15.

 

 

 

LORSQUE le 3E Étranger fit mouvement sur le Tonkin, il laissa son 3E bataillon implanté dans le sous-secteur de Sadec, à 180 kilomètres au sud-ouest de Saigon. Ce delta au sol spongieux formé tout entier par le lent apport des alluvions du Mékong est sillonné par de grands cours d’eau, quadrillé par un réseau très serré de canaux, de rachs, d’arroyos. De tout temps le sampan et la jonque y ont été le moyen de transport des autochtones, et à la veille de la guerre d’innombrables chaloupes à vapeur assuraient des services réguliers entre les différents centres.

À leur arrivée, les légionnaires trouvèrent les ports fluviaux encombrés de vieilles carcasses abandonnées. Au grand étonnement des autorités, le 3E Étranger réclama aussitôt l’attribution de ces coques détériorées que nul n’imaginait voir reprendre le cours des fleuves. Après de longues démarches le 3ebataillon obtint pourtant l’autorisation de remettre en état la My Huong, une chaloupe d’une vingtaine de mètres équipée de deux moteurs à vapeur.

C’est le capitaine Vergnes, commandant la 2e compagnie, qui avait dans un bel élan d’optimisme entrepris de rendre navigables les ruines de la chaloupe. Il fallut six mois à une équipe de dix légionnaires représentant plusieurs spécialités pour venir à bout d’un travail à première vue irréalisable.

Les deux moteurs furent démontés pièce par pièce, les éléments défectueux réparés, la rouille grattée centimètre par centimètre. On rabota la coque que l’on consolida ensuite à l’aide de pièces des bois les plus divers. Des plaques de blindage récupérées sur des engins japonais vinrent renforcer les bords du pont. Lorsque, vers la fin 1946, eurent lieu les premiers essais de la My Huong, le bateau avait des allures de yacht de plaisance. On l’affecta à un routinier travail de ravitaillement des postes qui dépendent du sous-secteur de Sadec.

 

Le 15 mars 1947, le sous-lieutenant Destors est convoqué chez le capitaine Vergnes. Il sait déjà que le lendemain à l’aube, il doit faire office de commandant à bord de la My Huong ; la mission étant le ravitaillement des postes de Long-Hung, Vinh-Than, Lap-Vo et Lai-Vung, tous situés sur le rach Lap-Vo.

Le capitaine Vergnes reçoit cordialement le jeune officier (Destors n’est âgé que de 23 ans).

« Je vous ai convoqué, déclare Vergnes, pour vous apprendre la présence de deux passagers supplémentaires à votre bord demain. Il s’agit de l’administrateur et de sa jeune protégée, Mlle Seydoux. »

Destors manifeste peu d’enthousiasme. L’administrateur annamite du sous-secteur 2 ne jouit pas d’une grande estime auprès des légionnaires. Il court sur lui les bruits les plus divers, et bien qu’aucune preuve ne soit venue fonder ces rumeurs, son attachement à la France est souvent mis en doute. Une chose est-certaine, il voue un mépris total à la Légion étrangère. Geneviève Seydoux est arrivée chez lui à peine un mois auparavant. Les légionnaires savent qu’elle prépare une thèse d’histoire sur l’Extrême-Orient, que ses parents sont des intimes de l’administrateur, ce qui explique son installation à Sadec.

 

« Il y a une raison particulière à cette escorte ? questionne Destors.

– Tourisme ! D’après ce que je sais, l’administrateur a cédé devant l’insistance de la jeune fille qui se plaint de ne pas voir grand-chose du pays.

– Mon capitaine, le secteur est calme, je l’admets. Mais vous savez mieux que moi que nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise. Ne peut-on, sous prétexte de sécurité, refuser à cet imbécile sa croisière d’agrément ?

– J’ai essayé, il m’a ri au nez. Le poste important qu’il occupe ne me permet qu’une simple mise en garde. J’ai fait mon devoir ; pour le reste, ça le regarde. J’ajoute qu’il n’ignore pas que nous transportons de nombreux civils chaque semaine à bord de la My Huong ; il considérerait mon refus comme un affront et je ne tiens pas à empoisonner mes supérieurs avec ce genre de rapport.

– À vos ordres, mon capitaine, je tâcherai de me montrer aimable.

– Je n’en attends pas moins de vous. Destors. Amusez-vous bien. »

 

Le 16 mars, à six heures trente du matin, les légionnaires embarquent sur le port de Sadec. Ils sont quatorze, plus une dizaine de partisans. Parmi eux se trouve Karl Hoffmann.

Hoffmann, légionnaire de 2e classe (il a toujours refusé de participer à un peloton d’avancement), est pourtant une des personnalités du 3e Étranger. Nul n’ignore au bataillon son identité réelle : Karl von der Heyden. Ex-plus jeune capitaine de la Luftwaffe. Croix de fer à vingt-quatre ans. Multiples citations. Une vingtaine de victoires aériennes. L’hebdomadaire Der Adler lui consacra en 1943 sa couverture et plusieurs pages. C’est un véritable héros national que tous les Allemands du régiment connaissent et vénèrent.

