25

Wallander rêva qu’il marchait sur l’eau.

Le monde où il se trouvait était étrangement bleu. Le ciel avec ses nuages déchiquetés était bleu, tout comme la lisière de la forêt au loin et les rochers où se reposaient des oiseaux. La mer sur laquelle il marchait était bleue, elle aussi. Konovalenko était présent quelque part. Wallander avait suivi ses traces dans le sable ; au lieu de remonter vers le talus, elles disparaissaient dans l’eau. Il les avait suivies tout naturellement, avec la sensation d’avancer sur une fine couche de verre pulvérisé. La surface était irrégulière. Mais elle le portait. Au-delà des derniers îlots bleus de l’archipel, près de l’horizon, Konovalenko l’attendait.

Au réveil, le rêve était encore présent. Il se trouvait sur le canapé de Sten Widén. Dimanche 17 mai. En se faufilant dans la cuisine, il constata qu’il n’était que cinq heures trente. Il jeta un coup d’œil dans la chambre à coucher. Sten était déjà sorti. Wallander se servit un café dans la cuisine et s’assit.

La veille au soir il s’était remis à réfléchir tant bien que mal.

Il avait lu les journaux. Sur un certain plan, sa situation était simple. Il était recherché. Personne ne le soupçonnait de quoi que ce soit. Mais il pouvait être blessé, il pouvait être mort. De plus il avait braqué ses collègues avec des armes, ce qui trahissait un déséquilibre certain. Pour capturer Konovalenko, il fallait retrouver la trace du commissaire Wallander. Jusque-là tout était très clair.

Il avait endossé le rôle du disparu. En réalité, il avait décidé de s’offrir lui-même en sacrifice. Pour épargner ses collègues, il allait s’occuper seul de Konovalenko. Cette perspective le terrorisait. Mais il ne pouvait l’esquiver. Il devait aller jusqu’au bout, quelles qu’en soient les conséquences.

Il avait essayé d’imaginer le raisonnement du Russe. Il était parvenu à la conclusion que sa propre existence ne pouvait le laisser indifférent. Konovalenko ne le considérait peut-être pas comme un adversaire à sa mesure, mais il savait maintenant que Wallander suivait son propre chemin et qu’il n’hésitait pas à se servir d’une arme. Cela devait lui inspirer un certain respect, même si l’image était fausse et qu’il le savait sans doute pertinemment. Wallander était un flic qui ne prenait pas de risques inconsidérés. Il était à la fois lâche et prudent. Les réactions primitives qu’il pouvait avoir étaient toujours le fait de situations désespérées, dans l’urgence. Mais le Russe pouvait bien rester dans le doute. Cela donnait à Wallander un semblant d’avantage.

Quels étaient les projets de Konovalenko ? Il était revenu en Scanie et il avait réussi à liquider Victor. Mais comment avait-il pu s’échapper ensuite ? Réponse : il n’était pas seul. Rykoff était mort, mais il devait avoir d’autres complices. Tania, la femme de Rykoff, était sûrement présente à l’arrière-plan. Elle n’était peut-être pas la seule. Alors ? Ils avaient encore dû louer une maison sous un faux nom. Une maison isolée… Ils s’y trouvaient sans doute encore.

À ce point de ses réflexions, Wallander comprit soudain qu’il avait laissé en suspens une question décisive.

Que devenait le projet d’attentat, après la mort de Victor ? Ce projet — c’est-à-dire en réalité l’organisation invisible qui tirait les ficelles, y compris la ficelle Konovalenko — était au cœur de l’histoire. L’opération serait-elle annulée ?

Il finit son café en pensant qu’il n’y avait qu’une solution. Il fallait laisser Konovalenko venir à lui. À l’appartement de Mariagatan, c’était lui qu’on était venu chercher. Les derniers mots de Victor avaient été pour dire qu’il ignorait où était Wallander. Konovalenko voulait à tout prix le savoir.

Il entendit des pas dans rentrée. Sten Widén entra, en bleu de travail et bottes de caoutchouc boueuses.

— On a une course à Jägersro aujourd’hui. Ça te dit de venir ?

Wallander fut tenté d’accepter. Tout ce qui pouvait lui changer les idées était bienvenu.

