Chapitre premier

Une pensée jaillit telle une étincelle dans l’esprit chaotique de Bekker.

Le jury.

Il l’attrapa mentalement au vol, comme on attrape une mouche quand on a la main preste.

Bekker était avachi sur le banc des accusés, au cœur du cirque. Ses yeux bleus, vides, délavés et écarquillés, pareils à ceux d’une poupée en plastique, roulèrent dans leur orbite. Ils se promenèrent autour de la salle d’audience, captèrent un plafonnier, s’arrêtèrent sur une prise de courant, glissèrent sur les regards qui le fixaient. Ses cheveux avaient été taillés court, la coupe pénitentiaire, mais on l’avait autorisé à garder sa barbe blonde hirsute. C’était par commisération : elle dissimulait l’entrelacs de cicatrices rougeâtres qui zébraient son visage. Au milieu de la barbe, ses lèvres humides et luisantes, roses comme des boutons de fleur, s’ouvraient et se refermaient régulièrement, évoquant une anguille.

Bekker examina la pensée qu’il avait attrapée au vol : Le jury. Des ménagères, des retraités, des loques qui vivaient de l’allocation-chômage. Et ils appelaient ça ses pairs ! Quelle vision grotesque des choses : il était docteur en médecine. L’un des meilleurs de sa profession. Il était respecté. Bekker secoua la tête.

Compris… ?

Le mot s’échappa du bec de corneille de Mme le Juge et résonna dans sa tête.

« Vous avez compris, monsieur Bekker ? »

Quoi… ?

Son imbécile d’avocat à tête de limande le tira par la manche : « Levez-vous. »

Quoi… ?

Le procureur général se tourna pour le dévisager, le regard chargé de haine. La haine le heurta de plein fouet et il libéra son esprit, le laissant s’exprimer naturellement. J’aimerais t’avoir sous la main pendant cinq minutes. Un bon scalpel bien affûté t’ouvrirait comme une putain d’huître, zip, zip. Comme une putain de palourde.

Le procureur sentit qu’il avait retenu l’attention de Bekker. C’était une coriace. Elle avait envoyé six cents hommes et femmes derrière les barreaux. Leurs menaces triviales et requêtes idiotes ne la touchaient plus. Pourtant, elle tressaillit et se détourna pour échapper au regard de Bekker.

Quoi ? Se lever ? Maintenant ?

Bekker lutta pour remonter à la surface. C’était tellement difficile. Il s’était laissé dériver pendant le procès. N’y voyait aucun intérêt. Avait refusé de témoigner. L’issue était connue d’avance et il avait des problèmes autrement sérieux à régler. Tels que survivre sans ses médicaments dans les cages du pénitencier de Hennepin County.

Maintenant, l’heure était venue.

Son sang circulait encore trop lentement, il suintait dans ses artères comme de la gelée de framboise. Il lutta pour reprendre conscience, et lutta en même temps pour cacher son effort.

Se concentrer.

Et il réintégra la salle d’audience, si lentement, si péniblement qu’il avait l’impression de marcher dans de la colle. Le procès avait duré dix jours et tenu la vedette dans les journaux autant qu’aux informations télévisées. Les caméras l’avaient traqué jour et nuit, le giflant en pleine face avec leurs intolérables projecteurs, les opérateurs reculant au petit trot devant lui chaque fois qu’on le transférait, menottes aux poings, de la prison au tribunal.

La salle d’audience était lambrissée de plaqué jaune. L’estrade où siégeait le juge était au fond, les bancs des jurés à droite, les tables de l’accusation et de la défense devant le juge. Derrière les tables, une barrière séparait la pièce en deux. Au-delà, une quarantaine de chaises inconfortables réservées au public étaient clouées au plancher. Les sièges étaient occupés une heure avant le début de l’audience, une moitié pour la presse, l’autre pour le public, les premiers arrivés étant les premiers servis. Pendant toute la durée du procès il avait entendu son nom circuler entre les rangées de spectateurs : Bekker Bekker Bekker.