Pilote de chasse célèbre, le capitaine von der Heyden n’avait aucune raison d’être poursuivi comme criminel de guerre. S’il s’engagea à la Légion étrangère, ce fut à la suite d’un de ces drames familiaux qui ponctuaient l’effondrement du IIIe Reich : en 1945 à Hambourg, son père, le général von der Heyden, s’était donné la mort après avoir tué sa femme et les deux frères de Karl.

Karl Hoffmann est un aryen type, au visage carré et aux traits purs. Très grand, la silhouette athlétique, il parle un français impeccable, plus riche que l’argot qui tient de langue commune aux légionnaires (et qu’ils manient d’ailleurs avec une rare virtuosité, mis à part leurs pittoresques accents d’origine). Au 3e bataillon, Hoffmann se tient à sa place de simple soldat et ne cherche pas à tirer gloire de son passé.

L’administrateur et Mlle Seydoux font une apparition remarquée avec dix minutes de retard. Ils arrivent en voiture, conduits par un chauffeur à l’uniforme immaculé. L’administrateur est élégamment vêtu d’un costume blanc et d’une cravate à pois, il est coiffé d’un casque de liège blanc. La jeune fille qui l’accompagne doit avoir entre vingt et vingt-cinq ans. Son visage est souriant et agréable, ses longs cheveux châtains sont serrés par un mouchoir de soie sur sa nuque ; la perfection d’un corps svelte se devine sous une légère robe d’été crème d’une grande sobriété de ligne. Destors, qui ne l’avait aperçue que de loin, est instantanément séduit par une beauté qu’il ne soupçonnait pas. L’administrateur le présente, feignant à dessein d’ignorer l’adjudant Naessans qui pourtant se trouve au côté du sous-lieutenant.

Destors présente lui-même le sous-officier avec lequel Geneviève Seydoux échange poignée de main et sourire, ignorant l’incident.

L’administrateur monte à bord et se lance dans un numéro éblouissant de maître de maison. Lorsqu’il parle des réparations et des perfectionnements de la My Huong, il dit : « nous avons entrepris… nous avons décidé… », achevant par cette attitude d’exaspérer le jeune sous-lieutenant qui préfère s’éloigner.

L’adjudant Naessans, à qui rien n’a échappé, déclare, souriant :

« Il va bientôt croire qu’il est pour quelque chose dans ce boulot, ce vieux singe.

– Suffit, Naessans, tranche Destors. C’est son droit de faire le paon pour épater la petite. J’ai reçu pour consigne d’être aimable ; j’entends que vous le soyez tous, et s’il veut prétendre qu’il a reconstruit la chaloupe tout seul, je m’en fous. »

 

À l’aller le trajet commence sans incident notable. La chaloupe fait trois brèves haltes avant d’entamer la dernière partie de son court voyage vers Lai-Vung.

Geneviève Seydoux est surprise de constater la vigilance dont font preuve les guetteurs disposés sur le toit. Sur le ton de la plaisanterie, elle remarque en s’adressant à Destors :

« On a l’impression que vos hommes redoutent quelque chose ; tout paraît pourtant bien calme. » Destors n’a aucune raison d’inquiéter la jeune fille. « Ce sont les consignes, mademoiselle ; un point c’est tout. »

Froissée par la sécheresse de la réplique, Geneviève Seydoux reprend sa place auprès de l’administrateur avec lequel elle poursuit la conversation :

« D’après ce que j’ai cru comprendre, l’escale finale de Lai-Vung doit durer trois heures. J’espère pouvoir les mettre à profit pour visiter le village et ses environs.

– Je n’y vois aucun inconvénient, je serai moi-même astreint à quelques tâches ; mais je vous ferai escorter par un homme pour plus de sécurité. »

Accoudé au bastingage, fumant tranquillement, Karl Hoffmann (von der Heyden) contemple, pensif, la berge qui défile lentement. Il se trouve être le légionnaire le plus proche du couple. L’administrateur l’interpelle d’un signe de bras autoritaire. « Eh ! vous ! »

Hoffmann s’approche sans hâte.

« Vous parlez français ?

– Oui.

– Parfait. À Lai-Vung, pendant l’escale, vous escorterez Mlle Seydoux qui a exprimé le désir de visiter le village et ses environs. »

Hoffmann n’a même pas un regard vers la jeune fille, il répond, détaché :

« Je reçois mes ordres du lieutenant Destors. »

Puis, il se retourne, indifférent, et se replonge dans sa contemplation rêveuse. L’administrateur reste quelques secondes désorienté avant de hurler d’une voix suraiguë :

« Lieutenant ! »

Destors se précipite.