— Brume y sera ?

— Oui, et elle va gagner. Mais je ne pense pas que les joueurs lui fassent confiance. Autrement dit, il y a de l’argent à gagner pour toi.

— Comment peux-tu le savoir ?

— Elle est d’humeur inégale. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression qu’elle a envie de courir. Elle est inquiète. Elle sent que c’est du sérieux. Et la concurrence est assez moyenne. Il y aura quelques chevaux de Norvège que je ne connais pas. Mais, à mon avis, elle n’en fera qu’une bouchée.

— Qui est le propriétaire ?

— Un homme d’affaires. Un certain Morell.

Wallander avait récemment entendu ce nom. Mais où ?

— Il est de Stockholm ?

— De Scanie, comme toi et moi. Il habite à Malmö.

Ah oui. Peter Hanson et les pompes. Un receleur du nom de Morell.

— Quel genre d’homme d’affaires ?

— Plutôt louche, je crois. Il y a des rumeurs. Mais il me paie rubis sur l’ongle. Je ne cherche pas à savoir d’où vient l’argent.

— Je crois que je vais rester ici en définitive.

— Ulrika a acheté de quoi manger. On part dans deux heures. Il faudra te débrouiller seul.

— La Duett reste ici ?

— Prends-la si tu veux. Mais remets de l’essence. J’oublie toujours de le faire.

Wallander regarda les chevaux qu’on faisait monter dans le van. Peu après, il quittait à son tour le haras. En arrivant à Ystad il prit le risque de passer par Mariagatan. Les dégâts étaient considérables. Un trou dans la façade, entouré de briques noircies ; c’était tout ce qu’il restait de la fenêtre de sa chambre. Il sortit de la ville. Devant le champ de manœuvre, il vit une voiture de police au beau milieu du terrain. Les distances semblaient bien plus courtes maintenant que le brouillard avait disparu. Il continua jusqu’au port de Kåseberga. Il prenait un risque. La photographie publiée dans les journaux n’était pas très ressemblante ; le problème était plutôt de tomber sur une connaissance. Il entra dans une cabine et appela son père. Comme il l’avait espéré, ce fut Linda qui répondit.

— Où es-tu ? demanda-t-elle aussitôt. Qu’est-ce que tu fabriques ?

— Écoute-moi. Quelqu’un peut-il t’entendre ?

— Ce serait qui ? Grand-père est à l’atelier.

— Et à part lui ?

— Il n’y a personne, je te dis.

— La police n’a pas mis la maison sous surveillance ? Pas de voiture sur la route ?

— Je vois le tracteur de Nilson dans un champ.

— Rien d’autre ?

— Arrête, papa. Il n’y a personne.

— J’arrive. Mais ne dis rien à grand-père.

— Tu as vu les journaux ?

— On en parlera tout à l’heure.

Il raccrocha en pensant qu’il était heureux que l’identité du meurtrier de Rykoff n’ait pas été révélée. La police ne lâcherait pas l’information avant la réapparition de Wallander. Il en était certain, après toutes ces années dans la corporation.

Il prit la direction de Löderup, laissa la voiture au bord de la route et fît la dernière partie du trajet à pied.

Elle l’attendait à la porte. Quand il fut entré, elle l’embrassa. Ils restèrent silencieux. Il ne savait pas ce qu’elle pensait. Mais pour lui, ce silence était la confirmation qu’ils étaient en train de devenir si proches que les mots ne seraient plus toujours nécessaires.

Ils s’assirent dans la cuisine.

— Grand-père ne reviendra pas avant un bon moment. Je suis impressionnée par sa discipline de travail.

— Son entêtement maniaque, tu veux dire.

Elle éclata de rire en même temps que lui.

Puis il lui raconta en détail ce qui s’était passé, et la raison pour laquelle il avait accepté d’endosser le rôle du policier errant à moitié fou.

— Qu’est-ce que tu penses pouvoir faire, au juste ? Comme ça, tout seul ?

Difficile de savoir si ce commentaire était inspiré par la peur ou la méfiance.

— Je veux l’attirer hors de son trou. Je sais bien que je ne suis pas une armée à moi tout seul. Mais je dois faire le premier pas. Il faut en finir.

