Chapitre 6

Le Tropique de la 6e Avenue.

La brume polluante que dégageait l’asphalte brûlant teintait le ciel de rose et les mirages de chaleur faisaient trembler les réverbères comme des danseuses du ventre. Fell passait en force au milieu du flot de taxis, un bras à la fenêtre, une cigarette sans filtre entre les doigts, une bonne vieille musique de rock se déversant de sa radio personnelle posée sur le siège arrière. « Light My Fire » des Doors.

« … Pas assez d’argent pour réparer la clim, disait-elle, mais nous avons trois ordinateurs, comme ça nous pouvons produire toujours plus de paperasse, et encore, ils ne sont pas neufs, c’est de la récupération… »

Parallèlement à eux, des bras bruns ou noirs pendaient à la portière des taxis jaunes, côté conducteur, tandis que les clients au teint plus clair étaient avachis à l’arrière, macérant dans leur sueur.

« Pourquoi des fourgues ? » demanda Lucas. Ils recherchaient des fourgues. Fell, lui avait-on dit, couvrait les cambriolages et les vols d’entreprises dans tout Manhattan, jusqu’aux quartiers de confection.

« Parce que, ayant lu un de ces articles médicaux complètement givrés de Bekker, Kennett s’est dit qu’il ne pouvait prendre ses mesures qu’avec du matériel médical spécialisé. L’un des articles parle de pression artérielle mesurée à partir d’un cathéter enfoncé dans l’artère radiale. Pour ça, il faut des instruments adaptés…

– Vous avez vérifié les boîtes qui fabriquent du matériel médical ?

– Justement. Dans toute l’Amérique du Nord, plus les grands fabricants japonais et européens. Que dalle. On a aussi contrôlé le matériel volé dans les hôpitaux et ça n’a rien donné non plus. Il faut bien qu’il se le soit procuré quelque part. Il y a deux autres gars qui vérifient des pistes secondaires… »

Ils s’arrêtèrent à un feu tricolore. Sur le trottoir, un marchand de fruits assis dans une chaise longue en plastique, le front recouvert d’un chiffon humide, épluchait une pomme rouge avec un stylet à lame effilée et manche de nacre, produisant un long ruban ininterrompu de peau. Un chat tigré au pelage mité passa mollement devant lui, s’arrêta pour reluquer le ruban d’épluchure, sauta dans le caniveau, jeta un ultime regard au monde diurne et disparut dans une bouche d’égout. N’importe quoi pour échapper à la chaleur.

« … Une espèce d’inversion de la chaleur et la température ne baisse jamais pendant la nuit, tu comprends. C’est là que les choses deviennent bizarres », poursuivit Fell en traversant le carrefour comme une flèche. Un jour, j’ai reçu un appel pour ce P.R. qui avait enfoncé la tête de sa vieille…

– Un quoi ?

– Portoricain. Bref, le mec avait enfoncé la tête de sa vieille dans la cuvette des toilettes et elle s’était noyée ; il a dit qu’il avait fait ça parce qu’il faisait tellement chaud et qu’elle ne voulait pas la boucler… »

Ils passèrent devant des bureaux de change et des restaurants mexicains et chinois, devant des délis et la puanteur d’une échoppe de francforts-choucroute, devant des gens qui avaient des pastilles rouges sur le front, des calottes et des T-shirts avec l’inscription (pleine d’esprit) « Défense de péter », devant des clochards et des pseudo-mafieux à lunettes noires vêtus de costumes à neuf cents dollars, pantalons à pattes d’éléphant et revers brillants.

Devant une grosse bonne femme dont le T-shirt était orné d’un 45 détouré sur la poitrine. Une bulle comme dans les dessins humoristiques, fléchée vers la bouche du revolver, annonçait : « Carte officielle de la ville de New York : Vous Êtes Ici. »

« Voilà Lonnie », dit Fell en garant la voiture le long du trottoir. Un taxi klaxonna furieusement dans leur dos mais Fell l’ignora et sortit de voiture.

« Hé, ça va pas… ? »

Fell pointa son index et son pouce recourbé vers le chauffeur en faisant mine d’appuyer sur la détente et contourna la voiture. Lonnie était assis sur le fond d’un casier à bouteilles en plastique renversé, un écouteur de baladeur fiché dans une oreille, et sa tête branlait au son d’on ne sait quelle musique. Il regardait dans la direction opposée quand Fell s’approcha de lui et donna un coup de pied dans le casier. Lonnie se retourna et leva les yeux, puis arracha l’écouteur de son oreille.

« Hé… ! » Lucas apparut devant lui, de l’autre côté. Aucune fuite possible.

« Lundi, tu as vendu trois cents seringues hypodermiques à Al Kunsler, dit Fell. Nous voulons savoir où tu les as trouvées et ce que tu détiens d’autre. Comme matériel médical.