« Cet homme vient de me manquer de respect. Je vous prierai de sévir séance tenante. »

Du doigt, il a désigné Hoffmann qui est toujours impassible.

« Que s’est-il passé, Hoffmann ? interroge Destors, ennuyé.

– Ce monsieur m’a donné un ordre. Je lui ai dit que je les recevais de vous, c’est tout.

– Sur un ton que je ne saurais accepter, rétorque l’administrateur.

– Vous savez, fait remarquer le lieutenant, les légionnaires et les usages…

– Je demandais poliment à cet énergumène de bien vouloir accompagner Mlle Seydoux dans une promenade à travers Lai-Vung et ceci par mesure de sécurité. Puisque sa cervelle ne semble enregistrer que ce qui vient de vous, veuillez avoir l’obligeance de lui signifier votre accord pour cette mission dont il ne mérite pas l’honneur.

– C’est bon, Hoffmann, cède Destors, las de cette discussion. Vous accompagnerez Mlle Seydoux pendant l’escale.

– À vos ordres, mon lieutenant », répond Hoffmann, absolument indifférent.

À l’escale, pendant la promenade, Hoffmann se contente de marcher à côté de la jeune fille, sans faire aucun commentaire, répondant seulement par oui et par non aux nombreuses questions qu’elle lui pose.

Lorsque les jeunes gens regagnent le débarcadère, Geneviève lance sèchement : « Merci de votre obligeance ! » Hoffmann s’éloigne sans rien ajouter.

 

Au retour, la My Huong se transforme en arche de Noé. À Lai-Vung, trois familles accompagnées de leurs enfants et d’animaux vivants embarquent, puis au bac de Vam-Cong l’administrateur adjoint de Long-Xuyen fait monter à bord treize gardes communaux destinés au poste de Lap-Vo. Enfin, à Vinh-Than, les légionnaires récupèrent leur mascotte : un jeune orphelin annamite de treize ans, le petit Pham Van So, qui vient de passer quelques jours chez des amis. Il ramène deux chèvres et six poules.

À seize heures trente, la My Huong s’engage dans le rach Lap-Vo. Sur le toit le légionnaire Phily à la mitrailleuse de 50 et le légionnaire Beguain à celle de 30, surveillent les berges aidés chacun d’un partisan.

À seize heures quarante, la chaloupe surchargée progresse lentement et parvient à hauteur du rach Vai-Son. Alors, brusque et inattendue, c’est l’attaque. Trois armes automatiques provenant de la rive nord ouvrent un feu nourri.

La première rafale atteint trois hommes qui s’écroulent mortellement blessés ; ce sont les légionnaires Fusco et Streck, et le caporal Klein.

À bord, la panique s’empare des passagers. Les civils se sont jetés à plat ventre, écrasant souvent les enfants dans leur chute. Les mitrailleuses du toit ont riposté immédiatement, mais elles tirent au hasard tandis que l’ennemi bien caché s’acharne contre elles avec une précision étonnante. Un des partisans qui servait de chargeur est tué. Une balle coupe la bande de l’une des mitrailleuses ; la seconde est mise hors de combat par un projectile qu’elle reçoit dans son berceau.

La chaloupe continue d’avancer lentement, mais d’autres armes automatiques sont dissimulées le long de la berge et ouvrent le feu à leur tour, visant, cette fois, le gouvernail qui très rapidement ne répond plus. Devenue folle, la My Huong oblique sur la gauche – en direction de la rive où se trouvent ses agresseurs. Destors hurle l’ordre d’arrêter les machines. Malheureusement l’élan emporte la chaloupe ; son avant s’échoue juste en face des viets.

Protégés par les rambardes blindées les légionnaires tirent sans répit dans la direction des feuillages au milieu desquels l’ennemi reste invisible.

Obligé d’organiser la défense dans la confusion, Destors n’a pas le temps de s’occuper des civils qui, par réflexe, se ruent vers l’intérieur, cherchant à se tasser entre les machines immobilisées. Geneviève Seydoux cherche à les imiter ; comme eux, elle avance à quatre pattes sur le pont, attendant son tour pour gagner l’échelle d’accès qui descend à la salle des machines.

Sans aucune explication, lorsqu’elle passe à sa hauteur, Hoffmann la saisit par le bras et la tire à ses côtés, puis il se remet à tirer.

« Vous êtes fou, lance la jeune fille, laissez-moi aller me mettre à l’abri.

– Couchez-vous derrière la rambarde, elle est blindée, vous ne risquez rien.

– Je serais mieux en bas », réplique la jeune fille, faisant un mouvement pour aller reprendre son tour.

De nouveau Hoffmann la saisit et la ramène.