Les membres du jury sortirent en file indienne. Aucun ne lui accorda un regard. On allait les enfermer à l’écart, ses pairs, et quand ils auraient bavassé pendant un laps de temps convenable, ils reviendraient pour le déclarer coupable de plusieurs meurtres au premier degré. Le verdict était incontournable. Quand ce serait fini, la corneille le ferait boucler.

Le taré de nègre de la cellule voisine le lui avait dit, dans son jargon des rues complètement tocard : « Y vont t’boucler ta sale carcasse à Oak Park, mec. Tu vas être dans une putain de cage grande comme un putain de frigo avec une télé pour surveiller tous tes gestes. Même quand tu vas aux chiottes y t’regardent, ils te prennent en film. Personne en sort jamais, d’Oak Park. C’est vraiment le merdier. »

Mais Bekker n’avait pas l’intention d’y aller. Cette seule pensée le remit d’aplomb et il s’ébroua, lutta pour reprendre le contrôle de lui-même.

Se concentrer.

Il se concentra sur de petits détails. Le short de gym qui lui entaillait la chair à la taille. La tête de rasoir coincée derrière ses testicules. La casquette des Sox, échangée contre des cigarettes, roulée dans sa ceinture. Ses pieds qui transpiraient dans de ridicules chaussures de sport. Des tennis et des chaussettes blanches avec son costume rayé de médecin chic. Il avait l’air grotesque et le savait. Il détestait ça. Seul un ploucard irait porter des chaussettes blanches et un costume à rayures, mais des chaussettes blanches et des chaussures de sport, ça, non. Les gens allaient se moquer de lui.

Il aurait pu chausser une dernière fois ses richelieus à bout perforé – un homme est innocent tant que sa culpabilité n’est pas établie – mais il avait refusé. Ils ne pouvaient pas comprendre. Ils croyaient que c’était encore une de ses excentricités, les chaussures en plastique avec un costume à sept cents dollars. Ils ne savaient pas.

Se concentrer.

Tout le monde était debout, maintenant, la robe de corneille le dévisageait, son avocat le tirait par la manche. Et puis Raymond Shaltie…

« Debout », aboya Shaltie en se penchant vers lui. Shaltie était gendarme, un lèche-bottes obèse en uniforme gris mal foutu.

« Combien… ? » demanda Bekker en levant les yeux vers son avocat, luttant pour articuler les mots, la langue pâteuse.

« Chuut. »

Le juge était en train de parler en regardant dans leur direction : « … attendre inutilement, et si vous laissez votre numéro de téléphone à mon secrétariat, nous vous appellerons dès que nous aurons la réponse du jury… »

L’avocat hocha la tête, les yeux droit devant lui. Il ne voulait pas croiser le regard de Bekker. Bekker n’avait aucune chance de s’en tirer. Et en son for intérieur, l’avocat ne voulait pas qu’il en ait une. Bekker était timbré, il avait besoin d’aller en prison. En prison jusqu’à la fin de ses jours, et davantage encore.

« Combien de temps ? » redemanda Bekker. Le juge avait disparu dans les coulisses. J’aimerais bien l’attraper aussi, celle-là.

« Difficile à dire. Ils doivent tenir compte des différents chefs d’accusation. » L’avocat avait été nommé d’office par le tribunal. Il avait besoin de cet argent. « Nous viendrons vous chercher… »

Cause toujours.

« Allons-y », dit Shaltie. Il prit Bekker par le coude en lui enfonçant les doigts dans le réseau de nerfs qui se situe juste au-dessus de l’articulation. Un vieux truc de maton pour établir sa domination sur le prisonnier. Mais, sans le savoir, il rendit service à Bekker. Sous l’effet de cette douleur cuisante et inattendue, Bekker revint sur terre d’un seul coup, brutalement, comme s’il avait été giflé.

Ses yeux firent une fois le tour de la pièce. Il réfléchissait froidement, son chaos habituel compressé dans un recoin de son esprit, ses pensées violentes se débattant comme des rats en cage. Il calculait. Adoptant la voix plaintive d’un enfant qui demande la permission, il dit : « J’ai besoin d’aller…

– D’accord. » Ray Shaltie hocha la tête. Ce n’était pas un mauvais gars. Cela faisait vingt ans qu’il était affecté au tribunal. L’expérience l’avait attendri, l’amenant à voir le côté humain de tous les hommes, même les pires. Et il n’y avait pas pire que Bekker.

