II

 

EPAULE, tête, claquements de doigts. J’entrai en classe comme on entre en scène.

Je lançai mon cartable sur le bureau. Il souleva un peu de poussière de craie. J’exécutai un tour sur moi-même, fis quelques bonds entre les rangées de tables avant de rejoindre le bureau susnommé en tapant mes mains, paume contre paume. Les élèves sortaient leur classeur de français tapissé de photos de Jean-Pierre Rives ou d’Isabelle Adjani sans trop se préoccuper – quelques sourires ici et là – d’une chorégraphie qui les avait toutefois laissés perplexes le jour de la rentrée des classes : un prof qui danse, c’est chose rare dans l’Éducation nationale, immense corps amorphe, saturé d’habitudes et de discours circulaires qui font le régal des enseignants consciencieux reconnaissables à leur gros pull de laine et à leurs chaussures Méphisto.

« Sous le pont la rosée à tête de chatte se berçait. » C’est un très beau vers d’André Breton. Notez-le donc, tout de suite, mes chéris, sur vos papiers quadrillés. Nous allons lui consacrer cette heure exquise qui nous grise!

« Se berçait », Marsan, « se berçait » ! « Sous le pont la rosée à tête de chatte se berçait. » D’ailleurs tout est là, dans « se berçait ». Étonnante cette forme verbale, n’est-ce pas! « Se berçait »! Chacun connaît l’expression « se bercer d’illusions », expression on ne peut plus banale, vide, vulgaire. Breton, lui, invente un verbe total, et ce, pour mieux coller au rêve, à la peau du rêve ! Car ce poème est éminemment onirique, voyez-vous.

Je me levais pour écrire « onirique » au tableau.

— Onirique : qui est relatif au rêve. J’ai assisté un jour à une explication sous-réaliste de ce poème. Le prof en question – il n’enseigne pas au collège, je ne vous donnerai donc pas son nom – expliquait qu’à certaines heures la brume à cheval sur un cours d’eau ressemble à une tête de chatte.

Un doigt s’était levé.

— Je t’écoute, Marie-Ange, dis-je en m’asseyant.

— C’est pas bête comme idée, monsieur!

— C’est pas bête, c’est à côté! Ce n’est pas la rétine qui permet d’entrer dans un texte surréaliste. En fait, ce poème innocent porteur de toute la neige du monde, évoque surtout le plaisir féminin. C’est un poème érotique, balthusien!

Je me levai pour écrire au tableau le nom de Balthus.