« Restez ici ! C’est la dernière fois que je vous le dis, j’ai autre chose à faire. »

Geneviève Seydoux a une seconde d’hésitation, mais frappée par l’assurance du légionnaire, elle cède et se tapit à l’abri de la plaque de blindage sur laquelle elle entend une pluie de balles ricocher.

Au bout d’un instant elle s’aperçoit qu’elle et le petit Pham Van So sont les seuls civils sur le pont ; un légionnaire qui se tient à quelques mètres semble avoir eu avec la petite mascotte la même attitude que celle d’Hoffmann à son égard.

Sans se relever elle crie à Hoffmann :

« Vous pensez que c’est dangereux en bas ?

– Les discours plus tard ! » répond Hoffmann qui continue à tirer.

C’est par intuition qu’Hoffmann avait retenu Geneviève Seydoux ; au bout de quelques minutes il s’aperçoit qu’il ne s’était pas trompé.

Dans la salle des machines l’une des chaudières explose. Une dizaine de civils sont tués sur le coup, la plupart des autres sont atrocement brûlés, les plus heureux s’en tirent avec des brûlures superficielles. L’administrateur n’est atteint que légèrement aux bras et aux mains, mais n’en émerge pas moins à l’air libre en hurlant de détresse.

 

La situation devient critique. Lahoz, le radio, arrive sur le pont : le poste émetteur, atteint dès les premières rafales est irréparable et il n’a pas pu transmettre le moindre message. Pour crier son rapport, Lahoz s’est tenu debout. Il reçoit plusieurs balles en plein front et s’écroule foudroyé. Aucune arme automatique ne reste disponible à bord, et il est évident que l’ennemi est fort d’au moins une centaine de combattants.

Par chance, la rive est nue sur une cinquantaine de mètres en profondeur, ce qui fait hésiter les viets à lancer un assaut dont l’issue finale ne fait pourtant aucun doute. Les rebelles ont compris la détresse des occupants de la chaloupe et n’ont aucun intérêt à s’exposer au feu des légionnaires installés coude à coude derrière la rambarde blindée. Il leur suffit de faire le siège de l’embarcation ; ils savent que, même si la My Huong est parvenue à lancer un S. O. S., les renforts ne peuvent arriver que de l’autre berge, leur laissant le temps de décrocher quelle que soit la puissance des secours.

Hoffmann a jugé la situation en technicien. Il cesse de tirer, pose son fusil, se retourne, le dos appuyé à la rambarde, et avec des gestes lents et précis, allume une cigarette sous le regard ahuri de Geneviève Seydoux. Puis, d’une voix suffisamment forte, pour n’être pas couverte par le fracas des détonations, il appelle le lieutenant.

« Je vous écoute, Hoffmann, répond Destors, accroupi à plusieurs mètres vers l’avant.

– Il faut aller chercher les mitrailleuses sur le toit et tenter de les remettre en état, mon lieutenant ! Sans ça ils viendront nous massacrer quand ils le voudront.

– Je sais, Hoffmann, mais personne ne peut parvenir vivant sur le toit : c’est en plein dans leur axe de tir.

– Si tous les hommes se lèvent d’un seul coup et se mettent à tirer debout, les viets peuvent se trouver distraits un instant et ne s’occuper qu’à faire des cartons.

– Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ?

– Vous vous rendez compte de ce qui va arriver dans moins d’une heure si nous nous contentons de rester sur la défensive ? »

Destors marque un temps de réflexion, puis répond :

« Vous y allez ?

– Si vous voulez, moi ou un autre !

– Écoutez ! Vous m’entendez tous ? hurle Destors de toute la puissance de sa voix. Je vais me lever dans trente secondes. En même temps, tout le monde m’imite. Feu à volonté. Tir à tuer sur tout ce qui bouge. Position du tireur debout. Préparez-vous. »

Un des partisans jette son fusil et se précipite vers le bord opposé, il enjambe la rambarde et saute à l’eau le plus loin qu’il peut. Avec une vivacité incroyable, l’adjudant Naessans l’a suivi et lui place, en plein vol, une balle entre les omoplates ; il rejoint vivement sa place et hurle à son tour :

« Vous m’entendez, partisans de mes fesses ! Si l’un de vous reste accroupi je le flingue séance tenante. »

La menace se révèle superflue, aucun homme ne cherche plus à fuir et, dès que le lieutenant se redresse, il est suivi de tous.

Hoffmann s’élance. D’un seul bond il parvient à saisir la barre d’appui du toit sur lequel il se hisse avec l’agilité d’un singe. Il saisit la mitrailleuse de 50 par le trépied, la laisse pendre à bout de bras vers le pont et la lâche. En rampant, il gagne la mitrailleuse Hotchkiss et lui fait suivre le même trajet, puis il se laisse tomber à l’abri du côté de la rive sud.