Dans l’esprit de Shaltie, cependant, Bekker restait un être humain : « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché jette la première pierre… » Bekker était un homme qui avait mal tourné, mais il n’en demeurait pas moins un homme. Aussi parla-t-il de ses hémorroïdes à Shaltie sur un ton geignard, les mots sortant de sa bouche comme des bulles. La nourriture de la prison n’arrangeait rien, expliqua-t-il. Tout ce fromage, ce pain, ces pâtes. Pas assez de fibres. Il avait absolument besoin…

Pendant les dix jours du procès, il était régulièrement allé aux toilettes à midi. Raymond Shaltie compatit : lui aussi, il avait eu ça. Tenant Bekker par le bras, Shaltie longea les bancs désertés des jurés. Bekker suivit en traînant les pieds, le regard vague, l’air infantile. Devant la porte, Shaltie le fit pivoter – docile, tranquille, apparemment transporté dans un autre monde –, lui passa les menottes et les chaînes aux pieds. Un autre gendarme qui regardait l’opération, n’ayant que son déjeuner en tête, tourna les talons dès que Bekker fut enchaîné.

« Il faut que j’y aille, répéta Bekker, levant les yeux vers Ray Shaltie.

– T’inquiète pas, t’inquiète pas », répondit Shaltie. Sa cravate était constellée de taches de soupe et ses épaules, de pellicules. Quel con, se dit Bekker. Shaltie le fit sortir de la salle d’audience. Bekker suivit à l’allure traditionnelle des prisons, des pas de trente centimètres pour cause de jambes entravées. Derrière la salle, un étroit couloir menait à un escalier intérieur et à une cellule de détention. Mais sur la gauche, au-delà d’une porte de service, il y avait des toilettes pour hommes réservées aux employés, un minuscule local équipé d’un lavabo, d’un urinoir et d’une unique cabine.

Shaltie suivit Bekker dans les toilettes.

« Voilà, ça va aller, maintenant. » Un avertissement dans la voix. Ray Shaltie était trop vieux pour se battre.

« Oui », répondit Bekker. Derrière ses yeux bleu pâle apparemment si vagues, son esprit fonctionnait sans difficulté, l’adrénaline activant maintenant son cerveau avec autant d’efficacité qu’une dose de la meilleure amphétamine. Il se retourna, leva les bras devant lui, présentant ses poignets à Shaltie. Le gendarme inséra la clé et libéra le prisonnier de ses menottes. Ce faisant, il enfreignait le règlement, mais aucun homme ne peut s’essuyer s’il porte des menottes. D’ailleurs, où Bekker pouvait-il aller avec ses jambes enchaînées ? Il ne pouvait pas courir. Et son visage dissimulé sous cette barbe hirsute était, pour le moment du moins, le plus célèbre des Cités jumelles.

Bekker entra dans la cabine en traînant les pieds, referma la porte, baissa son pantalon et s’assit sur la cuvette. Le regard perçant, maintenant, concentré. On utilisait des rasoirs jetables en prison, des Bic. Il avait brisé le manche de l’un d’eux, ne gardant que la tête et un tronçon faciles à dissimuler lors des fouilles. À la première occasion, il avait passé le tronçon sous la flamme d’une allumette, émoussant les bords pour qu’il soit d’un port plus confortable. Le matin même, il l’avait collé sous ses testicules avec du ruban adhésif et arrimé avec un morceau de sparadrap. Il arracha prestement le rasoir de sa cachette, tira sur la languette adhésive et entreprit de tailler dans sa barbe.

