XXIII
— IL est onze heures passées de trois minutes, à la pendule de Radio Tripot. Vous entendez, en fond sonore, La Girafe Mambo de Guem et Zaka Percussions. C’est l’indicatif d’African Cebar, la jungle de la musique et la savane des mots. Ce matin, je n’ai pas d’invité, simplement quelques livres, et des coupures de presse, que je vais décortiquer en votre compagnie. Voilà. Je vous laisse avec mon indicatif. Je vous retrouve dans quelques minutes…
Quelques minutes, le temps de mettre un peu d’ordre dans mes affaires, livres, journaux, courrier, que j’avais jetés sur la table en m’installant au micro de Radio Tripot, la FM in, qui arrose Pau, du haut des coteaux de Saint-Faust…
— Pas d’invité, disais-je, à l’instant, mais un coup de gueule pour commencer cette émission! J’ai sous les yeux un article du Figaro. Je lis le titre et le chapeau : Philippines : « Le duel passionné de Ferdinand Marcos et de Cory Aquino, la " petite dame en jaune ". Au pouvoir de plus en plus surréaliste du président en place, s’oppose la coalition groupée autour de Mme Aquino et de l’Église. » Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans une étude politique de ce qui se passe aux Philippines. Le bal des peuples et des tyranneaux, les « farces sanglantes » dont parle Cioran, ne m’ont jamais inspiré le moindre mot. Je veux simplement prendre la défense d’un adjectif kidnappé, violé, massacré, assassiné par le premier quotidien national de France, l’adjectif « surréaliste ». Je suis horrifié de constater que ce mot céleste, forgé par Apollinaire, et qui renvoie au mouvement poétique et mental le plus important de ce siècle, puisse être récupéré sans vergogne par un journaliste dont le métier consiste à nommer la vie dans ce qu’elle a de plus sordide. On invoquera l’usage! Je n’accepte pas le patois des chiens! Employer l’adjectif « surréaliste » au sens de « bizarre » et de « fantaisiste » est absurde. Je ne connais pas d’écrivain plus rigoureux qu’André Breton, ni de pensée plus aiguë que la sienne. Associer le nom de Breton à celui de Marcos est on ne peut plus insultant pour l’auteur de L’Amour fou, qui, quand il écrivait, ou quand il n’écrivait pas, crachait sans cesse à la gueule du Maître… Claude Nougaro : Armé d’Amour…
— Armé d’Amour, un texte de Claude Nougaro, dit par Claude Nougaro, sur un thème de Schumann, interprété au piano par Maurice Vander… Quelques livres! Pour commencer, aux éditions Encoches, Cookies et Desserts aux USA, par Birgit Meiner. Elle est américaine et nous dit que les « cookies » restent le goûter préféré des enfants américains. Rien à voir avec le « fast food », précise Birgit Meiner. Elle nous dit aussi qu’il existe deux sortes de « cookies » : les petits fours bien connus et perfectionnés par les Français, et puis, d’autres « cookies », moins raffinés, mais, paraît-il, tout aussi délicieux. En tout cas, les enfants américains préfèrent ces « cookies »-là. Et ce sont ceux là que Birgit Meiner a retenus dans son livre, paru, je le rappelle aux éditions Encoches. J’envoie La Complainte du Progrès de Boris Vian, version Bernard Lavilliers, pendant ce temps vous prenez un papier et un crayon, et, dans quelques minutes, une recette…
Casque sur les oreilles, je feuilletais le livre Birgit Meiner, à la recherche d’une recette facile à lire, et facile à faire. Page trente, Fruit Rocks, c’est bon! Je refermai le livre, en usant de mon index comme d’un marque page. Lavilliers finissait sa chanson. Le voyant rouge se mit à clignoter.
— Fruit Rocks, c’est parti! Il vous faut trois bols. Dans le premier, qui doit avoir la taille d’un saladier, vous mélangez 300 g de farine, une pincée de sel, 500 g d’ananas confit, 500 g de dattes hachées, et un kilo d’un mélange de noix, noisettes et noix de macadémie… Macadémie, moi connais pas. Je répète, farine 300 g; pincée de sel; ananas confit, 500 g; dattes hachées, 500 g; plus un kilo d’un mélange de noix, noisettes et noix de macadémie. Passons au second bol! Vous mélangez 50 ml d’eau, 2 cuillerées à café de levure chimique, et pour le reste, c’est facile, ça marche à la cuillerée à café, et nous disons, une cuillerée à café de clous de girofle en poudre. Dernier stade, vous mélangez ce succulent liquide à la pâte à beurre et aux dattes et aux noix de macadémie, ça me plaît ça, noix de macadémie… La cuisson maintenant! Une plaque graissée, vous disposez en petits tas, 15 minutes au four, à four moyen, et la recette donne une centaine de Fruit Rocks… Je rappelle le titre de l’ouvrage : Cookies et Desserts des USA, chez Encoches. La semaine prochaine, je vous donnerai les recettes de cocktails, signées Boris Vian, et tout de suite, La salsa du Démon, c’est le Grand Orchestre du Splendid…
— La collection Poésie & Chansons, publiée par les éditions Seghers! J’ai déjà eu l’occasion d’en parler au cours d’African Cebar. Une collection, à mon avis, un peu poussiéreuse. Construction, maquette, style, mouvement des volumes, tout cela mériterait plus qu’un lifting, une refonte. Il y a pire! Voici que la collection se nie elle-même en publiant un Michel Sardou… Ou le mot poésie n’a plus de sens, ne sert plus qu’à désigner un superficiel frisson, et l’on ouvre la collection à tous les écœurants connards qui encombrent le marché du disque, ou bien le mot poésie a un sens profond, désigne une langue sculptée dont le contenu est à hauteur d’homme, et ce livre est une imposture… Puisqu’il est question de chanson, une information! J’ai reçu un courrier de l’Association Chanson Française en avant. Il s’agit de défendre la chanson française. Je ne participerai pas à ce genre de combat. Le ton me gêne. Chanson française en avant, c’est cocardier, c’est patriotard, et tout de suite, je dis non! Au ton viennent s’ajouter d’étonnants parrainages. Participent à ce combat, Dalida et Macias, entre autres. Ne manque plus que Jean-Jacques Goldman… Bref, la chanson française, défendue par ceux-là mêmes qui l’ont assassinée, ou qui l’assassinent du dedans, à coups de tubes et de mièvreries. Je ne défendrai, ici, à cette antenne, que la qualité, française ou non, et qui plus est, sur un ton gourmand et non militant. Lou Reed, Walking on the wild side…