Les prévisions d’Hoffmann se sont révélées exactes : surpris par l’attitude des légionnaires et des partisans, les viets ont dirigé leur feu sur les cibles inespérées qui s’offraient à eux, ne remarquant que trop tard l’homme qui s’était hissé sur le toit. L’opération a réussi mais le bilan en est tragique ; la moitié de l’effectif est tombé : six tués dont quatre légionnaires, quatre blessés hors de combat, deux blessés légers. Il ne reste qu’une dizaine de combattants valides pour défendre la chaloupe.

 

Aidé de l’adjudant Naessans, Hoffmann examine les mitrailleuses. La petite est sérieusement endommagée mais la grosse Hotchkiss est simplement enrayée ; il faut une minute pour la remettre en état. Tout ce qui peut servir à bord pour confectionner un blockhaus de fortune est alors récupéré. La mitrailleuse, pour laquelle les munitions ne manquent pas, est disposée de façon à ce que son tir puisse couvrir toute la surface nue qui s’étend devant les repaires de l’ennemi.

Hoffmann lâche au hasard une longue rafale pour faire savoir aux agresseurs qu’ils sont maintenant pourvus d’une arme automatique en état. Un homme est désigné pour servir de guetteur à la mitrailleuse, les autres arrêtent leur tir inutile et se contentent de rester à l’abri.

Un calme total est revenu, les viets ont également cessé le feu, et le silence est peut-être plus inquiétant que le vacarme des détonations. Un partisan s’approche du lieutenant.

« Il y a un soldat qui va mourir, mon lieutenant. »

Destors jette un regard dans la direction de Geneviève Seydoux qui comprend la requête muette de l’officier. Elle rejoint le blessé et lui pose la main sur le front.

L’homme a la force de sourire. Il fixe la jeune fille de ses yeux voilés et fait des efforts pour parler, mais il ne parvient qu’à accélérer sa respiration haletante ; alors, comme pour s’excuser, il hoche la tête deux fois. Geneviève a pris la main du mourant. Un flot de sang s’échappe de sa bouche et l’homme expire dans un ultime hoquet. Ses yeux grands ouverts restent fixés sur le visage de la jeune fille qui lentement se détourne du mort. Elle ruisselle de sueur, sa robe est tachée de sang. Un instant elle fait un effort pour se contenir, puis elle éclate en sanglots et se réfugie sur l’épaule d’Hoffmann. L’Allemand est désemparé. Il jette un regard embarrassé sur ses camarades et sur le lieutenant ; il est honteux de sa chemise puante, inondée de sueur, dans laquelle Geneviève enfonce son visage. Il finit par sortir de sa poche un mouchoir crasseux et le tend à la jeune fille qui, soudainement, reprend ses esprits, se mouche et rend machinalement le chiffon sale SVT légionnaire.

« Excusez-moi », dit-elle simplement.

 

Vers dix-huit heures trente, à la tombée de la nuit, les viets tentent un assaut. Une vingtaine d’hommes se ruent sur la place en criant. Le tir de la mitrailleuse lourde les décime, mais quatre d’entre eux parviennent assez près de la chaloupe pour lancer des grenades.

Un combattant viet est abattu, mais les trois autres ont le temps de jeter leurs engins avant de s’écrouler.

Deux grenades tombent à l’eau, la troisième atterrit sur le pont. Le légionnaire Levagueresse se précipite et la relance au loin avant qu’elle n’explose.

Les légionnaires viennent de prouver à leurs agresseurs que la chaloupe est toujours imprenable.

Destors a rejoint Naessans et Hoffmann, il dit sans y croire vraiment :

« Dès que la nuit sera tombée il faut que l’un de nous essaie de traverser à la nage pour aller prévenir le poste de Lap-Vo. Nos munitions ne sont pas éternelles.

– La lune est pleine et il n’y a pas un nuage dans le ciel, fait remarquer l’adjudant. On y verra cette nuit comme en plein jour, un nageur se fera remarquer.

– On en enverra un autre, constate Destors, nous n’avons pas le choix. »

L’adjudant Naessans ne s’avoue pas vaincu :

« À vol d’oiseau, nous ne sommes pas à plus de dix kilomètres du poste de Lap-Vo. Ils ont dû entendre la fusillade, ils peuvent venir à notre secours.

– Lap-Vo se trouve sous le commandement du sergent-chef Œsterreicher. Il a reçu l’ordre formel de ne quitter son poste sous aucun prétexte, et je le connais, c’est un bon soldat.

– Il a pu prévenir Sadec par radio.

– Sadec commence de toute façon à s’inquiéter de notre absence, mais ils ne feront pas partir des renforts de nuit. Ce serait un suicide : il est possible que les viets n’attendent que ça. Et puis ils ne peuvent pas prévoir que notre situation est à ce point critique.

– Si les renforts partent de Sadec demain matin, ils seront ici vers dix heures.