Comme pour protester, elle changea soudain de sujet.

— Il a beaucoup souffert ? Victor Mabasha ?

— Non. Ça s’est passé très vite. Je ne pense pas qu’il ait compris qu’il allait mourir.

— Que va-t-il lui arriver maintenant ?

— Je ne sais pas. Je suppose qu’il y aura une autopsie. Ensuite, il faudra voir si sa famille veut qu’il soit enterré ici ou en Afrique du Sud. À supposer qu’il soit effectivement de là-bas.

— Qui était-il en réalité ?

— Difficile à dire. Par moments j’ai eu l’impression d’établir un contact avec lui. Puis il s’échappait à nouveau. Je ne sais pas ce qu’il pensait au fond. C’était un homme étonnant, extrêmement contradictoire. Si l’on devient ainsi à force de vivre en Afrique du Sud, alors ce doit être un endroit terrible.

— Je veux t’aider, dit-elle.

— Pas de problème. Appelle le commissariat et demande à parler à Martinsson.

— Non : Quelque chose que je serais seule à pouvoir faire.

— Ça, dit Wallander, on ne peut pas le programmer. Ça arrive, c’est tout. Quand ça arrive.

Elle appela le commissariat. Le standard ne réussit pas à localiser Martinsson. La main sur le combiné, elle demanda ce qu’elle devait faire, Wallander hésita. Mais il ne pouvait pas attendre.

— Demande Svedberg.

— On me dit qu’il est en réunion. Il ne peut pas prendre d’appel.

— Présente-toi. Dis que c’est important.

Quelques minutes plus tard, elle tendit le combiné à Wallander.

— Svedberg ? C’est Kurt. Épargne-moi tes réactions. Où es-tu ?

— Dans mon bureau.

— La porte est fermée ?

— Attends.

Wallander entendit la porte claquer.

— Ça y est. Où es-tu ?

— Dans un endroit où vous ne pourrez jamais me retrouver.

— Arrête, Kurt, merde !

— Écoute-moi maintenant. Sans m’interrompre. J’ai besoin de te voir. Mais à une seule condition. Que tu la boucles. Pas un mot à Björk, ni à Martinsson, ni à quiconque. Si tu ne peux pas me promettre ça, je raccroche tout de suite.

— On est en pleine réunion pour réorganiser les recherches te concernant. Ce serait un peu absurde que j’y retourne sans leur dire que je viens de te parler.

— Tant pis. Je pense avoir de bonnes raisons d’agir comme ça. Je compte mettre ma disparition à profit.

— Comment ?

— Je te le dirai quand on se verra. Allez, décide-toi !

Silence au bout du fil. Wallander attendit. Il ne pouvait prévoir la réponse de Svedberg.

— J’arrive, dit-il enfin.

— Certain ?

— Oui.

Wallander lui expliqua comment se rendre à Stjärnsund.

— Dans deux heures, dit Wallander. C’est possible ?

— Je me débrouillerai.

Wallander raccrocha.

— Je veux que quelqu’un sache ce que je fais, dit-il à Linda.

— Au cas où il arriverait quelque chose ?

La question avait fusé si vite qu’il n’eut pas la présence d’esprit d’éluder.

— Oui, dit-il simplement.

Il but encore un café. Au moment de partir, il hésita.

— Je ne veux pas t’inquiéter inutilement. Mais je préférerais que tu ne quittes pas cette maison au cours des prochains jours. Il ne va rien se passer. C’est juste pour que je puisse dormir sur mes deux oreilles.

Elle lui tapota la joue.

— Je ne vais pas bouger. Ne t’inquiète pas.

— Quelques jours, c’est tout. Le temps que ce cauchemar finisse. Ensuite, je devrai commencer à m’habituer à l’idée d’avoir tué un homme.

Il partit sans attendre sa réaction. Dans le rétroviseur, il vit qu’elle était sortie sur la route. Elle le suivait du regard.

 

Svedberg était ponctuel.

À quinze heures moins dix minutes, il freinait dans la cour du haras. Wallander enfila sa veste et alla à sa rencontre.

Svedberg le dévisagea longuement. Puis il secoua la tête.