– J’sais rien de tout ça », répondit Lonnie. Il avait des cicatrices autour des sourcils et son nez n’était pas tout à fait dans l’alignement de sa bouche.

« Allons, Lonnie. Nous sommes au courant, et personnellement je m’en contrefous », dit Fell avec une pointe d’impatience. Avec cette chaleur, elle avait le front trempé. « Tu nous fais lanterner, on te fait tomber. Tu parles, on s’en va. Et tu peux me croire, ce n’est pas une histoire dans laquelle t’aurais envie d’être impliqué.

– Bon. Qu’est-ce qui se passe ? » Il parut avoir des velléités de se relever, mais Lucas lui posa la main sur l’épaule et il retomba sur son casier à bouteilles.

« Nous recherchons ce dingo de Bekker, d’accord ? Il se procure du matériel médical. Nous cherchons des fournisseurs. Tu en connais au moins un…

– Jamais entendu parler de ce mec, Bekker…

– Eh bien, dis-nous gentiment où tu les as trouvées. »

Lonnie jeta un coup d’œil alentour, comme pour s’assurer que personne ne regardait.

« À Atlantic City, un type dans un motel.

– Comment les a-t-il eues ? demanda Lucas.

– Bon Dieu, comment je pourrais le savoir ? Sur la plage, peut-être.

– Lonnie, Lonnie…, commença Fell.

– Écoutez, je suis allé à Atlantic City pour faire quelques affaires régulières. Vous savez qu’il n’y a plus moyen de faire des affaires régulières par ici…

– D’accord, d’accord.

– … Et je rencontre ce mec dans un motel, qui me dit qu’il a de la marchandise. Alors je lui fais Qu’est-ce que vous avez ? . Et il me répond : Un tas de saloperies. Et c’était vrai. Il avait, disons, un million de trousses d’outils Snap-On, un peu de matos informatique, des sacs de voyage en cuir, des ceintures, des costumes, quelques bricoles et les seringues.

– Qu’est-ce qu’il avait comme voiture ?

– Une Cadillac.

– Neuve ?

– Non, vieille. Une putain de grosse vieille Cad couleur de citron vert, avec un toit blanc.

– Tu crois qu’il y est toujours ? »

Lonnie haussa les épaules.

« P’t-être bien. Il avait l’air d’être là depuis un bout de temps. Je sais qu’il y avait des filles dans le coin, il faisait la fête avec elles, elles avaient l’air de bien le connaître… »

 

Ils approchèrent une demi-douzaine d’autres fourgues, des arnaqueurs de deuxième zone.

Toutes les demi-heures, Fell cherchait une cabine et donnait un coup de téléphone.

« Personne à la maison ?

– Personne à la maison », répondait-elle, et ils repartaient faire la tournée des fourgues.

Fell était une cow-girl, se dit Lucas en la regardant conduire. Elle était née au mauvais endroit et à la mauvaise époque, dans le Bronx. Ce qui lui aurait convenu, c’est les Dakota, ou le Montana. Elle était maigre, avec de larges épaules et des pommettes osseuses, des cheveux roux frisés retenus en arrière par des barrettes. Plus la cicatrice au coin de la lèvre…

On l’avait tailladée avec un goulot de bouteille de bière brisée, lui expliqua-t-elle. Du temps où elle faisait les patrouilles. « Voilà ce qu’on ramasse, quand on veut empêcher des connards de s’entretuer. »

Babe Zalacki avait dû être canon jadis, quand elle avait encore ses dents. Elle secoua la tête et décocha un sourire rose édenté à Lucas : « Je connais rien à ces saloperies de matériel médical, dit-elle. Le plus près que je m’en suis approchée, c’est quand j’ai eu trois cents boîtes de couches Huggies, il y a une quinzaine de jours. Maintenant, les Huggies, ça se vend bien. Vous les emportez à Harlem et vous les vendez au coin de la rue, comme ça… » Elle fit claquer ses doigts. « Mais du matériel médical, là, alors… »

De retour dans la rue, Fell dit : « Le soleil descend. »

Lucas regarda le ciel où un soleil poussiéreux était suspendu au-dessus de l’ouest.

« Il fait encore drôlement chaud.

– Attends un peu d’être en août. En août, il fait vraiment chaud. Ça, ce n’est rien… Bon, faut que j’appelle. »

En haut de la rue, un type chauve en blouson de jean se tourna vers un immeuble, appuya une main contre le mur et se mit à uriner. Lucas le regarda terminer, se rajuster et poursuivre son chemin. Pas de problème.

Fell revint et annonça : « Il est rentré. La ligne est occupée. »

 

Il leur fallut une demi-heure, en coupant à travers la ville sous la lumière pâlissante, pour atteindre une zone d’entrepôts à proximité de l’eau. Fell ralentit enfin et effectua un demi-tour, montant sur le trottoir du côté droit. Elle coupa le contact, posa sa radio par terre devant le siège arrière, sous lequel elle récupéra une pancarte qu’elle jeta sur le tableau de bord : « Pas de radio à l’intérieur. »

« Même pour une voiture de flic ?

