Chapitre 30

Les murs du bureau de Lily semblèrent se dissoudre, et soudain Petty surgit, son visage d’adulte s’inscrivant en surimpression sur celui de l’enfant qu’il avait été, tous les deux présents.

Puis le visage de Kennett apparut.

Le visage de Kennett dans l’obscurité, dans la chambre de Lily. Cela devait être en hiver : elle avait acheté un sapin de Noël, expédié de quelque part dans le Maine à ce magasin de la Sixième Avenue. Elle se rappelait parfaitement l’odeur des aiguilles dans l’appartement pendant leur conversation.

Ils n’avaient pas fait l’amour, seulement dormi ensemble. Kennett y avait trouvé matière à plaisanterie, mais en même temps, cela le rendait malheureux. La crise cardiaque n’était pas si éloignée que ça.

« Voilà que tu passes des heures avec une grosse tête, dit-il. Je ne peux pas le croire. Je ne lui suffis pas, elle a besoin d’une grosse tête pardessus le marché.

– Pas une grosse tête, dit-elle.

– Si tu veux, pas une grosse tête, un boutonneux inspiré. Un fada de l’informatique. La revanche des forts en thème avec tous leurs petits stylos-bille alignés dans leur poche de chemise, visant Richard X. Kennett personnellement. Si ça se trouve, ma maîtresse en pince pour un génie de l’informatique aux oreilles décollées qui fait collection de stylos-bille.

– La ferme, dit-elle d’un ton faussement sévère. Sinon, je vais caresser tes exquises parties, après quoi je te laisserai en plan – et en bonne santé, évidemment…

– Lily ! » Le ton avait changé. Il pensait au sexe.

« Pardon. Je suis désolée d’avoir dit ça. Kennett…

– Ça va. Mais pour en revenir au boutonneux inspiré…

– Ce n’est pas un boutonneux inspiré. C’est vraiment un chic type. Et s’il arrive à trouver la clé de ce truc, cela pourrait lui valoir de l’avancement… »

Et Lily avait parlé, oui, elle avait parlé de l’affaire Robin des bois. Elle lui avait parlé, au lit, des gens des Renseignements qui avaient levé le lièvre, elle avait parlé de l’affectation de Petty, elle avait parlé des ordinateurs.

Elle n’avait pas tout lâché en bloc, comme dans un interrogatoire officiel. Mais par petits morceaux. Confidences sur l’oreiller. N’empêche, Kennett avait recueilli presque toutes les informations. Avec ce que Copland avait glané en écoutant aux portes et ce que Kennett avait appris au lit, ils devaient être au courant de tout.

Le visage de Petty flottait dans son subconscient. Petty et ses cheveux maintenus par la brillantine, ses oreilles rouges décollées, dévalant en courant le trottoir de Brooklyn en agitant le journal au-dessus de sa tête, tellement heureux de la voir…

« C’est moi qui t’ai tué, Walt », dit-elle à voix haute, s’adressant à la vision de Petty, croassant comme un corbeau de l’hiver. « C’est moi qui t’ai tué. »