— Qu’est-ce que tu trafiques au juste ?

— Je crois le savoir. Mais merci d’être venu.

Ils allèrent jusqu’au pont qui enjambait l’ancien fossé de la forteresse. Svedberg s’appuya au parapet et considéra la mélasse verdâtre à ses pieds.

— J’ai encore du mal à y croire, dit-il. Tu peux m’expliquer ce qui s’est passé ?

— Non. Il faudra poser la question à Konovalenko.

Ils continuèrent en direction des ruines. Svedberg regarda autour de lui.

— Je ne suis jamais venu ici, dit-il. On peut se demander à quoi ressemblait la vie d’un flic à l’époque de cette forteresse.

Ils marchèrent un moment en silence au milieu des fragments de l’ancienne muraille.

— Tu dois comprendre que ça nous a secoués, Martinsson et moi, de te voir comme ça, couvert de sang, hirsute, en train d’agiter tes armes. Tu en avais une dans chaque main.

— Oui, je comprends.

— Mais on a eu tort de dire à Björk que tu paraissais cinglé.

— Je me demande si ce n’était pas la vérité.

— Que comptes-tu faire ?

— Je veux pousser Konovalenko à me retrouver. Je crois que c’est la seule possibilité de le faire sortir de sa cachette.

Svedberg le regarda, l’air grave.

— C’est dangereux, dit-il.

— Le danger est moins grand quand on sait qu’il existe, répondit Wallander, en se demandant ce qu’à entendait exactement par là.

— Tu ne peux pas le faire seul.

— Si, répliqua Wallander avec fermeté. Il va vérifier que je suis seul. Il n’attaquera pas avant d’en être certain.

— Attaquer ?

Wallander haussa les épaules.

— Il va essayer de me tuer. Mais il n’y arrivera pas.

— Comment comptes-tu t’y prendre ?

— Ça, je n’en sais rien encore.

Ils rebroussèrent chemin et s’arrêtèrent à nouveau sur le pont.

— Je voudrais te demander un service, dit Wallander. Je me fais du souci pour ma fille. Konovalenko est imprévisible. Je veux que vous la surveilliez.

— Björk exigera une explication.

— Je sais. C’est pour ça que je te le demande à toi. Parles-en avec Martinsson. Björk n’a pas besoin d’être informé.

— Je vais essayer. Je comprends ton inquiétude.

Ils se remirent en marche vers le haras.

— Au fait, dit Svedberg comme pour parler d’un sujet moins effrayant, Martinsson a reçu la visite hier de quelqu’un qui connaissait ta fille.

— Quoi ? Chez lui ?

— Dans son bureau. Elle venait signaler un vol, quelque chose comme ça. Elle avait eu Linda pour élève autrefois.

Wallander s’immobilisa.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? Répète !

Svedberg répéta.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Je n’en sais rien.

— À quoi ressemblait-elle ?

— Il faudrait posa-la question à Martinsson.

— Essaie de te souvenir exactement de ce qu’il a dit !

Svedberg réfléchit.

— On prenait un café. Martinsson se plaignait, en disant qu’il allait attraper un ulcère à force de surmenage. « Si au moins on n’était pas dérangé à tout bout de champ. Je viens de voir une femme… Tiens, au fait, elle connaissait la fille de Wallander. Elle lui a donné des cours de piano. » Quelque chose comme ça.

— Il lui a dit que Linda était en Scanie ?

— Comment veux-tu que je le sache ?

— Il faut appeler Martinsson.

Wallander accéléra le pas. Puis il se mit à courir, Svedberg sur ses talons. Il entra en coup de vent et s’empara du téléphone.

— Appelle-le tout de suite ! Demande-lui s’il a dit à cette femme où était Linda en ce moment. Demande-lui comment elle s’appelait. S’il s’énerve, dis-lui que tu lui expliqueras plus tard.

— Tu penses que… ?

Je n’en sais rien. Mais je n’ose pas prendre de risque.

Svedberg fit le numéro du commissariat. On lui passa Martinsson. Wallander le vit prendre quelques notes au dos d’un prospectus. Martinsson était visiblement dérouté par les questions de Svedberg. Celui-ci raccrocha et dévisagea Wallander.

