CHAPITRE XIII

Lucas détestait l’avion, il en avait peur. Pour des raisons qu’il avait lui-même de la peine à comprendre, il supportait mieux l’hélicoptère. Pendant toute la durée du vol jusqu’à Waupun, dans un avion biplan à quatre places, il resta à l’arrière.

– Je n’ai jamais rien vu de pareil, affirma Connell d’une voix où perçait la satisfaction.

– Vous exagérez, répliqua Lucas, l’air sinistre.

L’aéroport était une parcelle de terrain battue par les vents, en rase campagne. Une voiture officielle marron les attendait près de la pancarte où l’on pouvait lire le nom de Waupun, et ils se dirigèrent vers elle.

– J’ai cru que vous alliez balancer le pilote par le hublot quand il a heurté les bosses en atterrissant. J’ai cru que vous alliez exploser. Votre tête a gonflé comme un canot pneumatique sur le point d’éclater sous une pression trop forte.

– Ouais, ouais.

– J’espère que vous allez vous réconcilier avec le pilote, que vous l’embrasserez avant qu’on entame le vol du retour. Je n’ai pas envie qu’il vole en étant terrorisé.

Lucas se tourna vers elle, et elle recula d’un pas, à moitié souriante, à moitié effrayée. Les traits figés de son visage, blanc comme un linge sous les lunettes noires, lui donnaient l’air d’un maniaque ; Lucas n’aimait pas l’avion.

Un policier de Waupun jeta son journal sur la banquette arrière et sortit du véhicule quand ils s’approchèrent.

– Madame Connell ?

– Oui.

– Tom Davis.

C’était un homme bien en chair à l’air bienveillant, aux joues roses et aux yeux bleus au regard vague sous un front impeccablement lisse comme celui d’un bébé. Il avait une moustache grisonnante, à peine plus large que celle d’Hitler. Il sourit et serra la main de Connell, puis celle de Lucas.

– Et vous êtes son assistant ?

– C’était une blague, rectifia vivement Connell. Je vous présente… euh… Lucas Davenport, chef adjoint de la police de Minneapolis.

– Zut, désolé, chef ! s’excusa Davis. (Il fit un clin d’œil à Connell.) Allez-y, montez. On a un bout de chemin à faire.

Davis connaissait Wayne D. Price.

– C’est pas le mauvais bougre, assura-t-il.

Il conduisait un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein. Le mouvement de la voiture, alternance incessante d’accélérations et de ralentissements, rappelait à Lucas celui de l’avion.

– Il a été condamné pour avoir tué une femme en lui ouvrant le ventre avec un couteau, précisa Connell. Il a fallu un seau pour ramasser les intestins, dans la rue.

Elle parlait sur le ton de la conversation.

– Ça ne suffit pas pour le ranger dans les dix pour cent des criminels les plus sauvages de ce genre, rétorqua le policier, sur un ton tout aussi détaché. On a des types qui ont violé et tué des petits garçons avant de les manger.

– Ça, c’est moche, intervint Lucas.

– C’est moche, approuva Davis.

– Et qu’est-ce qu’on raconte sur Price ? demanda Lucas. Il dit qu’il est innocent.

– Comme environ cinquante pour cent d’entre eux, quoiqu’ils ne prétendent pas vraiment être innocents. Ils disent que les règles n’ont pas été respectées, ou bien que le procès n’a pas été juste. Je veux dire : ils sont coupables, dans tous les cas, mais ils disent que l’État n’a pas mis tous les points sur les i et toutes les barres aux t avant de les coller à l’ombre – il n’y a pas plus procédurier qu’un taulard.

– Et Price ?

– Je ne connais pas D. Wayne si bien que ça, mais il y a des gens pour croire sa version des faits. Il a fait pas mal de bruit avec son histoire, en déposant toutes sortes de recours en appel. Il n’a jamais cessé ; il continue aujourd’hui encore.

 

 

– Je n’aime pas les prisons, déclara Connell.

Le parloir ressemblait à une oubliette.

– Vous craignez que les portes ne se rouvrent pas pour vous laisser sortir ?