– Surtout pour une voiture de flic – les voitures de flics sont équipées d’un tas de gadgets. Du moins, c’est ce qu’ils croient. »

Lucas descendit, s’étira, bâilla et passa le pouce le long de sa ceinture, sous sa veste, jusqu’au cuir de son holster Bianchi. La rue était plongée dans l’ombre, avec des embrasures de porte renfoncées et des garages de briques fermés par une porte coulissante. Un cube en brique rouge que n’identifiait aucun signe ou numéro était suspendu au-dessus de leurs têtes comme un Looney Tune. Jusqu’au troisième étage, il y avait des rangées de fenêtres obscures, hautes et étroites. Du troisième au onzième, elles étaient noires. La moitié du dernier étage était éclairée.

« Il y a de la lumière, dit Fell.

– Drôle d’endroit pour vivre, dit Lucas en regardant autour de lui. Des bouts de papier voletaient paresseusement dans la rue, portés par une brise chaude et humide provenant de la rivière. Ça puait comme l’haleine d’un vieil homme aux dents gâtées. Ils étaient près de l’Hudson, quelque part entre la 20e et la 30e Rue.

« Jackie Smith est un drôle de type », dit Fell. Lucas s’approcha de la porte mais elle le retint par le bras. « Doucement. Donne-moi une minute. » Elle fouilla dans son sac et en sortit un paquet de Lucky.

« Tu es vraiment atteinte, dit Lucas en l’observant. Cette manie de fumer…

– Oui, mais comme ça, je n’ai pas besoin de réveil.

– Quoi ? dit-il, tombant dans le piège.

– À sept heures pile tous les matins, je suis réveillée par une quinte de toux. » Lucas ne riant pas, elle le regarda attentivement et précisa. « C’est une blague, Davenport.

– Ouais. Je hurle de rire intérieurement », dit-il. Puis il sourit.

Fell tassa une Lucky sur le dos d’une boîte d’allumettes, la ficha entre ses lèvres d’un geste sec de l’index et du médium, la protégea de sa main recourbée et l’alluma.

« Tu ne vas pas tout me foutre en l’air, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, le fusillant de ses yeux brillants.

– Je ne sais pas ce que ça veut dire », répondit Lucas. Il se passa un doigt dans l’encolure. Il avait l’impression d’avoir le cou en papier de verre. Si le fait d’avoir une encolure de chemise crasseuse était une maladie mortelle, ils allaient bientôt l’enterrer.

« J’ai vu les photos de Bekker après l’arrestation, dit Fell. On aurait dit que quelqu’un lui avait plongé la tête dans un broyeur. Si tu fais une chose pareille à New York, avec quelqu’un qui a des relations en ville comme c’est le cas de Jackie, c’est ta putain de carrière qui va y passer, au broyeur.

– Je n’ai pas de carrière, dit Lucas.

– Mais moi, si. Encore quatre ans, et c’est fini. J’aimerais bien aller jusqu’au bout.

– Qu’est-ce que tu vas faire, quand tu auras quitté la police ? » demanda Lucas, entretenant la conversation en attendant qu’elle ait fini sa cigarette. Il releva la tête et regarda vers le haut. Il faisait tout le temps ça à New York, même quand les immeubles n’avaient que douze étages.

« Je vais déménager à Hollywood, Florida, et me faire embaucher comme serveuse topless.

– Quoi ? » Elle l’avait surpris, ramené sur terre.

« Je blaguais, Davenport.

– Ah, bon. » Il releva les yeux vers le dernier étage, cessant de s’intéresser à la rue. « Qui est ce type ? »

Elle tira une bouffée, toussa dans son poing serré.

« Jackie ? Du gros gibier. Ceux que nous avons rencontrés jusqu’ici étaient des petits revendeurs, ou des moyens. Jackie, lui, c’est un grossiste. Il y en a trois ou quatre comme ça dans le centre-ville. Quand quelqu’un intercepte un camion bourré de matériel Sony, l’un des grossistes récupère le chargement et le répartit entre les revendeurs. Si ça lui chante, Jackie peut très bien passer le mot pour Bekker à une cinquantaine ou même une centaine de types. Si ça lui chante. Et ces types peuvent très bien parler à un million de drogués et de délinquants. Si ça leur chante.

– Si tu sais tout ça… ? » Il la regarda avec une curiosité détachée. Un homme déboucha du coin de la rue, derrière eux. Les ayant vus, il rebroussa chemin et disparut.