— Il le lui a dit.

— Quoi ?

— Qu’elle était chez ton père.

— Pourquoi a-t-il fait ça ?

— Elle lui avait posé la question.

Wallander regarda l’horloge au mur.

— Appelle Löderup. Mon père risque de répondre, il doit être en train de déjeuner à cette heure. Demande à parler à Linda. Et passe-moi le téléphone.

Wallander lui donna le numéro. De longues sonneries dans le vide. Enfin, quelqu’un répondit. C’était le père de Wallander. Svedberg échangea quelques mots avec lui avant de raccrocher.

— Elle a pris son vélo jusqu’à la plage, dit-il.

Wallander sentit son estomac se nouer.

— Je lui avais pourtant dit de ne pas quitter la maison.

— Elle est partie il y a une demi-heure.

Ils prirent la voiture de Svedberg. Il conduisait beaucoup trop vite. Wallander ne disait pas un mot. Ils parvinrent à la sortie vers Kåseberga.

— Continue. Prochaine sortie.

Ils s’arrêtèrent au bord du talus. Il n’y avait aucune autre voiture en vue. Wallander se mit à courir, Svedberg derrière lui. La plage était déserte. Wallander paniqua. À nouveau, il sentit le souffle de Konovalenko sur sa nuque.

— Elle a pu s’asseoir à l’abri d’une dune...

— Tu es certain qu’elle est venue ici ? demanda Svedberg.

— C’est la plage de Linda. Si elle a dit qu’elle allait à la plage, c’est ici. On va chercher chacun de notre côté.

Svedberg prit la direction de Kåseberga pendant que Wallander remontait vers l’est. Il essayait de se convaincre qu’il n’était rien arrivé à Linda. Mais pourquoi ne lui avait-elle pas obéi ? N’avait-elle pas encore compris, après tout ce qui était arrivé ?

De temps à autre, il se retournait vers la silhouette de Svedberg. Aucun résultat encore.

Soudain, il pensa à Robert Åkerblom. Dans une situation comme celle-ci, il aurait sûrement prié. Moi, je n’ai pas de dieu. Je ne crois même pas aux esprits, comme Victor. J’ai ma joie et ma peine, et c’est tout.

Un homme debout en haut du talus regardait la mer. Il tenait un chien en laisse. Wallander s’approcha. Avait-il vu une jeune fille seule sur la plage ? L’homme secoua la tête. Il venait d’y passa vingt minutes avec son chien, et il avait été seul.

— Et un homme ? demanda Wallander.

Il lui décrivit Konovalenko. L’homme secoua encore la tête.

Wallander continua. Il avait froid, malgré le vent tiède. La plage lui paraissait infinie. Puis il se retourna. Svedberg était très loin. Mais il y avait quelqu’un avec lui. Et il lui faisait signe.

Wallander se mit à courir. Lorsqu’il s’arrêta devant Svedberg et sa fille, il était épuisé. Il regarda Linda sans un mot, en essayant de reprendre son souffle.

— Tu ne devais pas quitter la maison, dit-il enfin.

— J’ai pensé qu’une promenade sur la plage était permise. En plein jour, je veux dire. Les problèmes se passent la nuit, pas vrai ?

Ils reprirent la voiture. Svedberg au volant, Wallander avec Linda à l’arrière.

— Que dois-je dire à grand-père ? demanda-t-elle.

— Rien du tout. Je vais lui parler ce soir. Demain je viendrai jouer aux cartes avec lui. Il sera content.

Ils se séparèrent non loin de la maison de Löderup. Svedberg et Wallander prirent la route de Stjärnsund.

— Je veux que la surveillance soit mise en place dès ce soir, dit Wallander.

— Je vais en parler tout de suite à Martinsson.

— Une voiture de police sur la route. Bien visible.

Svedberg le déposa dans la cour du haras.

— J’ai besoin de quelques jours, dit Wallander. Pendant ce temps, vous devrez continuer les recherches. Mais appelle-moi régulièrement.

— Que dois-je dire à Martinsson ?

— Que c’est toi qui as eu l’idée de faire surveiller la maison de mon père. Il faudra trouver les arguments.

— Tu ne veux toujours pas que je lui dise la vérité ?