– C’est exactement ça. Je pourrais supporter ça pendant peut-être une semaine, et puis un jour ils viendraient me reconduire en cellule et je commencerais à craquer. Je ne crois pas que j’arriverais à tenir un mois entier. Je me tuerais.

– Ça arrive souvent. Les plus tristes sont ceux qu’on met sous surveillance pour empêcher qu’ils ne se suicident. Ils ne peuvent pas sortir, et ne peuvent pas non plus en finir. Ils n’ont qu’à souffrir et prendre leur mal en patience.

– Certains le méritent.

Lucas n’était pas d’accord.

– Je ne suis pas sûr que qui que ce soit mérite un sort pareil.

 

 

D. Wayne Price était un homme corpulent, dans la quarantaine ; son visage avait l’air d’avoir été lentement et maladroitement façonné à coups de marteau. Il avait un front brillant et grêlé, présentant des cicatrices qui remontaient jusqu’au cuir chevelu. Au-dessous des yeux s’était formée une peau épaisse, opaque, un tissu cicatriciel dû à de trop nombreux coups de poing. Ses petites oreilles rondes semblaient rattachées à la tête par de minces fentes. Quand son escorte l’accompagna au parloir, il grimaça un sourire obséquieux de détenu. Ses dents étaient petites et ébréchées. Il portait un jean et un tee-shirt blanc au-devant duquel s’étalait le logo « Harley-Davidson ».

Lucas et Connell étaient assis sur des chaises de bureau légèrement endommagées, devant un canapé dont la seule particularité notable était sa couleur brune. L’escorte consistait en un homme plus âgé que lui, au visage chevalin et à la coupe en brosse ; il avait avec lui un livre à la couverture jaune. Il dit « Assis ! » à l’intention de Price, comme s’il s’était agi d’un labrador, puis « Comment va ? » à Lucas et Connell, et se laissa tomber à l’autre bout du canapé avec son livre.

– Vous fumez ? demanda Connell à Price.

– Oui.

Elle pécha un briquet et un paquet de Marlboro dans sa poche, avant de les lui tendre. Il fit jaillir une cigarette du paquet, l’alluma, et Connell lui demanda, la voix douce :

– Alors, cette femme, à Madison, vous l’avez tuée ?

– J’ai jamais porté la main sur cette garce ! protesta Price, la mesurant du regard, ses yeux s’attardant sur elle.

– Mais vous la connaissiez…

– Je savais qui c’était.

– Vous avez couché avec elle ? voulut savoir Lucas.

– Jamais eu l’occasion de l’approcher d’aussi près. Elle avait un beau cul, cela dit, fit Price, en regardant Lucas.

– Où est-ce que vous étiez quand elle a été tuée ? demanda Connell.

– J’étais bourré. Mes copains m’ont ramené à la maison, mais je savais que si je rentrais chez moi, j’allais me mettre à dégueuler, alors je suis allé boire un café. C’est ce qui m’a foutu dedans.

– Racontez-moi ça, reprit Connell.

Price regarda le plafond, se logea une autre cigarette au coin des lèvres, la contempla le temps qu’il fallait pour l’allumer, souffla de la fumée et ferma les yeux pour mieux se souvenir.

– J’étais en train de picoler avec des copains. Merde, on a passé l’après-midi à boire et à jouer au billard ! Et vers huit heures mes potes m’ont ramené à la maison parce que j’étais trop soûl pour continuer à pinter.

– Très bourré, alors, observa Lucas.

– Ouais, très. Bref, ils m’ont lâché devant chez moi, et je suis resté assis là un moment, et, quand j’ai pu me relever, j’ai décidé de descendre boire un café. Il y avait un magasin ouvert dans un des centres commerciaux de la rue. Il y avait une pharmacie, une blanchisserie et une librairie. J’étais au supermarché, et elle est venue de la librairie acheter quelque chose. J’étais rond comme une queue de pelle, mais je l’ai reconnue, j’avais fait de la soudure, pour elle.

– De la soudure ?

– Ouais. (Le rire de Price s’acheva en quinte de toux.) Elle avait une bagnole merdique, une Cadillac 1979, couleur crème et citron vert, et le pare-chocs était tombé. Putain, il était tombé tout seul, comme ça, un jour ! Le garage Cadillac réclamait quelque chose comme quatre cents dollars pour arranger ça, alors elle était venue me voir pour me demander ce que je pouvais faire. J’ai ressoudé cette saloperie pour vingt-deux dollars. Si ce pare-chocs avait tenu le coup, je serais un homme libre, à l’heure qu’il est.