« Lui, son truc, c’est le matos invendable, poursuivit Fell. Quand quelqu’un a un énorme stock de chevilles mais pas de vis pour aller avec, il appelle Jackie. Jackie lui achète les chevilles et trouve ensuite quelqu’un qui en a besoin. Tout ça est parfaitement légal. Si tu le files, tu verras qu’il passe son temps à démarcher les entrepôts, dix à vingt par jour, jamais les mêmes, chaque jour de la semaine. Il parle à toutes sortes de gens. Des centaines. Quelque part au milieu de tout ça, il a huit ou dix mecs qui travaillent pour lui, qui font tourner sa petite affaire de recel dans les coulisses de ces entrepôts réglos. C’est dur, mon vieux. Je sais ce qu’il fricote mais je n’arrive pas à mettre la main sur ses stocks.

– Il te connaît ?

– Il sait qui je suis. Un jour, je suis restée planquée ici pendant trois jours, à surveiller toutes les allées et venues. J’ai relevé les numéros d’immatriculation de toutes les voitures. Il faisait un froid de loup. Tu sais comment c’est, quand il fait tellement froid que la neige ne tombe pas ?

– Ouais. Je viens du…

– Minnesota. Eh bien, ici, c’est pareil, dit-elle en regardant la rue, se souvenant. Alors, le troisième soir, ce type sort du bâtiment, frappe à la fenêtre de la bagnole où nous faisions le guet, mon collègue et moi, et nous tend une bouteille thermos pleine de café brûlant et deux sandwiches à la dinde, avec les compliments de Jackie Smith.

– Hum, dit Lucas en la regardant. Tu as accepté ?

– J’ai renversé le café sur les chaussures du mec », dit Fell entre ses dents. Elle tira une dernière bouffée, lui sourit et d’une pichenette envoya valser la cigarette dans la rue où elle rebondit dans un bouquet d’étincelles. « Ce connard s’imaginait pouvoir m’acheter avec un putain de sandwich à la dinde… Bon, on y va, maintenant. »

La porte de l’entrepôt était constituée d’une plaque de verre de trois centimètres d’épaisseur armée de tiges d’acier inoxydable. Deux mètres plus loin se dressait une deuxième porte identique. Une caméra vidéo était installée au mur, entre les deux portes. Fell appuya sur le bouton de sonnette correspondant à « dernier étage ». Une seconde plus tard, une voix électronique demanda : « Oui ? »

Fell se pencha vers le micro. « Les détectives Fell et Davenport pour Jackie Smith. »

Une brève pause, puis la voix dit : « Entrez et tenez vos plaques devant la caméra. »

La serrure grésilla, Fell poussa la porte et ils entrèrent. Dans le sas, entre les deux portes, ils brandirent leurs insignes. Une pause, et la serrure de la deuxième porte grésilla à son tour. « Prenez l’ascenseur jusqu’au douzième. C’est tout au fond », dit la voix.

Un hall stérile, blocs de ciment peints en jaune, les attendait derrière la deuxième porte. Il n’y avait pas de fenêtres, juste une porte coupe-feu en acier au fond du hall, et à gauche, celles des ascenseurs. Près des ascenseurs, une autre caméra vidéo les surveillait, enfermée dans une cage métallique près du plafond.

« Intéressant, dit Lucas. Nous sommes dans un coffre-fort.

– Tout à fait. Pas moyen d’arriver jusqu’ici à moins que Jackie ne soit d’accord. Si on y tenait vraiment, il faudrait sans doute une charge de plastic. Et après ça, il faudrait encore franchir la porte coupe-feu et trouver l’escalier, des fois que l’ascenseur serait bloqué au dernier étage. D’ici là, même en se hâtant, Jackie aurait disparu, bien entendu. Je suis sûre qu’il a une planque quelque part.

– Et il est sans doute en train de nous enregistrer », dit Lucas.

Fell haussa les épaules. « J’aimerais bien le coincer, et ce n’est pas faute d’y réfléchir, ce n’est un secret pour personne. » Ils étaient à mi-chemin quand elle demanda : « Il y a quelque chose entre Rothenburg et toi ? »

Lucas la jaugea.

« Pourquoi ?

– Simple curiosité. »

Ils regardèrent les chiffres clignoter l’un après l’autre et elle reprit : « En entrant dans la salle, elle t’a regardé d’une drôle de façon et j’ai pensé qu’il y avait un truc entre vous.

– Mais non… »

Elle secoua la tête. Elle n’en croyait pas un mot. Puis les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et ils sortirent dans un hall identique à celui du rez-de-chaussée : murs de ciment peints en jaune, porte d’acier gris dans l’un d’entre eux, caméra vidéo installée dans un angle.

« Entrez », proposa la voix désincarnée.

La porte d’acier s’ouvrit sur le Pays des Merveilles.

