V
J’AI rencontré Laure d’Astarac à Toulouse, rue du Taur. Je sortais de la librairie « La Bible d’Or », où j’avais fait l’acquisition d’un exemplaire de Jeune Homme de Novembre de Bernard Manciet. Dehors, il y avait le trottoir. Sur le trottoir, le soleil. Dans le soleil, Laure d’Astarac. Elle se foutait pas mal des rayons qui mordaient ses cheveux, des chromes des vitrines qui déformaient l’image de sa main gracieuse et souple, des hommes qui, pour mieux la croiser, ralentissaient le pas, et de moi, bien sûr, qui, en la voyant, l’avais reconnue. Ce matin-là, Laure d’Astarac faisait ce que si peu de femmes font : elle passait.
Passer. Le passer. La tige du cou, le port de tête, désignant la princesse, suggérant le royaume, montrant la voie. Présence. Absence. Elle passait et je ne sus la suivre. Je restai devant la librairie, immobile, extravagant, niais. Elle disparut à l’angle de la rue, la lumière la suivait. J’ai couru, enfin à la poursuite des parcelles d’étoiles qu’elle abandonnerait, comme un gant. À mon tour, je tournai l’angle de la rue. Je tombai nez à nez avec la pénombre d’une étroite ruelle du vieux Toulouse, ruelle déserte, étonnamment silencieuse : j’entrais sur son territoire. Façades, vestiges, vertiges, où était-elle? Je décidai de m’en tenir au bruit de mes pas sur les pavés humides. Car le signal viendrait d’en dessous, des entrailles de la ville qu’elle avait choisie. Mes pieds tâtaient, tétaient, testaient le sol. J’avançais en braille. Je tendais l’oreille. Le silence de la ruelle était maintenant troublé par un bruit souple et cristallin. Je reconnus le bruit arabe de l’eau dont parle Audiberti : j’entrais dans sa lumière. Je m’arrêtai à hauteur du pilier en brique rose d’une porte cochère. Elle donnait sur une cour intérieure, ornée d’un bassin, avec, en son centre, un superbe jet d’eau : j’étais devant chez elle. Cette villa sarrasine ne pouvait être que sa demeure.