Chapitre 28

Lily appela le lieutenant de patrouille du commissariat du 5e district et demanda que l’on envoie des escouades de renfort chez Mme Lacey.

« C’est pour Bekker, expliqua-t-elle. Qu’ils partent immédiatement. »

Elle raccrocha et se laissa lourdement retomber sur sa chaise, face à O’Dell, essayant de mettre de l’ordre dans ses idées.

Ils n’avaient pas bougé de la voiture

De l’autre côté de la table, O’Dell la regarda d’un air interrogateur. « Qu’est-ce que c’était au juste ? demanda-t-il. Le coup de téléphone de Davenport. Je crois avoir entendu citer mon nom. » Il parlait d’une voix menaçante, péremptoire, glacée.

Lily secoua la tête. O’Dell aboya :

« Je veux savoir ce qu’il a dit, lieutenant.

– Fermez-la, je réfléchis. »

Les yeux de O’Dell s’étrécirent. Il s’appuya contre son dossier. Cela faisait cinquante ans qu’il était dans la politique. D’instinct, il saisit l’avertissement dans le ton de Lily. Quelque part, l’équilibre des forces s’était modifié, mais ignorant où exactement, il lança une sonde.

« Je ne me laisserai pas manipuler, lieutenant, dit-il en insistant lourdement sur le grade. Peut-être seriez-vous plus à l’aise dans un commissariat de district, après tout. »

Lily, qui regardait intensément le mur au-dessus de la tête de O’Dell en remuant silencieusement les lèvres, baissa les yeux vers lui : « Vous auriez dû faire disparaître le formulaire de demande de billet d’avion pour Red Reed, avant de l’expédier en Caroline du Sud, John. J’ai les talons portant votre signature, ainsi que les rapports mentionnant ses prétendus témoignages. Je dispose même des dossiers de l’université de Columbia prouvant qu’il a assisté à vos conférences. Je sais également que vous lui avez sauvé la mise au moins une fois pour une inculpation de possession de drogue. Alors ne me faites pas chier avec des histoires d’affectation dans un commissariat de district, d’accord ? »

O’Dell acquiesça de la tête et se rencoigna dans son fauteuil. Cela devait pouvoir s’arranger. N’importe quoi peut s’arranger pour qui sait attendre. Il resta assis en silence pendant qu’elle continuait de scruter le mur au-dessus de sa tête. Finalement, elle laissa échapper une larme et dit : « J’ai besoin que vous m’aidiez avec l’ordinateur.

– Que comptez-vous faire au sujet de l’histoire Red Reed ?

– Je ne vais pas me servir de ça, juste Ciel ! Je veux dire, je ne vois pas dans quel contexte j’aurais besoin de l’utiliser. C’est simplement une chose que j’ai… découverte. »

O’Dell sourit malgré lui. C’était effectivement quelque chose qui pouvait s’arranger. La question se posait maintenant de savoir qui allait s’en charger.

« Davenport, dit-il. C’est vous qui m’avez dit de ne pas le sous-estimer. Mais il a l’air d’un drôle de bagarreur avec sa cicatrice sur le front, et ce qu’il a fait à Bekker…

– Deux Robins des bois viennent de débarquer dans la planque de Bekker. Lucas va les arrêter.

– Quoi ? » C’était au tour de O’Dell de ne plus comprendre.

« Alors, l’ordinateur ?

– Racontez-moi ce qui se passe.

– Je veux que vous confrontiez le nom de Copland à celui de Kennett. »

Les yeux de O’Dell s’écarquillèrent. Ses grosses lèvres bougeaient pendant qu’il procédait à des calculs mentaux, un processus de succion mouillé, extrêmement déplaisant. « Oh, non ! » dit-il. Il pivota, s’installa devant l’ordinateur, actionna un bouton, attendit que l’écran s’anime, entra le nom de l’utilisateur et le mot de passe, et commença à opérer.

La confrontation prit dix minutes. Une double colonne de dates et d’heures s’aligna sur toute la hauteur de l’écran.

« Cela remonte à des siècles, dit O’Dell d’une voix sans timbre en lisant la liste. Ils ont dû être comme père et fils. Copland l’a initié à l’art de la surveillance. C’était un vieux singe coriace. Il en a fait tomber plus d’un en son temps.

– C’est Kennett qui l’a infiltré chez vous. Il y a combien de temps ? »

O’Dell haussa les épaules.

« Dans les cinq ans. Cela fait cinq ans qu’il me sert de chauffeur. Il doit avoir planqué un micro dans la voiture, à moins qu’il n’ait bricolé une sorte de haut-parleur pour pouvoir entendre ce que nous disions. Chaque foutu mot que nous avons prononcé. » Il regarda Lily. « Comment en êtes-vous arrivée là ?

– Lucas a absolument tout épluché. Il est parvenu à la conclusion que Robin des bois ne pouvait être que vous ou Kennett… J’étais convaincue que ce n’était pas Kennett, et il s’est fié à mon jugement. Du moins, il me l’a dit. D’ailleurs, il aime bien Kennett.

– Je suis plutôt flatté qu’il m’ait considéré comme un coupable possible, dit O’Dell. Ainsi, Davenport et vous m’avez tendu un piège ?

– Il m’a suggéré de contrôler vos téléphones et de vous lâcher ensuite une information pour voir ce qui allait se produire. Guetter où elle allait ressortir. Nous n’avions pas encore fixé de plan précis. Nous devions en parler ce soir. Et puis cette histoire est intervenue. Quand il nous a appelés avec l’info sur Bekker, il n’était plus à la Citibank, il était déjà en train de surveiller la planque de Bekker. Il s’attendait à ce que vous appeliez quelqu’un, voire que vous expédiiez quelqu’un là-bas, une équipe de Robins des bois. Et effectivement, ils sont arrivés. Mais je ne vous avais pas quitté des yeux entre-temps…

– Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » demanda O’Dell.

Les larmes coulaient sans retenue le long des joues de Lily, mais elle semblait n’y prêter aucune attention.

« Que voulez-vous dire ? »

Il leva les paumes, un geste d’interrogation. En même temps, un drôle d’air satisfait éclaira son visage.

« J’ai l’impression que c’est vous qui menez le jeu en ce moment. Je vous demande donc, qu’est-ce qu’on fait ? »

Elle le considéra un instant avant de dire :

« Appelez Carter. Il est dans le groupe de Kennett.

– Et puis ?

– Dites-lui ce qui se passe avec Bekker, mais insistez pour qu’il tienne Kennett en dehors du coup.

– Et vous ?

– Ne me le demandez pas, dit-elle en se levant et se dirigeant d’un pas incertain vers la porte de son propre bureau. Ne me le demandez surtout pas, car je n’en sais foutre rien. »