Lucas suivit Fell sur une plate-forme surélevée en teck qui dessinait une demi-lune et dominait une pièce immense. Dans les trois mille mètres carrés, supputa Lucas. Pour ainsi dire d’un seul tenant. Les différentes zones d’activité étaient délimitées par le mobilier, les lumières et les tapis, et non par des murs. La cuisine se trouvait sur la droite. Un homme blond scrutait l’intérieur d’un four et une odeur de pain frais chaud se répandait dans la pièce. Sur la gauche, en retrait, un autre homme, brun celui-là, se tenait sur un carré de gazon artificiel, une canne de golf à la main.

« Par ici », dit la voix désincarnée du hall. L’homme au club de golf leur fit un signe de la main. Fell ouvrit la marche, un parcours tortueux parmi ce qui paraissait être un hectare de meubles.

De bric et de broc, sans style particulier, décida Lucas : tout ça donnait l’impression d’être tombé de l’arrière d’un camion. Ou plutôt, de différents camions, provenant de différentes usines. Le gigantesque lit à baldaquin d’origine anglaise qui reposait sur un tapis d’Orient était recouvert d’un quilt américain. Trois caméras vidéo montées sur des trépieds étaient pointées dans la direction d’un écran de télévision de deux mètres de côté qui faisait face au lit.

Derrière la télé, un mur en demi-cercle, constitué de haut-parleurs qui arrivaient à hauteur d’épaule, bordait un espace-salon. Au centre, une table à plateau de marbre accueillait un équipement stéréo pour cassettes et disques compact et un assortiment d’un millier de C.D., sinon davantage. Sous la zone stéréo, le sol était en chêne recouvert de peaux de bêtes : tigre et jaguar, castor et buffle, et un carré luisant d’une fourrure qui aurait pu être du vison. Erroll Garner sortait en bulles des haut-parleurs : « Mambo Carmel. »

Au-delà du lit, isolant celui-ci de l’espace-sport, une cabine de douche en verre jaillissait du sol telle une cabine téléphonique géante. Deux cuvettes de toilettes la jouxtaient, installées face à face. Et de l’autre côté, il y avait une grosse baignoire.

Smith attendait dans l’espace-sport, à mi-chemin du mur du fond. Lequel était percé de deux ou trois portes. Lucas en déduisit qu’il y avait d’autres pièces derrière…

Smith, leur tournant le dos, faucha l’air avec un bois, expédiant la balle d’un mouvement ample dans un filet, secoua la tête et rangea le club dans un sac accroché au mur. Derrière lui, une rangée de plafonniers non allumés veillaient sur ce qui semblait être un green en véritable gazon, construit sur une aire surélevée. Au-delà du green, une lampe en pâte de verre était suspendue au-dessus d’un billard ancien. Et au fond de la pièce, un panier de basket était fixé au mur. Juste au-dessous, une raquette était tracée, cercle des lancers francs inclus.

« Je n’arrive pas à garder la tête baissée », dit Smith. Il s’avança vers eux, ses chaussures de golf chuintant sur le gazon artificiel. Smith était un homme de petite taille, au torse puissant, avec une moustache frisottée et des cheveux noir de jais. Il portait une chemise de golf noire rentrée dans un pantalon noir à pinces retenu par une ceinture en cuir noir tressé. Quelque chose qui ressemblait fort à une médaille de Saint-Christophe pendait en sautoir sur sa poitrine, au bout d’une chaîne d’or. Il sourit à Fell et lui tendit la main.

« Vous êtes le flic qui me surveillait l’année dernière… »

Fell ignora la main et attaqua sans préliminaires.

« Il faut que nous vous parlions de ce type, Bekker, dit-elle. Le type qui découpe un tas de gens en morceaux…

– Le dingo », dit Smith. Il retira sa main et, ne sachant où la mettre, finit par la glisser dans la poche de son pantalon. Il était perplexe, le frémissement de sa moustache en témoignait.

« Pourquoi moi ?

– Il a besoin d’argent et de drogues, et il ne peut pas se les procurer officiellement », dit Lucas. Il était passé du coin drive au green, dont la surface arrivait à la hauteur du genou, mais évidée de manière à offrir différents contours. Il se pencha, appuya ses doigts dessus. De l’herbe véritable, soigneusement taillée, fraîche, légèrement humide au toucher.

« Vous avez sous les yeux un projet fantastique », s’exclama Smith avec enthousiasme. Il ramassa une télécommande et effleura une série de boutons. Les projecteurs s’allumèrent au-dessus du green après quelques fractions de seconde vacillantes. « Ce sont des lampes conçues spécialement pour faire pousser l’herbe », expliqua-t-il en désignant l’installation du doigt. « Même spectre lumineux que le soleil. Joe, là-bas, connaît toutes les espèces d’herbe possibles, c’est lui qui a tout fait. Ceci est de l’agrostide authentique. Il lui a fallu un an pour arriver à ce résultat. »

Smith s’avança sur le green, le traversa d’un pas léger et se retourna pour regarder Lucas. Retour aux affaires : « Alors, comme ça, ce type a besoin d’argent et de drogues ?

