Chapitre 21

La plupart des visiteurs entraient par le bureau de O’Dell. Entendant frapper directement à sa porte, pourtant anonyme, Lily leva le nez de son Wall Street Journal et fronça les sourcils.

Un autre grattement discret. Lily ôta les lunettes demi-lune qu’elle portait pour lire – personne n’avait eu le privilège de les voir jusqu’alors – et répondit : « Oui ? »

Kennett passa la tête. « Tu as une minute ?

– Qu’est-ce que tu viens faire ici ? demanda-t-elle en repliant son journal et le mettant de côté.

– Te parler. » Il entra dans la pièce, jeta un coup d’œil vers une porte latérale entrebâillée qui donnait sur le bureau de O’Dell, vit qu’il n’y avait personne derrière la table.

« Il est en réunion, dit Lily. Qu’est-ce qu’il y a ?

– On a inondé la ville de portraits de Bekker en femme », dit Kennett, se laissant tomber dans le fauteuil en face d’elle. Faire la conversation, tenter un sourire… Ça ne prit pas. « Tu sais que c’est Lucas qui a mis le doigt dessus, l’histoire du travesti ? Ce n’est pas Fell.

– Je me suis dit que cela devait être lui, répondit Lily. Mais il veut que Fell soit bien notée.

– C’est sympa de sa part. » La voix de Kennett s’estompa, il regardait Lily comme s’il voulait lire dans ses pensées.

« Venons-en au fait, dit-elle enfin.

– D’accord. Que sais-tu de cette connerie d’histoire de Robin des bois que O’Dell est en train de colporter ? »

Lily fut prise de court, mais une petite voix lui souffla que c’était une bonne chose d’avoir l’air étonné. « Quoi ? Qu’est-ce qu’il est en train de colporter ? »

Kennett la regarda en plissant les yeux d’un air sceptique, comme s’il remettait quelque chose en question, et dit : « Il raconte un tas de conneries sur Robin des bois, le chef d’un supposé groupe d’autodéfense. J’ai comme l’impression que tout me désigne.

– Bon Dieu, ça alors ! dit Lily.

– Exactement. Il n’y a pas le moindre groupe de justiciers. C’est entièrement de la foutaise, cette histoire de Robin des bois. Mais ça ne signifie pas pour autant qu’il ne peut pas avoir ma peau. S’ils s’imaginent là-haut qu’ils ont un problème… », dit-il en levant le pouce vers le plafond, désignant les gens de l’étage supérieur, « et qu’ils n’arrivent à mettre la main sur personne, ils sont capables de vouloir un coupable quoi qu’il arrive, juste pour sauver leur peau.

– Mon Dieu…, dit Lily en secouant la tête. Je suis plutôt bien rencardée sur les faits et gestes de O’Dell, mais je n’ai entendu parler de rien de ce genre. Et je ne te cache rien, Richard. Franchement, je ne suis au courant de rien.

– Et moi, je te dis que c’est lui qui est derrière tout ça. »

Lily se pencha vers lui.

« Donne-moi quelques jours, et je découvrirai ce qu’il en est. Laisse-moi poser deux ou trois questions. S’il est dans le coup, je te le dirai.

– Tu le feras vraiment ?

– Évidemment que je le ferai.

– Génial. » Il lui sourit. « Quand tu es lieutenant ou en dessous, tu as des amis et des maîtresses. Si tu es capitaine ou au-dessus, tu as des alliés. C’est la première fois que j’ai une alliée-maîtresse. »

Elle ne lui rendit pas son sourire, mais dit : « Richard. »

Le sourire de Kennett s’éteignit aussitôt.

« Mmm ?

– Avant que je ne me mouille là-dedans, dis-moi, sérieusement, tu n’es pas Robin des bois ?

– Non.

– Jure-le, dit-elle en le regardant droit dans les yeux.

– Je le jure, dit-il sans ciller, soutenant son regard. Je ne crois pas à l’existence de ce type. Robin des bois n’est qu’une création sortie d’un ordinateur.

– Comment ça ? »

Il haussa les épaules.

« Lance cinq cents fois une pièce de dix cents. Les événements relèvent du hasard, mais on finit toujours par trouver des schémas. Lance-la encore cinq cents fois. Tu trouveras d’autres schémas. Différents. Mais le schéma ne signifie rien. C’est pareil avec ces recherches informatiques – il est toujours possible de trouver des schémas si l’on examine des quantités suffisantes. Mais le schéma est dans ta tête, il n’existe pas réellement. Robin des bois est une création de la petite imagination étriquée de O’Dell. »

Les yeux de Lily s’étrécirent.

« Comment as-tu réussi à en apprendre autant sur ce qu’il faisait ?

– Holà ! Je travaille dans le renseignement, dit-il, légèrement vexé. Les bruits circulent. J’ai jugé que son petit jeu était relativement inoffensif jusqu’au moment où mon nom a commencé à sortir. »

Elle réfléchit un instant, puis hocha la tête et dit : « D’accord, laisse-moi le temps de fouiner un peu partout. »