XXXVI
— LA Légion d’honneur à France Gall! C’est ça, mes chéris, la médiocratie! Je vous rapellerai, adorables vilains, que la Légion d’honneur fut créée par le tyran Bonaparte pour récompenser les services civils et militaires… Soyons clairs! Je ne rêve pas de l’épingler au revers de mon Smalto, je ne suis pas ce qu’il est convenu d’appeler un patriote. Cela dit, j’aime l’odeur de la France, j’aime sa langue, ses pierres, sa pensée, je l’aime quand elle s’ouvre, je la fuis quand elle se ferme… Revenons à nos moutons, parlons des services civils de France Gall qui, au demeurant, a le culot de se prendre pour une chorégraphe! Résiste, Cézanne peint, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que ça vaut?
Je m’étais levé. Il fallait que je me déplace, que je serre les poings, que je sautille dans le ring de la classe comme un Cassius Clay gascon, que je frappe, que je cogne, jusqu’à ce que le gong retentisse. Je suis comme ça. C’est comme ça qu’ils m’aiment.
— Vous attendez évidemment que je réponde moi-même à la question : j’y réponds. France Gall, est-ce l’odeur de la France? Non, France Gall, c’est, en France, l’odeur de rien! Elle incarne, elle et d’autres, une chanson sous cellophane, calibrée, incolore, inodore et sans saveur…
J’étais bien parti. J’allais gagner par K.O., je le sentais. Crochet, direct au foie, la bande à Guy Lux au tapis!
— L’odeur de rien, c’est tout à fait ça! Coupez la musique, écoutez les mots! Des rimes on ne peut plus banales, des chevilles énormes, un lexique squelettique, des clichés à perte de vue, bref, une langue qui n’en est pas une! Effacez les mots, écoutez la musique ! On parle décibels, et je n’entends que décilaids! Percussions crétines! Mièvreries synthétisées! Bonjour Sevran, bonjour Sabatier, sponsor Fuca, le caca existe, je l’ai rencontré! Donc, pourquoi la Légion d’honneur à France Gall? Pour rendre hommage, à travers elle, à la chanson française? Mais foutre saint Georges, France Gall, ce n’est pas la chanson française, m’exclamai-je, les poings fermés au bout de mes bras tendus!
— C’est quoi, monsieur, la chanson française? demanda Annie Saurel. Pour vous, c’est Nougaro, mais on peut aimer Nougaro et France Gall, non?
— Non, Annie, on ne peut pas!
Je regardai ma montre, puis me passai la main dans les cheveux.
— Bon, de tout ça, nous reparlerons plus tard. Pour l’instant, reprenons le texte où nous l’avions laissé. À toi, Annie!
Les deux mains posées sur la table, Annie Saurel relut le texte de Madame de Staël, extrait de De La Littérature :
— « Ce que l’homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment douloureux de l’incomplet de sa destinée. Les esprits médiocres sont, en général, assez satisfaits de la vie commune; ils arrondissent, pour ainsi dire, leur existence, et suppléent à ce qui peut leur manquer encore par les illusions de la vanité; mais le sublime de l’esprit, des sentiments et des actions, doit son essor au besoin d’échappement aux bornes qui circonscrivent l’imagination…»