– Ouais. Et nous voudrions que vous fassiez passer le mot sur votre réseau. Quelqu’un le fournit en dope, et nous le voulons. Maintenant. »

Smith prit un putter appuyé contre le mur du fond. Trois balles attendaient dans un panier. Il les fit sortir, plaça la première, frappa et rata. La balle roula à côté du trou et alla s’arrêter à une cinquantaine de centimètres.

« Six mètres vingt. Pas mal, dit-il. Quand vous avez une longue trajectoire comme ça, il faut simplement essayer d’arriver à une cinquantaine de centimètres du trou. Faire comme si vous visiez une plaque d’égout. C’est le secret pour réussir un au-dessus du par. Est-ce qu’on joue au golf, dans la police ?

– Nous voulons que vous fassiez passer le mot, insista Fell.

– Parlez dans mon nombril, dit le Petit Chaperon rouge », répondit Smith. Il positionna une deuxième balle, frappa avec son putter. La balle alla rouler à un mètre vingt au-delà du trou. « Bordel ! s’exclama-t-il. Ce sont les nerfs. Vous me mettez sous pression, tous les deux.

– Il n’y a aucun micro, dit Lucas tranquillement. Nous ne portons de mouchard ni l’un ni l’autre. Nous voulons simplement un peu d’aide.

– Et qu’est-ce que ça me rapporte ? demanda Smith.

– La fierté d’être un bon citoyen », proposa Lucas. Sa voix avait baissé d’un ton, mais Smith, faisant comme s’il n’avait rien remarqué, aligna sa dernière balle.

« Fier d’être un bon citoyen ? Bordel de merde ! Ici, à New York ? » ricana-t-il. Puis, levant les yeux, il ajouta : « Pardon, Dr Fell… De toute façon, j’ignore de quoi vous voulez parler, pour ce réseau… »

Il contourna le green, louchant sur sa balle. Le blond s’approcha, tenant un plat de porcelaine plein de tranches de pain fumant.

« Quelqu’un veut du pain frais ? Nous avons du beurre nature et à l’ail.

– On se fout de votre pain », dit Fell. Elle regarda Lucas. « Nous ne nous sommes pas fait comprendre. Peut-être devrions-nous demander aux pompiers de vérifier son…

– Non, le chantage politique ne marche jamais avec les types qui ont de bonnes relations, dit Lucas. Et M. Smith me donne l’impression d’avoir des relations. »

Smith lui lança un regard en coin.

« Qui êtes-vous ? Je ne vous remets pas.

– J’ai été appelé en qualité de consultant », dit Lucas. Il se rapprocha nonchalamment du filet qui entourait le drive, parlant d’une voix si basse que les autres l’entendaient à peine. Il sortit un fer trois du sac de golf et l’examina. « Je travaillais à la police de Minneapolis avant d’être foutu dehors. C’est moi qui ai attrapé Bekker la première fois, après qu’il eut tué une de mes bonnes amies. Il lui a tranché la gorge, mais avant ça, il l’a fait lanterner, il l’a laissée trembler de trouille à la perspective de ce qui l’attendait. Puis il l’a égorgée… Elle était ligotée, pas moyen de se défendre. Aussi, plus tard, quand je lui ai mis la main dessus…

– Il a eu le visage complètement bousillé, dit Smith, se souvenant.

– Exact, dit Lucas, revenant avec le club. Il a eu le visage complètement bousillé.

– Attends une minute », dit Fell.

Lucas l’ignora. Il sauta sur le green et s’avança vers Smith. Du coin de l’œil, il vit la main de Fell glisser vers le rabat de son sac en bandoulière. « Et cela ne m’a pas du tout dérangé de le bousiller. Vous savez pourquoi ? Parce que j’ai plein de fric de mon côté et que je n’avais pas besoin de ce boulot pour vivre. Je n’ai besoin d’aucun boulot.

– Qu’est-ce que vous voulez dire, bon sang… ? »

Smith recula en jetant un regard pressant au blond.

« Et Bekker m’avait vraiment tapé sur les nerfs », interrompit Lucas, noyant les paroles de Smith. Il avait les yeux écarquillés, le cou tendu sous son col de chemise. « Je veux dire qu’il m’avait méchamment tapé sur les nerfs. Et je tenais son revolver, qui avait une mire particulièrement acérée. Quand je l’ai attrapé, je lui ai tapé dessus avec la mire jusqu’à ce qu’on ne puisse plus dire s’il s’agissait d’un visage. Avant cet incident, Bekker avait plutôt une belle gueule, comme ce putain de green… »

Lucas pivota et entama l’irréprochable gazon d’un long mouvement balayant du fer trois. Un kilo de terre et d’herbe giclèrent de la plate-forme et allèrent se répandre sur le billard.