– Alors vous l’avez reconnue, reprit Connell, l’incitant à poursuivre. Dans le magasin.

– Ouais, je lui ai dit bonjour et lui ai fait quelques avances, mais ça ne l’intéressait pas, et elle est partie. Je l’ai suivie. (Il avait une voix lente et rêveuse, comme s’il extrayait ces détails un à un de sa mémoire.) Elle est allée à la librairie. J’étais si soûl que je n’arrêtais pas de penser : Bon Dieu ! ça va marcher, avec cette poule. Aucune chance. Même si elle m’avait dit « Bon Dieu ! oui », dans l’état où j’étais… vous voyez ce que je veux dire. Bon, je suis entré dans la librairie.

– Vous êtes resté combien de temps ?

– Cinq minutes, à peu près. Il y avait beaucoup de gens là-dedans, et je n’étais pas vraiment à ma place avec eux. Je puais comme si un camion de Budweiser m’avait pissé dessus, pour commencer.

– Alors ? insista Connell.

– Alors je suis parti. (Sa voix se durcit et il se redressa.) Il y avait un gamin là-bas, un enfoiré à la gueule pleine d’acné, l’employé de maison. Il a dit que j’étais resté dans la librairie, et qu’après, quand tout a été fini, j’ai suivi la fille dehors. C’est ce qu’il a dit. L’avocat lui a posé la question quand il était à la barre des témoins : « Est-ce que vous pouvez désigner l’homme qui a suivi la victime ? », et le môme a répondu : « Ouais, c’est le type, là-bas », en me montrant du doigt. Terminé pour mézigue, il m’avait enterré.

– Mais ça n’était pas vous.

– Bon Dieu ! non. Le gamin s’est souvenu de moi parce qu’on s’est rentrés dedans. Je l’avais un peu bousculé.

– Et cette histoire de tatouage ?

Les yeux de Price glissèrent en direction du gardien qui l’avait escorté, retournèrent vers Lucas, et son menton bougea rapidement de droite à gauche, d’à peine quelques millimètres.

– Un tatouage ? Ce gamin n’avait pas de tatouage.

Connell, qui prenait des notes, n’avait pu voir le geste.

Elle leva les yeux.

– D’après mes notes…, commença-t-elle, mais Lucas lui coupa la parole.

– Il faut qu’on discute. Je préférerais que Mr. Price n’entende pas… Venez.

Le gardien était plongé dans L’Encyclopédie de la Pop, du Rock et de la Soul. Il leva les yeux et dit :

– Je peux l’emmener…

– Le coin du fond fera l’affaire, trancha Lucas, entraînant Connell.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle à voix basse.

Lucas tourna le dos à Price et au gardien.

– D. Wayne ne veut pas parler de tatouage devant le gardien. Parlez-lui encore cinq minutes, et après ça demandez au gardien où sont les toilettes des dames. Débrouillez-vous pour qu’il vous y emmène – c’est au fond, derrière des doubles portes.

– Je peux faire ça.

Le gardien était de nouveau plongé dans son livre quand ils se rassirent.

– Où est-ce que vous êtes allé après la librairie ?

– Chez moi.

– Vous n’êtes pas resté avec elle ? Vous n’avez pas tenté votre chance de nouveau ?

– Putain ! non. J’étais vraiment trop soûl pour la suivre où que ce soit. Je suis retourné au supermarché et j’ai acheté de la bière – même pas eu mon putain de café.

J’arrivais à peine à rentrer chez moi. Je me suis assis sur le perron un moment, j’ai bu la bière, après je suis rentré et je me suis écroulé. Je ne me suis pas réveillé jusqu’à ce que les flics viennent me chercher.

– Il doit y avoir autre chose, affirma Lucas.

Price haussa les épaules.

– Rien d’autre. Le type qui vit en face de chez moi m’a même vu m’asseoir sur les marches, et il l’a dit dans sa déposition. Ils ont trouvé ces putains de canettes à côté de l’escalier. Ils ont dit que ça prouvait rien.