— Tu sais où je suis. C’est suffisant.

Après le départ de Svedberg, Wallander alla à la cuisine et fit frire quelques œufs. Deux heures plus tard, les chevaux étaient de retour.

— Elle a gagné ? demanda Wallander quand Sten Widén entra dans la cuisine.

— Oui. Mais de justesse.

 

Peters et Norén buvaient un café dans la voiture.

Ils étaient de mauvaise humeur. Svedberg leur avait donné l’ordre de surveiller la maison du père de Wallander. Les heures n’étaient jamais aussi longues que pendant une planque. Rien à faire, sinon attendre la relève. Il était vingt-trois heures. La nuit venait de tomber.

— Qu’est-il arrivé à Wallander, à ton avis ?

— Je ne sais pas, dit Norén. Combien de fois dois-je le répéter ? Je ne sais pas.

— On s’interroge, c’est normal. Je me demande s’il ne serait pas alcoolique, par hasard.

— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

— Tu as oublié la nuit où on l’a arrêté sur la route ? Il était ivre mort.

— Ça ne fait pas de lui un alcoolique.

— Non. Mais quand même.

La conversation retomba. Norén sortit de la voiture pour pisser.

Ce fut alors qu’il aperçut la lueur. Il crut d’abord que c’était un reflet de phares automobiles. Puis il vit la fumée.

— Ça brûle ! cria-t-il.

Peters sortit à son tour de la voiture.

— Un feu de forêt peut-être ?

La fumée montait d’un bosquet de l’autre côté du champ le plus proche. Impossible de bien voir, le terrain était vallonné.

— Il faut aller vérifier, dit Peters.

— Svedberg a dit qu’on ne devait pas quitter la maison quoi qu’il arrive.

— Si c’est un incendie, on est tenus d’intervenir. Ça prendra dix minutes au maximum.

— Demande d’abord l’autorisation de Svedberg.

— Dix minutes, insista Peters. De quoi tu as peur ?

— Je n’ai pas peur. Mais les ordres sont les ordres.

Peters eut pourtant le dernier mot. Il passa la marche arrière et s’engagea sur un chemin de traverse boueux, en direction de la fumée. Sur place, ils découvrirent un vieux jerrycan. Quelqu’un l’avait rempli de papiers et d’un matériau plastique qui donnait aux flammes un éclat particulier. À leur arrivée, le feu était presque éteint.

— Drôle d’heure pour brûler des vieilleries, dit Peters en regardant autour de lui.

Il n’y avait personne. L’endroit était désert.

— On y retourne, dit Norén.

Vingt minutes après, ils étaient de retour devant la maison. Tout semblait paisible. Les lumières étaient éteintes. Le père et la fille de Wallander avaient dû aller se coucher.

Plusieurs heures plus tard, Svedberg arriva pour prendre la relève.

— Rien à signaler, dit Peters.

Il passa sous silence leur petite excursion.

Svedberg somnola dans la voiture. L’aube arriva, puis le matin.

À huit heures, il s’étonna de ne voir personne. Il savait que le père de Wallander était extrêmement matinal.

À huit heures trente, il sentit l’inquiétude le gagner. Il sortit de la voiture et traversa la cour.

Il sonna. Pas de réaction.

La porte n’était pas fermée à clé. Il entra dans le vestibule. Silence. Soudain, il crut percevoir un grattement. Comme une souris essayant de traverser un mur. Il suivit le bruit jusqu’à une porte fermée. Il frappa. Un rugissement étouffé lui répondit. Une seconde plus tard, il découvrait le père de Wallander couché dans son lit. Il était ligoté, la bouche couverte par un ruban adhésif.

Svedberg resta un instant comme pétrifié. Puis il détacha l’adhésif avec précaution et libéra le vieil homme, avant de fouiller les pièces l’une après l’autre. La chambre où devait dormir Linda était vide. Il n’y avait dans la maison que le père de Wallander.

— Quand est-ce que ça s’est passé ?

— Vers onze heures du soir.

— Combien étaient-ils ?

— Un.

— Quoi ?

— Un homme. Mais il était armé.

Svedberg se leva, la tête complètement vide.

Puis il alla téléphoner à Wallander.