Il l’avait laissée pousser pour cacher son visage ravagé. Bekker, qui était d’une telle beauté il n’y a encore pas si longtemps, avec son visage classique de Scandinave, son ovale sans défaut, son teint clair et ses lèvres roses, avait été tabassé au point de devenir un gnome grotesque, mis en pièces et grossièrement recousu. Davenport. Attraper Davenport. Il se prit à fantasmer : découper Davenport, lui éplucher le visage avec un couteau, décoller la peau centimètre par centimètre…

Il se ressaisit : ce genre de fantasmes, c’était pour la cellule. Il repoussa à regret l’image de Davenport et continua à se raser en hâte, irrégulièrement, la lame achoppant sur sa peau sèche. La douleur lui arracha un grognement. Derrière la porte, Shaltie fit la grimace.

« Alors, c’est bientôt fini, là-dedans ? » cria-t-il. Les toilettes puaient l’ammoniaque, le chlore, l’urine et la serpillère humide.

« Oui, Ray. » Bekker lâcha le rasoir dans la poche de sa veste et s’attaqua au support de papier hygiénique. À l’origine, il était fixé au mur par quatre vis. Pendant les trois premières journées du procès, il en avait enlevé deux, qu’il avait expédiées par la cuvette en actionnant la chasse d’eau, et avait partiellement dévissé les deux autres. La veille, il les avait même extraites pour s’assurer que le porte-rouleau se détacherait facilement. Pas de problème. Il dévissa définitivement les deux vis, les jeta dans la cuvette et libéra le porte-rouleau. Il l’empoigna par la tige centrale et sa main s’y lova comme dans un gant de boxe en acier.

« Ça y est, Ray, je suis prêt. » Bekker se releva, remonta son pantalon, enleva sa veste et la plia sur son bras pour recouvrir le gant d’acier, tira la chasse. Inspira à fond. Baissa les yeux comme s’il regardait sa braguette. Ouvrit la porte. Sortit en traînant des pieds.

Shaltie attendait, les menottes à la main : la mâchoire molle, le nez saupoudré de taches de rousseur, un peu lent à la détente.

« Tournez-vous… »

Puis, voyant le visage de Bekker, comprenant soudain : « Hé… ! »

Bekker s’était à moitié retourné, l’air tendu. Il laissa tomber sa veste, sa main droite se détendit comme un fouet, il ouvrit la bouche et ses dents blanches scintillèrent sous l’éclairage au néon. Shaltie recula maladroitement, essayant de se protéger de la main. Trop tard, trop tard. La masse d’acier inox le cueillit au-dessus de l’oreille. Il s’effondra et l’arrière de son crâne alla heurter violemment le lavabo de porcelaine.

Bekker était déjà sur lui, levant son poing d’acier, l’abattant brutalement, une fois, deux fois. Il sentit les os craquer, vit le sang jaillir.

Frapper frapper frapper frapper…

Les synapses du cerveau de Bekker s’allumèrent avec les étincelles. Il se débattit, lutta pour reprendre son contrôle, mais c’était extrêmement difficile avec l’odeur de sang frais qui montait à ses narines. Il cessa de boxer, vit que sa main gauche était sur la gorge de Shaltie. Écarta la main, se releva à moitié, le cerveau pas net. Et dit à voix haute, s’exhortant au silence en portant un doigt à ses lèvres : Chut, chuuut.

Il se redressa complètement. Maintenant, le sang circulait dans ses veines comme de l’eau, de la vapeur, emplissant son corps. Et ensuite ? La porte. Il sautilla jusque-là, vérifia le loquet. Fermé. Parfait. Revint vers Shaltie qui gisait sur le carrelage, le visage tourné vers le plafond, soufflant des bulles de sang par le nez. Bekker l’avait observé quand il manipulait les clés : il les avait mises dans sa poche droite. Il les récupéra, fit sauter les chaînes qui entravaient ses jambes. Libre. Libre.

Assez. Il se ressaisit, se regarda dans le miroir.

Son visage était une catastrophe. Il sortit le rasoir de sa poche, s’aspergea le visage d’eau et de savon liquide et y passa la lame. Écouta le souffle de Shaltie, grognements et gargouillis. La tête de Shaltie reposait dans une mare de sang dont Bekker sentait l’odeur. Il jeta le rasoir dans la corbeille, se retourna, se pencha sur Shaltie, l’attrapa sous les aisselles, le tira jusque dans la cabine, le hissa sur le siège des toilettes et l’adossa au mur. Shaltie émit un ronflement et un autre flot de sang sortit en bulles de ses narines. Bekker n’y prêta aucune attention. Le temps pressait.