« Attendez, attendez ! » dit Smith en agitant les mains, essayant d’endiguer le désastre.

Le blond avait posé le plat de porcelaine à l’écart. Sa main glissa vers ses reins mais Fell sortit son revolver et le braqua sur lui en hurlant : « Non, non, non… »

Lucas poursuivit, faisant voltiger le club comme une faucille, criant à tue-tête, tournoyant autour de Smith en projetant des gerbes de salive sur la chemise noire de celui-ci : « Je lui ai martelé le visage, son putain de visage d’éphèbe, vous n’avez pas idée de la façon dont nous lui avons tabassé le visage. »

Lorsque Lucas s’arrêta enfin, le souffle court, une douzaine de profonds sillons zébraient la surface du green. Il se retourna et regarda le blond. Sauta à bas de la plate-forme et marcha vers lui. « Vous alliez sortir un revolver », dit-il.

Le blond haussa les épaules, qu’il avait larges comme quelqu’un qui soulève de la fonte, et se campa solidement sur ses pieds.

« Ça me fout vraiment en rogne, lui cria Lucas.

– Retiens-toi, pour l’amour du ciel ! » dit Fell, d’une voix rauque et pressante.

D’un geste rapide et violent, Lucas fit tournoyer le club au-dessus de sa tête et l’abattit. Le blond sursauta mais le club fracassa seulement le pain tout chaud et le plat en dessous. Des morceaux de porcelaine jaillirent çà et là et Lucas reprit en hurlant :

« Et vous avez essayé de nous acheter… »

Il se mit alors à courir, tituba, se retourna vers Smith et pointa le club vers lui comme s’il s’agissait d’un sabre.

« Je ne veux pas être votre ami. Je ne veux pas passer d’accord avec vous. Vous n’êtes qu’une ordure et le seul fait d’être ici me rend malade. J’ai une seule chose à vous dire, je veux que vous passiez le mot à votre réseau. Et je veux que vous me téléphoniez. Lucas Davenport, commissariat de Midtown South. Si vous ne le faites pas, j’aurai votre peau d’un tas de manières. Je parlerai au New York Times, au News et à l’Eye Witness News. Je leur donnerai des photos de vous et je leur dirai que vous êtes en cheville avec Bekker. Vous pensez que ça vous aidera, pour vos affaires ? Et puis, je pourrais aussi revenir vous voir et m’occuper de vous personnellement, parce que cette histoire Bekker, je la prends extrêmement au sérieux. »

Il dessina un demi-cercle, retrouvant son souffle, fit un pas en direction de la porte, et puis soudain envoya voltiger le club dans la cuisine, comme une pale d’hélicoptère. Le club décrocha une sauteuse en cuivre qui pendait à un mur, rebondit sur le fourneau et tomba par terre en même temps que la sauteuse dans un fracas épouvantable. « Je n’ai jamais été très bon avec les fers de longue portée », conclut Lucas.

 

En sortant du bâtiment, Fell observa Lucas jusqu’au moment où il se mit à sourire.

« Complètement givré, n’est-ce pas ? dit-il en lui jetant un coup d’œil.

– J’y ai cru, dit-elle sérieusement.

– Merci pour le soutien. Je ne pense pas que le blondinet serait allé très loin… »

Elle secoua la tête.

« C’était drôle. Enfin, je veux dire, drôle-bizarre. Je n’avais jamais pensé que Jackie Smith était pédé avant de voir ce garçon. C’est le même genre de rapport qu’avec les épouses, mais en pire. On en gifle un et voilà que l’autre se jette sur vous avec un couteau…

– Tu es sûre qu’ils sont pédés ?

– Oh, oui ! Sûre et certaine.

– Comment se fait-il qu’il t’ait appelée Dr Fell ? Tu es médecin ?

– Non. C’est à cause d’une comptine pour les gosses : Je ne t’aime pas, Dr Fell ; pour quelle raison, je ne peux dire ; mais ce que je sais, et ça c’est sûr ; c’est que je ne t’aime pas, Dr Fell.

– Ah ! Je suis impressionné.

– Je connais un tas de comptines, dit Fell en plongeant au fond de son sac à la recherche du paquet de Lucky. Tu veux que je te chante Le vieux roi Cole ?

– Je parlais de Smith. Qu’il connaisse les paroles de ce truc-là.

– Moi, je ne t’impressionne pas, alors ? » Elle cala la cigarette entre ses lèvres en le regardant en coin.

« Je ne sais pas encore. Peut-être… »

 

Barbara Fell habitait dans l’Upper West Side. Ils laissèrent la voiture de patrouille au commissariat et trouvèrent un taxi. Elle lui dit : « Il y a un bar convenable, dans mon quartier. Pourquoi tu ne viendrais pas boire un verre ? Tu reprendras tes esprits et après tu pourras sauter dans un bahut.

