XXXVII

 

À POIL, sortant du bain. Je me regardai dans la glace murale. Vous avez un beau cul, un gros gland, de beaux cheveux et de grosses couilles, très cher ! Vous devriez faire du cinéma, poser nu dans Play Boy, et envoyer un exemplaire dédicacé à Ursula Ossi…

Profitons, cher lecteur, de ce que je sois nu pour faire un rapide bilan! Ne nous perdons pas en remarques approximatives et superflues, allons à l’essentiel! Qui suis-je? Un génie doublé d’un athlète! Là-dessus, tout le monde est d’accord, excepté ma directrice et le Père Elbeuf; mais, vous en conviendrez, l’opinion de ceux qui lisent Les Fleurs du Mal avec les yeux du procureur impérial Pinard, ne saurait être, ici, prise en compte…

Je me rasais avec mon 3 têtes Philips. Je m’attachais à faire disparaître les poils épars et rebelles qui poussent aux abords de la pomme d’Adam. Je me passai ensuite la main sur les joues, pour vérifier la qualité du rasage. Parfait! Émulsion après rasage Anthaeus de Chanel. Socquettes blanches. Caleçon à pois. Chemise, pull, ceinture et pantalon Lacoste. Gel coiffant. Chaussures souples Charles Jourdan. Sportif. Décontracté. Latin lover. Plein sud.

Un génie doublé d’un athlète. Je n’aurais jamais dû entrer dans l’Éducation nationale, dans ce monde clos, mesquin, petit et sommaire, géré par des ministres qui, tous rêvent de marier la Marseillaise et le Minitel…

Je descendis acheter une baguette à la boulangerie Moreau. Une baguette et deux chocolatines. La boulangère a toujours de grosses boucles d’oreilles, un rouge à lèvres fuchsia, et des bracelets sonores qu’elle adore agiter en rendant la monnaie.

Je n’aurais jamais dû entrer dans l’Éducation nationale. Je suis porteur de mots, d’excès, de swing, de fête, de tout ce que l’école repousse. Hier, elle aimait Paul Guth, les besogneux de l’orthographe, les minus tireurs d’oreille récitant Racine par cœur, les dingos de la dissertation, les fans du monument aux morts, consciencieux, patriotes, thèse, antithèse, fouthèse… Aujourd’hui, elle aime Bloom et autres Stufflebeam, tordus de la centration, fans de l’obscur et de l’illisible, assassins du sensible, petits cogiteurs sans couilles, jargonneurs jaunâtres et suffisants. Stages et Patronages, même combat! Aujourd’hui comme hier, l’école passe à côté de la viande…

J’allumai la radio en entrant dans ma cuisine. Météo, infos nationales et internationales, Smooth Operator de Sade. Pain grillé. Confiture d’abricots. Thé Earl Grey de Twinings, le thé des connaisseurs, depuis 275 ans. Je ne déjeune jamais au sortir du lit, qu’on se le dise! Plongeon dans la baignoire d’abord! Un bain très chaud, avec des sels ! Je chante toujours au bout de quelques minutes, sachez-le!

Je n’aurais jamais dû entrer dans l’Éducation nationale. Une administration kafkaïenne, un salaire dérisoire, faut-il être minable comme je le suis pour accepter ça! Allons, allons, ne soyons pas excessifs! Minable, c’est vite dit! Et puis tout artiste, dès l’instant qu’il n’est pas un riche héritier, doit, d’une façon ou d’une autre, signer un compromis social. J’ai signé celui qui, au départ, me paraissait le moins contraignant, celui qui me permet de vivre une double vie, à quelques kilomètres des Pyrénées…

Je déjeunais en feuilletant un numéro récent de la revue Photo. Les tops models de Gianni Versace photographiées par Helmut Newton. Beauté moderne, agressive, distante et froide… Le triomphe de Giacobetti au Japon. Nu voilé, ganté de nuit, Luis Bunuel. Le sabre de la lumière et les seins samouraï. La nuque. Le sol vide. Une petite culotte blanche, brodée, occidentale.

Je n’aurais jamais dû entrer dans l’Éducation nationale. Admettons! Qu’aurais-je pu faire d’autre? Lecteur chez Gallimard? Ah, non, je préfère, et de loin, corriger les copies! Député? Je n’ai jamais aimé le pouvoir et je viens de relire Cioran!