (Il soupira et ajouta :) Mon principal problème, c’est que je ne dirige pas vraiment cette enquête. C’est Connell qui a tout fait, et je n’arrive pas à voir au-delà de ce qu’elle a déjà réuni. Je n’arrive pas à réfléchir. Ça ne fonctionne plus comme avant, là-haut.

– Qu’est-ce qui ne va pas ?

– Je ne sais pas exactement – je n’arrive pas à mettre la main sur quelque chose qui me permette de démarrer. Si je pouvais obtenir la moindre information personnelle sur ce type, j’aurais une base de départ – on n’arrive pas à trouver quoi que ce soit. Tout ce que j’ai comme éléments pour travailler, c’est du papier.

– Tu as dit qu’il prenait peut-être de la cocaïne…

– Il doit y avoir cinquante mille personnes qui en prennent régulièrement, dans les Cités jumelles. Je pourrais bousculer quelques petits trafiquants pour avoir des informations, mais les chances que ça nous mène quelque part sont quasi nulles.

– C’est pourtant quelque chose.

– J’ai besoin de quelque chose d’autre, et vite. Il est devenu fou – moins d’une semaine s’est écoulée entre les deux meurtres. Il va tuer à nouveau. Il y pense déjà.