– Et il sera trop tard. Les viets nous extermineront à l’aube, nos munitions seront épuisées. Non ; il faut s’en sortir cette nuit ou on y passe tous. »

D’une voix faible, Geneviève Seydoux supplie Destors.

« Lieutenant, jurez-moi de ne pas me laisser tomber vivante entre leurs mains. »

Le caporal Le Bohec, bon vivant optimiste, croit spirituel de lancer :

« Oh ! vous savez, ils sont montés comme des gamins, ils vous feront pas bien mal. »

Furieux, Destors tonne.

« Tu me feras quinze jours de placard, crétin.

– Avec plaisir », rétorque Le Bohec d’un ton sceptique. (Il ajoute, se tournant vers la jeune fille :) « Excusez-moi, mademoiselle, c’était manière à rigoler. »

 

Vers neuf heures du soir Destors constate amèrement que la lune permet une excellente visibilité. Le lieutenant fait signe aux survivants qui se groupent autour de lui. Parlant à voix basse il demande :

« Vous nagez tous ? »

Les hommes acquiescent.

« Qui pourrait nager sous l’eau le plus longtemps ?

– Il n’y a qu’à voir, suggère Naessans. Vous allez tous retenir votre respiration, on verra lequel tient le plus. »

Destors approuve ; les hommes qui ne se sentiraient pas le courage de tenter la dangereuse traversée pourront ainsi s’éliminer honorablement.

C’est Begin qui retient son souffle le plus longtemps et il paraît ravi de sa victoire.

« J’y vais en slip, annonce-t-il, ça sera plus facile. »

En silence, il enlève chaussures, chemise et pantalon. Sa peau est mate et le slip blanc – tranche violemment dans la pénombre ; tous le remarquent.

« Je vais tout de même pas y aller à poil !

– Si, justement, précise Naessans.

– Ah bon ! moi je m’en fous après tout. »

Tranquillement et sans se soucier de la présence de la jeune fille, Begin enlève son slip, provoquant quelques rires. Mais lorsqu’il se glisse "dans l’eau à l’aide d’un cordage, tous les hommes l’observent attentifs, retenant leur souffle.

Begin plonge après avoir rempli ses poumons. Prenant appui sur la coque de la chaloupe, il se propulse le plus loin possible, puis il se met à nager sous l’eau dans de larges et efficaces mouvements ; il nage jusqu’à ce que ses tempes battent. Alors il remonte à la surface, expire et aspire en silence et replonge. Une pluie de balles ricoche. Begin n’entend pas les détonations mais perçoit le crépitement des projectiles sur l’eau. D’un coup de rein il change de direction. Ça le sauve : les tireurs attendaient sa réapparition sur la ligne droite qui mène à la berge sud. Avant qu’ils réagissent Begin a de nouveau replongé. Et la nage en zigzag se poursuit. Plus il s’éloigne, plus il augmente ses chances. Le tir ennemi est pourtant d’une incroyable intensité ; une bonne vingtaine de fusils sont dirigés contre le nageur, et une mitrailleuse balaie sans interruption la surface de l’eau.

Il faut un bon quart d’heure à Begin pour gagner la rive opposée. Il arrive à se glisser dans un bosquet de roseaux où il est invisible ; alors il reste dix bonnes minutes immobile, cherchant à retrouver le rythme de sa respiration et les battements réguliers de son cœur. En face le tir n’a pas cessé mais les viets situent le nageur bien au-dessus de sa position réelle. Ils ont, par chance, mal évalué la force du courant qui a fait dériver Begin d’au moins vingt mètres.

Lorsque Begin est sûr de ne pas être repéré il commence à progresser en écartant délicatement les roseaux ; enfin il prend pied sur le sol ferme et s’enfonce en silence dans la jungle.

Il est toujours nu comme un ver mais cette idée l’amuse plus qu’elle ne l’effraie, et il marche en cherchant seulement à protéger ses pieds.

 

À bord de la chaloupe personne n’a pu, au-delà de la moitié du fleuve, suivre la progression du légionnaire et tous ignorent si Begin est parvenu sur la rive sud ou si son corps dérive en ce moment entre deux eaux.

« Il n’y a plus qu’à attendre, constate Destors. Veillez pour prévenir un assaut éventuel et priez Dieu pour qu’il ait réussi. »

Begin a trouvé une piste sur laquelle il marche maintenant à grands pas. Il est évident que ce chemin à peine tracé conduit à Lap-Vo ; si tout va bien, dans une heure ou deux il atteindra le poste.

Le légionnaire ne fait aucun bruit. La piste est terreuse et ses pieds nus l’effleurent à peine. Soudain, il perçoit le bruit de nombreux pas qui paraissent venir à sa rencontre. Sans hésiter, il se jette à plat ventre dans un bosquet touffu. Les pas se rapprochent, mais les hommes sont encore à une centaine de mètres. Amis ou ennemis ? Toute la question est là. De sa cachette Begin constate, rassuré, qu’il peut observer la piste sans risquer d’être repéré. Si ce sont des viets il n’aura qu’à les laisser passer tranquillement.

