XL
MA Lancia était remplie de livres, de disques, de coupures de presse et de manuscrits. Je roulais vers Toulouse, vers Laure, vers le Petit Marrakech…
Laure. Je veux piétiner le pavé qui parle d’elle, surprendre sa main gantée dans la fente étroite et glacée d’un mâchicoulis et la rejoindre, le soir, dans la plus haute chambre du donjon. J’appartiens, nul ne l’ignore, à l’ordre de Laure.
Je viens vers toi, Toulouse! Ni tes épaisses murailles ni tes ponts-levis levés ne m’arrêteront. Je viens vers toi, escorté par la Lande du Bouc. J’enfoncerai mon fer dans ta viande. J’ai levé, cette nuit, une armée de crapauds et de buses. Elle s’est mise en route bien avant que la sonnerie des vacances ne retentisse dans la cour fermée du Collège.
Toulouse, je suis armé jusqu’aux dents. À mon flanc, dans son étui d’étoiles, brille le revolver de la nuit. Soulève le jupon de tes ponts, Toulouse, aujourd’hui je suis un guerrier, demain, je serai ton amant solaire…
Blagnac, Ramonville-Saint-Ange, toutes tes banlieues subissent déjà la loi de mes plus vaillants crapauds. Les pare-brise des automobiles sont couverts de bave. J’entends, ici, dans ma voiture, le cri de ceux qui croyaient fini le temps du meurtre. Les casques de la police volent en éclats sous les coups de bec des buses. Ce soir, quand j’entrerai dans la chambre de Laure, j’aurais lâché, sur tes quartiers les plus chics, mes légions d’aspic…
Effrayée, tu vois briller la pointe en or de mon pétrolier. Il te dit qu’il est temps de renoncer à cette somnolence post-industrielle. Un chant barbare naît dans ma gorge. Mélodie carnassière, lexique charnu, chatte, bite, ventre, bouche. Toulouse, mes couilles sont meurtrières, elles te préparent de beaux Oradour-sur-Glandes…
Toulouse, je suis un écrivain, je remue le sang dans les entrailles de l’aorte, je suis un agitateur néronien de viscères, je hais toute forme de coagulation…
Je viens épouser Laure, femme dont la langue poignarde les hosties, Breton dixit. Je viens vers elle. Nous mettrons le feu aux déclarations d’amour municipales, aux chroniques « Hyménée » des quotidiens. Toute la petite verberie crétine, noces d’argent, de platine et d’or, prendra le poing de l’amour sur la gueule. Nous boirons le plus ancien breuvage et le monde jusqu’à la lie. Âme nuque et ventre. Tu ne pourras résister longtemps à mes hordes de ronces, à mes régiments désordonnés de loups, Toulouse ! La Garonne, lassée de charrier tes eaux savonneuses, renoue avec la mémoire des torrents. Elle reprend ses droits. Gare Matabiau, les chauves-souris s’accrochent aux arêtes des trains, et les renards, bénéficiant de la complicité des caténaires, ont bloqué toutes les issues et se nourrissent allègrement de la chair fraîche des voyageurs…
Toulouse, je suis un agitateur néronien de viscères, je te rendrai à ta propre viande, je pendrai haut et court, à tes plus récents lampadaires, les suppôts de Descartes. Mes charges de plastic célestes auront raison de ta lèpre administrative…
Je parcourrai, la nuit, ton métro souterrain. Il est en construction. J’ai graissé la patte des pilotes de pelles mécaniques qui incisent quotidiennement ton macadam stupide. J’ai tous les plans. Je sais où porter les coups. Je couvrirai de graffiti obscènes, de giclées vitales, la brique apparente dont se pareront, j’en suis sûr, tes plus belles stations…
Toulouse, toi et moi, viande contre viande!
Le grand panneau « Toulouse Direct ». Dans vingt minutes, je serai au Petit Marrakech. Avec Laure. Demain, je me lèverai de bonne heure, je quitterai sa chambre, sans bruit, pour ne pas troubler son sommeil. Je m’enfermerai dans mon bureau. Je noircirai ma page. J’écrirai, face au clocher de Saint-Sernin, dans la lumière du jour, au-dessus d’un million de toits roses.