Il enleva son pantalon, se coiffa de la casquette des Sox et se servit du pantalon pour essuyer le sang sur le carrelage. Quand ce fut terminé, il jeta pantalon, veste, chemise et cravate par-dessus le corps de Shaltie. Et se regarda dans la glace : maillot vert, short rouge, chaussures de jogging, casquette. Un sportif. Le visage était en piteux état, mais personne ne l’avait vu de près, sans barbe, depuis plusieurs semaines. Certains flics et deux ou trois avocats pourraient le reconnaître, mais avec un peu de chance, ils n’iraient pas regarder des types qui faisaient du jogging.

Davenport. Cette idée l’arrêta net. Si Davenport se trouvait là, dehors, s’il était venu écouter le verdict, Bekker était un homme mort.

Il n’y pouvait rien. Il repoussa l’idée, inspira à fond. Fin prêt. Entra dans la cabine avec Shaltie, ferma le loquet de l’intérieur, se coucha sur le dos, se laissa glisser sous la porte, se releva de l’autre côté.

« Putain de bordel. » À voix haute. Il avait appris ça en prison, le juron standard, utilisable en toutes circonstances. Il se recoucha sur le carrelage, se faufila à moitié sous la porte, tendit la main pour attraper le portefeuille de Shaltie, inspecta le contenu. Douze dollars. Une carte de crédit Visa. Mauvais. L’argent allait poser un problème. Il glissa le portefeuille dans son caleçon, s’approcha de la porte, tendit l’oreille.

Shaltie respirait encore, il entendait les bulles. Bekker envisagea de retourner à l’intérieur de la cabine pour l’étrangler avec sa ceinture. Toutes les humiliations de la semaine passée, la torture que cela avait été lorsqu’ils lui avaient pris ses médicaments… Pas le temps. Le temps le tracassait, maintenant. Il fallait y aller.

Il laissa Shaltie en vie, tourna le bouton de la porte, jeta un coup d’œil dans le couloir. Personne. S’approcha de la porte suivante qui ouvrait sur le grand hall. Une demi-douzaine de personnes, toutes massées de l’autre côté, celui du public, près des ascenseurs. En train de bavarder. Il n’aurait pas à passer devant eux car l’escalier était en face. Il voyait le panneau « Sortie », juste derrière le tuyau d’incendie.

Respirer un grand coup, et passer à l’action. Il sortit dans le hall en gardant la tête baissée. Le fonctionnaire adepte du jogging qui va prendre de l’exercice à l’heure du déjeuner. D’un pas assuré, il traversa le hall en direction de l’escalier, s’éloignant des ascenseurs. S’attendant d’une seconde à l’autre à ce que quelqu’un crie ou le montre du doigt. Ou à entendre des gens courir.

Il était dans l’escalier. Personne ne l’empruntait à partir de ces étages élevés.

Il descendit les marches en courant, comptant les étages au passage. À la hauteur du sixième, il entendit une porte claquer plus bas et quelqu’un qui descendait au-dessous de lui. Il ralentit l’allure en faisant le moins de bruit possible, entendit une autre porte s’ouvrir et se refermer, et accéléra de nouveau. Arrivé au palier principal, il s’arrêta et risqua un coup d’œil. Des dizaines de gens se pressaient dans le hall d’entrée. Parfait. C’était donc le premier étage. Plus qu’un. Il descendit une dernière volée de marches et tomba sur une porte métallique sans inscription. Il la poussa. Il était dehors, sur la place. Le soleil estival brillait de tous ses feux, la brise portait des odeurs de popcorn et de pigeons. Une femme était assise sur un banc, un enfant à côté d’elle. Elle était en train d’éplucher une pomme avec un canif. Le gamin attendait la pomme.

Tête baissée, Bekker passa devant eux en trottant. Un de ces obsédés de la forme physique qui bravent la circulation à l’heure du déjeuner et lèvent les genoux sous le soleil de plomb, rien de plus.

Courant comme un fou.