– Vous avez eu un avocat foireux, remarqua Lucas.

– Désigné d’office. Il n’était pas mal. Mais vous savez…

– Ouais ?

Price s’appuya sur le dossier et contempla de nouveau le plafond, comme si raconter cette histoire commençait à le lasser.

– Les flics voulaient ma peau. Je volais un peu. Je l’avoue. Des outils. J’étais spécialisé dans le vol d’outils. La plupart des gens volent, je ne sais pas, moi… des chaînes stéréo. Merde, c’est quasiment rien, ce qu’on tire d’une stéréo, comparé à ce qu’on peut obtenir avec des bons outils de mécanicien, vous savez. Bref, les flics essayaient de me coincer depuis toujours, mais ils n’avaient jamais réussi. Je volais quelque chose et, avant qu’on ait remarqué quoi que ce soit, il y avait trois nègres à Chicago avec du matériel de soudure tout neuf, par exemple. Je vais au magasin, je sors les outils, je roule deux heures et demie jusqu’à Chicago, je décharge, je rentre, et je me cuite à mort avec l’argent que j’ai en poche, et personne n’a encore rien vu. Je me disais que j’étais un malin. Les flics savaient, et je savais qu’ils savaient, mais je n’ai jamais cru qu’ils arriveraient à me coincer. Mais ils s’y sont pris autrement.

– J’ai lu un rapport selon lequel vous auriez braqué des boutiques d’alcool, qu’il y a même eu des blessés. Un vieillard s’est fait taper dessus avec un pistolet.

– C’est pas moi, protesta Price, mais son regard était fuyant.

– Vous avez pris de la gnôle en plus de l’argent de la caisse, précisa Connell. Vous êtes un soiffard prêt à tout.

– Écoutez, j’ai reconnu les vols. Mais je n’ai pas tué cette garce.

– Quand vous étiez dans la librairie, est-ce que vous avez vu quelqu’un d’autre avec elle ?

– Mon vieux, j’étais soûl. Quand les flics sont venus me chercher, je ne me souvenais même plus que j’avais vu cette fille, jusqu’à ce qu’ils me rappellent un tas de choses.

– Alors, tu sais absolument que dalle, conclut Lucas.

Un certain éclat au fond de l’œil de Price indiquait qu’il souhaitait se retrouver seul avec Lucas.

– C’est à peu près tout, convint-il. (Lucas soutint son regard, et l’éclat disparut.) Il y avait ce soir-là dans la librairie des gens qu’on n’a jamais retrouvés. Ils lisaient des poèmes là-dedans, et il y avait beaucoup de monde. Ça pouvait être n’importe lequel d’entre eux, bien plus que moi.

Connell soupira puis regarda le gardien.

– Excusez-moi – est-ce qu’il y a des toilettes pour dames, quelque part ?

– Nooon… (Il lui fallut réfléchir.) Les plus proches se trouvent dehors.

– Ça vous serait possible de m’accompagner ? Ça ne vous dérange pas ?

– Je vous en prie. (Le gardien posa les yeux sur Price.) Tu te tiens tranquille, d’accord ?

Price leva les mains.

– Hé, ils veulent m’aider.

– D’accord, fit le gardien. (Puis, s’adressant à Connell :) Venez, fillette.

Lucas fit la grimace, mais Connell le suivit. Dès que la porte se referma, Price se pencha en avant, la voix basse.

– Vous croyez qu’il y a des écoutes, ici ?

– Ça m’étonnerait, répondit Lucas, en secouant la tête. C’est un parloir d’avocats. S’ils se faisaient pincer, ils seraient dans la merde.

Price regarda les murs pâles, comme pour repérer un microphone caché.

– Je dois prendre le risque.

– Quel risque ? demanda Lucas, d’un ton où perçait un certain scepticisme.

Price se pencha de nouveau vers lui, et parla avec un minuscule filet de voix rauque.

– À mon procès, j’ai dit que j’avais vu un autre taulard dans la librairie. Un type avec une barbe et PPP tatoué sur la main. Tatouage de prisonnier, à l’aiguille et à l’encre de stylo-bille. Personne ne l’a retrouvé.