– D’accord. » Il hocha la tête. Il avait besoin de passer un peu plus de temps avec elle.

Ils remontèrent la Sixième Avenue vers le nord, et à l’approche de Central Park ils virent presque autant de monde sur les trottoirs que de voitures sur la chaussée, des touristes qui se promenaient en se tenant par le bras.

« C’est trop grand, finit par dire Lucas qui regardait la ville défiler sous ses yeux par la fenêtre. Chez nous, dans les Cités jumelles, on peut obtenir un tuyau sur à peu près n’importe quelle ordure… » Il regarda à nouveau dehors et secoua la tête. « Ici, on ne sait même pas d’où ils viennent. Vous ramassez autant d’ordures que certaines villes de gouttes de pluie. C’est la fosse septique de l’univers.

– D’accord, mais ça peut être drôlement chouette, aussi. On a des théâtres, des musées…

– Quand es-tu allée au théâtre pour la dernière fois ?

– Je ne sais pas… En fait, je n’ai pas les moyens. Mais si je pouvais me l’offrir…

– Tu vois. »

À l’avant, le chauffeur de taxi fredonnait quelque chose. Il n’y avait pas de mélodie, seulement des variations de volume et d’intensité, un rythme muet qu’il accompagnait en hochant la tête, ses yeux dépourvus d’expression fixant la chaussée de l’autre côté du pare-brise. Il serrait si fort le volant que ses jointures en étaient blanches. Lucas le regarda, regarda Fell et secoua la tête. Elle rit, il lui sourit et se retourna vers la fenêtre.

 

C’était un petit bar convivial, avec un éclairage soigné. Le barman salua Fell par son prénom et lui désigna un box dans le fond. Lucas prit la banquette qui faisait face à l’entrée. Une serveuse vint à eux, regarda Lucas, regarda Fell et dit « Oh, oh ! ».

« On est là pour affaires, dit Fell.

– C’est toujours ce qu’on dit, rétorqua la serveuse. T’as entendu que Louise avait eu son bébé ? Une fille, deux kilos neuf. »

Lucas observa Fell pendant qu’elle bavardait avec la serveuse. Elle paraissait un peu fatiguée, un peu perdue, cela se voyait dans son sourire mal assuré.

« Alors, commença-t-elle, revenant à Lucas, est-ce donc vrai qu’on se gèle les miches dans le Minnesota ? Ou bien est-ce seulement… »

Ils parlèrent de choses et d’autres, le genre de conversation que l’on a dans les bars. Un deuxième verre. Lucas guettant une brèche, attendant…

Voilà. Un homme mince entra dans la salle, effleura la joue d’une femme qui l’embrassa brièvement en retour. Il était blond, vêtu avec soin. Quelques instants plus tard, il regarda la nuque de Fell, dit un mot à la femme et observa Lucas avec insistance.

Lucas se pencha vers Fell et lui dit à voix basse : « Il y a un type, là-bas, je crois qu’il te regarde. Près du bar… »

Elle tourna la tête et son visage s’éclaira.

« Mica ! » appela-t-elle. Puis, à l’intention de Lucas : « C’était mon coiffeur, avant. Il est allé s’installer dans le centre-ville. » Elle se glissa hors du box et s’approcha du bar. « Quand es-tu rentré ?

– Je me disais bien que c’était toi… »

Mica était allé faire un tour en Europe. Il se lança dans un récit. Lucas but une gorgée de bière, leva les pieds pour atteindre le siège opposé, bloqua le sac de Fell entre ses chevilles, le ramena à lui tant bien que mal, fouilla dedans le plus discrètement possible tout en surveillant les parages. La serveuse jeta un coup d’œil dans sa direction, haussa les sourcils. Il secoua la tête. Si elle venait vers lui, si l’histoire de Mica se terminait trop vite, si Fell rappliquait en urgence pour prendre une cigarette…

Là, enfin. Les clés. Il avait attendu toute la journée l’occasion de mettre la main dessus.

D’un coup d’œil, il jaugea le trousseau niché dans le creux de sa paume. Six clés. Dont trois candidates plausibles. Il y avait au fond de sa poche une boîte plate en plastique qui contenait autrefois des punaises. Il avait viré les punaises et rempli le fond et le couvercle d’une fine couche de pâte à modeler. Il enfonça la première clé dans l’argile, la retourna, appuya de nouveau. Recommença l’opération avec la deuxième. Pour la troisième, il utilisa le couvercle. Si l’on prenait des empreintes trop rapprochées, l’argile avait tendance à se déformer… Il jeta un coup d’œil à l’intérieur : six bonnes empreintes bien nettes.

Fell continuait à bavarder. Il glissa les clés dans le sac, qu’il coinça à nouveau entre ses chevilles et remit en place par le même chemin.

Le cœur battant la chamade comme un pickpocket amateur.

Seigneur !

Enfin, il les avait.