Après un bref instant, il n’a plus de doute, il a reconnu le pas des légionnaires, si différent et tellement plus lourd que celui des petits soldats viets. Pour plus de précaution, il attend néanmoins que la colonne soit en vue. Il ne s’était pas trompé, le sergent-chef Œsterreicher marche à la tête d’une quinzaine d’hommes. Sans se découvrir pour autant, Begin crie :

« À moi, la Légion ! »

Il en faut davantage pour dissiper la méfiance de la patrouille qui se couche instantanément dans un cliquetis d’armes. Le sergent-chef tonne en réponse :

« Oui va là ? »

– Begin, chef, 2e bataillon, section du sous-lieutenant Destors. Je sors les mains en l’air et" je suis à poil. »

En prenant garde de ne faire aucun mouvement brusque, Begin se lève et s’avance les bras tendus au-dessus de sa tête.

Œsterreicher le reconnaît et donne l’ordre aux hommes de se relever.

« Qu’est-ce que c’est que cette tenue ? Tu as joué au poker ?

– J’ai dû traverser à la nage ! Quand il m’a vu en slip, le lieutenant a dit que j’avais pas un cul, mais une cible. Alors voilà ! »

Begin relate en détail l’agression de la My Huong et la situation tragique des survivants. La patrouille s’est remise en marche. Begin est toujours nu, mais on lui a donné un fusil et une cartouchière qu’il a passée en bandoulière, ce qui rend sa silhouette encore plus inattendue et fait la joie des hommes. Poursuivant ses explications, il marche au côté du sergent-chef. Le groupe atteint les abords de la rive sud en une petite heure. Tous les légionnaires se sont déchaussés et se tapissent dans les hautes herbes.

 

Le sergent-chef Œsterreicher aperçoit nettement en face la chaloupe échouée et constate que le tir ennemi a cessé :

« Les fumiers ! Ils attendent l’aube pour sonner l’hallali, chuchote-t-il. Tu dis qu’ils sont au moins une centaine ? »

Begin acquiesce.

Le sergent fait venir Ehrnberg et Gonzalès :

« Montez la scie à bois : il faut abattre un gros aréquier. Trouvez-moi un tronc de cinq mètres de long et clouez des branches perpendiculairement, démerdez-vous pour ajouter des poignées, vous me suivez ?

– Bien sûr, chef ! Des branches pour servir de civière aux blessés, des poignées pour que les nageurs puissent manœuvrer l’arbre facilement.

– Exactement, grouillez-vous. »

L’exécution rapide de ce plan se serait révélée impossible dans une autre arme, mais à la Légion, une patrouille même légère ne sort jamais sans transporter avec elle (la plupart du temps inutilement) un matériel qui lui permet de faire face aux situations les plus inattendues.

Vers minuit, l’étrange radeau est terminé. Une dizaine d’hommes le transportent, remontant le cours du fleuve sur la distance nécessaire pour permettre la traversée en s’aidant du courant qu’a évalué Begin. La mise à l’eau s’effectue sans que l’ennemi la remarque, bien que les légionnaires aient dû se porter presque en face des emplacements viets.

Deux hommes se déshabillent et, en nageant, poussent le lourd tronc d’arbre vers la rive opposée. Ils entendent des cris avant les premiers coups de feu ; puis ils perçoivent nettement le bruit sec que font les balles qui s’enfoncent dans le bois. Mais l’épaisseur de l’aréquier les met hors d’atteinte.

 

À bord de la My Huong, Destors a compris. Il prépare une longue corde qu’il love d’un geste marin entre son coude replié et l’angle formé par son pouce et son index.

Lorsque le radeau paraît à sa portée il lance. Il doit s’y reprendre à trois fois avant que l’un des nageurs parvienne à se saisir du cordage. C’est ensuite un jeu d’enfant que de tirer le tronc jusqu’au flanc du navire.

« Combien de blessés ? interroge l’un des nageurs sans chercher à monter à bord.

– Huit. »

À côté de Destors, sur le pont, Naessans observe l’esquif.

« C’est pas bête, dit-il, mais leurs branches ne supporteront jamais le poids des huit blessés, il faudrait foutre des flotteurs au bout.

– Il y a des jerricans d’huile en bas, lance Destors. Videz-les, ça fera l’affaire. »

Six jerricans sont arrimés deux par deux aux extrémités des branches porteuses. L’esquif y gagne en stabilité. Les blessés sont descendus tant bien que mal à l’aide d’une corde, et disposés à l’abri les uns sur les autres.