– C’est pour ça qu’on est là. On essaie de lui mettre la main dessus.

– Ouais, eh bien, ça n’était pas PPP ! souffla Price.

Il se tourna pour jeter de nouveau un coup d’œil en direction des murs. Ses yeux revinrent se poser sur Lucas. Il était littéralement en nage, son front bosselé luisant sous l’éclairage de la pièce.

– Doux Jésus ! N’en parlez à personne.

– De quoi ?

– J’ai revu le tatouage. C’était pas PPP. Je l’avais vu à l’envers, c’était 666.

– Ouais ? Qu’est-ce que c’est… une secte ?

– Non, non, murmura Price. Ce bon Dieu de gang des Bouseux.

Cette fois Lucas baissa la voix à son tour.

– Vous en êtes sûr ?

– Évidemment que j’en suis sûr. Il y en a quatre ou cinq ici, en ce moment. C’est ça qui me rend nerveux. S’ils savaient que je parle d’eux, je serais bon pour la morgue. Le 666 vient de l’époque où ils étaient motards, les Mauvaises Graines.

– Vous pouvez me le décrire ?

– Je peux faire mieux que ça. Il s’appelle Joe Hillerod.

– Comment en êtes-vous arrivé là ?

Ils chuchotaient tous les deux, à présent, et Lucas avait pris le tic de Price, sonder les murs du regard.

– Ils m’ont amené ici, et après être passé à l’orientation et avoir été lâché dans la population pénitentiaire, un des premiers mecs que j’ai vus, merde, je croyais, que c’était lui. C’était le portrait craché du type que j’avais vu et il avait le même tatouage.

– C’est lui, Joe ?

– Non, non, c’est Bob, ça. Le type qui est ici, c’est Bob Hillerod, le frère de Joe.

– Quoi ?

– Vous voyez, je me suis mis à faire des poids et haltères, juste pour pouvoir m’approcher de ce type, Bob. J’ai appris qu’il était en taule depuis un bon moment – bien avant que la gonzesse se fasse tuer. Et je me suis aperçu qu’il était plus vieux que le type que j’avais vu dans la librairie. Je n’arrivais pas à comprendre. Mais après, on m’a raconté que Bob avait un frangin, plus jeune de six ou sept ans. C’est forcément lui. Forcément.

Lucas se redressa, se renfonçant dans son siège, avant d’élever la voix.

– Ça m’a tout l’air d’être de la foutaise.

– Non, non, je le jure sur le Christ ! C’est lui. Joe Hillerod. Et ce Joe – il a fait de la taule. Pour crime sexuel.

Price tendit la main et toucha celle de Lucas. Il écarquillait les yeux, l’air effrayé.

– Crime sexuel ?

– Viol.

– Est-ce que tu as demandé à Bob… C’est bien Bob, qui est ici ?

– Ouais, Bob était ici, Joe était dehors. C’est Joe le coupable. Bob est sorti, maintenant, mais c’est Joe qui a fait le coup.

– Est-ce que tu as demandé à Bob si Joe a le tatouage, lui aussi ?

Price retomba dans le canapé.

– Putain ! non. Une des choses qu’on apprend ici, c’est à ne pas poser de questions sur ces putains de tatouages. On fait comme si on ne les voyait pas. Mais Joe a fait de la taule. Il faisait partie du gang des Mauvaises Graines. Il est tatoué, je veux bien parier ce que vous voulez.

 

 

Quand Connell revint avec le gardien, Lucas prenait des notes.

– Harry Roy Wayne et Gerry Gay Wayne, disait Price. Ils sont frangins et travaillent tous les deux à l’usine Caterpillar. Ils vous le diront.

– Mais c’est tout ce que vous pouvez nous dire ? demanda Lucas.

– Le reste, vous connaissez déjà.

D. Wayne s’avachit sur le canapé, et fuma une cigarette. Il prit le paquet et le mit dans sa poche.

– Je ne vais pas vous raconter d’histoires, le prévint Lucas. Je ne crois pas que ce soit suffisant.

– Ça le sera si vous attrapez le vrai coupable.

– Ouais. S’il y en a un, rétorqua Lucas. (Il se leva et dit à Connell :) À moins que vous n’ayez d’autres questions, on s’en va.