XXV
JE m’étais réveillé avant que le réveil ne sonne. Je restais dans mon lit, les yeux ouverts, fixant machinalement la lueur rouge du thermostat du chauffage d’appoint. Quand le réveil sonnerait, je me lèverai, et pas avant! De la rue, ne me parvenait aucun bruit. Je m’en étonnais. À cette heure, tous les jours, j’entends les premières voitures, la Mobylette du typographe de l’imprimerie Caudri, et surtout le camion des éboueurs qui s’arrête juste sous ma fenêtre. Au bruit sourd du moteur que le chauffeur laisse tourner, s’ajoute celui, plus éclatant, des caisses de bouteilles qui s’entrechoquent, les bouteilles vides du café Lassus. Je ne percevais aucun bruit. Et si c’était la neige! Je me levai d’un bond. À fond sur la manivelle du volet. Plus blanc que blanc, blanc Persil, Skip, partout, Lannemezan sous la neige !
Nom de Dieu de Nom de Dieu de Nom de Dieu ! Je sautais de joie! Pire que les élèves… Pas d’école! Pas d’école de la journée ! Il était tombé trop de neige. Le balcon en était rempli. Les Ponts et Chaussées vont mettre le paquet sur la 117, et les routes d’accès au Collège, celles qui traversent la Lande du Bouc, attendront que la neige fonde. Pas d’école. Pas d’Ossi. Pas de sonnerie. Pas de copies. Pas de steak haché à midi. Une journée pour moi. La paix. La vie.
Une journée pour moi. Je vais te me l’organiser super, celle-là, pôvre ! Mon pôvre, mon pôvre, mon pôvre! Surtout ne pas commettre l’erreur de téléphoner au collège. La concierge me passerait Ossi. Elle serait foutue de me demander de venir à ski, anorak, gros bonnet, gants spéciaux, fuseaux, sac à dos, copies corrigées dans le sac à dos… Je ne vais pas téléphoner à Ossi. Je vais attendre que ça fonde. Ça peut tenir deux jours…
Neige, nage, neigerie, j’écrivais à Laure, dans mon appartement chauffé, silencieux et désert. La neige, dont la blancheur provocante me rappelait à mon métier d’écrivain, me parlait de Laure. Laure à Toulouse, loin de moi. Je lui écrivais avec la neige et le Mont Blanc. Je disposais les mots sur la feuille pour que ça danse. Rectifiés à gauche uniquement. Mouvement, flocons, paroles d’encre, entre elle et moi…
Pourquoi Laure n’est-elle pas encore ma femme? Pourquoi, toujours, ces deux solitudes parallèles, que nous brisons à chaque rencontre, à chaque étreinte, et chaque fois que mon regard plonge dans ses yeux mouillés?
Pourquoi Laure n’est-elle pas encore ma femme? Pourquoi cette distance entre ces deux moitiés d’orange? Je ne suis pas de nature à chercher l’explication dans les contingences sociales et quotidiennes. L’emploi du temps ne parle pas de la vraie vie. La mise à plat explicative passe à côté de l’essentiel qui se défend.
Descartes est mort, j’appartiens à l’ordre de Laure. Je ne puis ni décider ni entreprendre. En moi, sont morts tous les patois sommaires. Aimer, comme écrire, c’est entrevoir. J’ai vu. J’attends. Laure parlera. Elle dira le poème qu’il ne m’est pas donné d’écrire.