Le légionnaire à la mitrailleuse n’a pas quitté son poste, prévenant toute attaque. Le radeau étant protégé par la chaloupe, les viets ont cessé le tir.

À bord de la My Huong, il reste une dizaine de civils et trois enfants. L’ordre est donné de sauter à l’eau. La plupart protestent, prétendant ne pas savoir nager. Destors menace d’abattre les retardataires. Tous alors se jettent par-dessus bord et barbotent vers le tronc d’arbre.

Destors rassemble les légionnaires valides, Geneviève Seydoux et l’administrateur :

« Il faut que l’un de nous reste à la mitrailleuse, dit-il, sinon on n’arrivera jamais de l’autre côté. « Je reste », tranche Hoffmann. Un silence suit sa déclaration avant que Destors poursuive :

« Vous savez que vous n’avez aucune chance, Hoffmann ! » Impassible, Hoffmann déclare : « Défonçons le pont à la hache, on peut en tirer un radeau assez lourd pour y attacher nos morts ; ils me serviront de protection pour tenter de traverser. De toute façon, ce serait atroce de les laisser ; les viets les mettraient en charpie. »

Sans un mot, les hommes assemblent tout le bois et les objets flottants qu’ils peuvent trouver. Ils y attachent les seize cadavres, et ce second radeau est jeté au fleuve, retenu à la chaloupe par un cordage.

À leur tour, Geneviève Seydoux, l’administrateur et les légionnaires sautent à l’eau. Sous la protection de l’arbre, la traversée commence.

 

Hoffmann s’est installé à la mitrailleuse.

Il attend que les viets déclenchent le feu dans la direction du tronc flottant et se jettent à l’assaut de la chaloupe qu’ils imaginent abandonnée.

En jubilant, l’ancien pilote de chasse les laisse approcher à découvert. Puis, posément, il ouvre un feu ininterrompu, provoquant un carnage et le repli précipité des quelques survivants.

De son poste, il ne peut suivre la progression de l’arbre et de ses compagnons. Mais le tir ennemi lui fait comprendre qu’ils sont toujours sur le fleuve. Au bout d’une dizaine de minutes l’intensité du feu faiblit. Hoffmann quitte son abri et se porte sur l’autre bord de la chaloupe ; il aperçoit nettement l’arbre sur la rive opposée. Prestement, il arrache ses vêtements, saisit le cordage qui maintient le radeau des morts, en prend l’extrémité entre ses dents et plonge le plus loin possible. Lorsqu’il fait surface il se trouve encore à l’abri de la chaloupe, il tire sur le cordage pour haler l’esquif. Le radeau flotte avec peine ; les cadavres ont été superposés en deux tas et solidement attachés ; ceux du dessous sont immergés et, pour être protégé par leur masse, Hoffmann tient sa tête collée contre eux à fleur de l’eau.

Dès que l’étrange radeau parvient dans leur ligne de tir, les viets ouvrent le feu. Les corps sont criblés de balles. Hoffmann ne s’en aperçoit même pas ; il rassemble toutes ses forces pour diriger le pesant chargement jusqu’au centre du fleuve. Alors, le courant l’entraîne naturellement vers l’autre rive ; épuisé, il va s’échouer très loin en aval.

Le groupe Œsterreicher a suivi sa course et les quinze hommes se précipitent à sa rencontre. Ils ne sont pas trop pour porter le radeau et ses seize morts. Hoffmann, en slip, suit le cortège insolite et rejoint rapidement les autres rescapés de la My Huong qui ont tous réussi à traverser sains et saufs.

Destors se trouve devant un cas de conscience : le transport des morts jusqu’au poste de Lap-Vo retardera considérablement la marche – ce qui risque d’être fatal aux blessés. Il décide d’ensevelir les corps sur place et donne l’ordre de creuser une fosse commune.

La dernière pelletée de terre jetée sur la tombe géante, les hommes rassemblent le matériel et reprennent sans un mot le chemin du poste, encadrant les civils exténués.

En arrivant à Lap-Vo, les premières paroles du sous-lieutenant sont pour reprocher à Œsterreicher d’avoir enfreint les ordres en se portant à leur secours. Le sergent-chef ne s’en émeut pas, il s’y attendait et il sait également quelle va être la suite des événements. Une sanction qui sera contrebalancée par une citation. Il se fout de l’une comme de l’autre.

Dans les mois qui suivirent, la compagnie Destors resta basée à Sadec. Des relations amicales s’établirent entre Hoffmann et Geneviève Seydoux. En juillet 1947, Hoffmann est amputé au-dessus du genou à la suite d’une blessure gangreneuse. Réformé, il sera rapatrié sur le Pasteur après un long séjour à l’hôpital de Saigon. Geneviève Seydoux le suivra à Saigon et réussira à s’embarquer avec lui sur le navire hôpital. Leur trace s’arrête là : nul ne connaît à la Légion l’issue de leur aventure.