Chapitre 13

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Lily.

Kennett se tourna vers elle et passa un bras sous sa tête.

« J’ai le sentiment d’être un invalide quand nous faisons ça. Je veux dire, seulement ça. »

Le lit double épousait la forme d’un triangle, rencogné dans la proue du bateau. Kennett était allongé sur le côté. Il tendit la main vers elle dans la pénombre et, du bout de l’index, effleura son front à la racine des cheveux, descendit le long du nez, parcourut les lèvres avec douceur, passa entre les seins, remonta pour pianoter tout doucement sur chaque aréole, puis redescendit vers son sexe, franchissant la hanche et longeant l’intérieur de sa cuisse jusqu’au genou. Elle était encore chaude, couverte de sueur.

« Nous ne sommes pas… obligés de le faire, dit-elle.

– Peut-être pas toi, mais moi, si, grommela Kennett. Si je ne faisais plus l’amour, j’aurais l’impression d’être un légume.

– Tu veux toujours être sur moi », dit-elle en feignant le ton de la plaisanterie. Voyant qu’il ne répondait pas, elle ajouta : « Tu devrais écouter Fermut.

– Ces connards de toubibs… » Fermut, le cardiologue, avait accepté avec réticence qu’il reprenne une vie sexuelle normale « à condition que votre partenaire fasse tous les efforts ».

« Écoute-le, insista Lily d’une voix douce. Il essaie de te sauver la vie, idiot.

– Ouais. » Kennett détourna la tête, se gratta la poitrine.

« Tu veux une cigarette, c’est ça ?

– Non, ce n’est pas ça. Je pensais seulement… ce ne sont pas les médecins. C’est moi. Quand je suis excité et que mon cœur se met à battre, je commence à l’écouter…

– Dans ce cas, tu devrais arrêter. Ne serait-ce que pour quelques semaines…

– Non, ce serait pire. C’est juste que… Sacrebleu, je voudrais qu’une chose, une seule bon Dieu de chose, soit simple dans ce monde. Juste une chose. Il faut que je baise, mais si je baise, je ne peux pas m’empêcher de penser à mon cœur et ça risque de tout gâcher. Et puis, avec toi qui es tout le temps sur moi, et moi, simplement allongé comme un mort qui bande, je commence à me demander, comment est-ce pour elle ? Cela doit ressembler à de la nécrophilie, de coucher avec moi.

– Richard, espèce d’idiot.

– Mon Dieu, que je suis content de t’avoir rencontrée…, dit-il au bout de quelques secondes. Je n’arrivais pas à croire que tu puisses être là, à travailler pour O’Dell. Je ne cessais de me dire, ce n’est pas possible qu’elle travaille simplement pour lui, pas une femme comme elle. Il doit nécessairement y avoir autre chose.

– Oh, non… ! » Lily gloussa, un drôle de son rauque, plutôt agréable.

« Désolé, dit Kennett en recommençant à la caresser. Je me demande comment il fait pour baiser, O’Dell. Il prend l’avion pour Las Vegas et se tape deux ou trois grosses en même temps ? Je serais curieux de savoir quand il a vu sa queue pour la dernière fois. Il est tellement énorme qu’il ne doit même plus pouvoir l’attraper…

– Écoute… » dit Lily, réprobatrice, mais elle gloussa de nouveau, une grande femme qui gloussait, et cela déclencha le rire de Kennett. Ensuite :

« Évidemment, cela a dû être différent avec Davenport. »

Lily coupa sèchement :

« Tais-toi. Je refuse d’en entendre davantage.

– Il doit être monté comme un ours.

– Tu tiens à ce que je te morde ?

– Est-ce une proposition honnête ?

– Dick…

– Écoute, je ne suis pas jaloux. Enfin, un tout petit peu. Mais honnêtement, j’aime bien ce type. Toute cette histoire de le faire venir pour danser avec la presse, c’est plutôt bizarre et pourtant ça marche. Tu crois qu’il finira par sauter Barbara Fell ?

– Je n’en sais rien, répondit-elle froidement.

– Il a plutôt l’air du genre à draguer, risqua-t-il.

– Tiens, voilà la poêle qui se moque du chaudron.

– Hé, je n’ai pas dit que c’était mal. Je me posais simplement des questions sur lui et Fell. C’est la carpe et le lapin.

– Elle est plutôt sexy.

– Sans doute, si on aime ce genre-là. Elle me fait penser à une dingue de moto qui serait tombée un peu trop souvent de sa Harley. Pourquoi les as-tu associés ? Une pulsion de ton inconscient te poussant à enterrer ton passé sexuel ?

– Non, non. Il nous fallait simplement quelqu’un qui connaissait bien les fourgues du centre de Manhattan.

– Oui, mais Davenport est censé jouer les porte-parole.

– Ce n’est jamais un porte-parole, même quand il parle. Ce type a plus de tours que toi dans son sac, et pourtant, tu es le plus retors, le plus rapide…

– Le plus roublard…

– Le plus sournois des salopards de notre police. D’ailleurs, il fallait bien qu’il fasse quelque chose pour décider les médias à lui parler.

– Admettons. » Les doigts de Kennett reprirent leur cheminement le long de la cuisse de Lily, dont la peau douce s’était rafraîchie, une fois la transpiration évaporée. « Il va falloir attraper un drap pour se couvrir, ou alors on va devoir trouver un moyen de réchauffer ce lit à nouveau. »

Lily lui saisit le sexe et dit : « Oh, mon Dieu, tu es sûr ? Dick… »

Il s’enroula autour d’elle, l’enveloppa d’un bras, la serra tout contre lui.

« C’est exactement le mot qui convient, Dick{8}

– Sois un peu sérieux.

– D’accord. Écoute-moi bien : j’ai réellement besoin de toi, c’est ce qui maintient mon cœur en activité. »

Beaucoup plus tard, pendant qu’il dormait, elle pensa : « Ils parviennent tous à vous culpabiliser ; c’est ce qu’ils réussissent le mieux… »