CHAPITRE XLV

Les fêtes du couronnement avaient été magnifiques. Une succession de bals, de chasses, de réjouissances avaient animé la cité de Gwondaleya, parée comme jamais elle ne l'avait été. Trois empereurs et une multitude de rois avaient été invités, et, surtout, Nelvéa avait pour la première fois rencontré le véritable suzerain du monde, le commandeur Lyophème en personne, qui avait pour la circonstance effectué la traversée de l'Atlantéus. Tout le monde avait été subjugué par sa personnalité hors du commun et son allure majestueuse. Malgré ses quatre-vingts ans, il offrait l'aspect d'un homme dans la pleine puissance de l'âge. Son visage accusait à peine quelques rides, résultat de la science génétique des amanes, qui avaient sélectionné avec soin ses ancêtres. Le Commandeur, qui avait entretenu avec Dorian des relations très amicales, s'était isolé de longues heures avec Palléas, et une amitié nouvelle avait fleuri entre les deux hommes, malgré la différence d'âge. Ils étaient tous deux de la même race.

Cependant, Nelvéa fut heureuse de quitter Gwondaleya pour regagner Vallensbrùck. Lorsqu'elle retrouva la petite cité blottie au cœur de la vallée élevée, elle comprit que sa véritable patrie était là, peutêtre parce qu'elle conservait une dimension humaine, à côté du gigantisme nouveau de Gwondaleya.

Vallensbrùck allait s'ouvrir à la civilisation amanite, et l'on attendait pour le printemps suivant la première caravane. De même, Nielsen avait offert au nouveau roi une partie des trésors enfouis dans les cryptes souterraines du palais. Ceux-ci gagneraient Gwondaleya et Burdaroma, et de là rayonneraient sur le monde.

L'obscur malaise qui avait saisi Nelvéa à Chonorga s'était estompé avec le temps. Après tout, ses appréhensions ne reposaient sur rien.

Et la joie d'avoir retrouvé Nielsen lui avait fait oublier ses angoisses.

Que pourrait faire contre eux un pauvre chevalier errant, alors qu'ils avaient conclu une alliance avec l'empire ukralasien, et que leur petite cité allait recevoir bientôt un nouveau temple, avec une petite garnison de dramas?

Le lendemain de leur arrivée, Nielsen et Nelvéa effectuèrent une longue promenade le long du lac.

- Regrettes-tu ta ville, petite princesse? lui demanda soudain Nielsen.

- Au contraire. A présent, je sais que je pourrai y retourner plus souvent, puisque l'on va rouvrir la piste Smolenska. Mais je suis heureuse d'être revenue. Je me sens chez moi ici, à Vallensbrùck.

- Pourtant, je ne puis t'offrir l'équivalent des fêtes éblouissantes que tu as connues là-bas.

- Cela n'a aucune importance. Une fête, c'est lorsque l'on se sent bien. Et je suis bien avec toi. Alors, chaque jour est une fête.

C'était vrai. Elle aimait les moments où elle se retrouvait seule avec Nielsen, où ils bavardaient de tout et de rien. En souriant intérieurement, elle se demandait ce que devenait la « fondatrice de dynastie » dont avait parlé la sorcière. Son royaume était tout petit, et loin d'être promis à la domination du monde.

La première caravane traversa sans encombre la piste de Veraska à Vallensbrùck. A la demande des amanes, des postes dramas avaient été implantés aux points stratégiques. Vers le sud, les incursions des Hommes Gris étaient rares, et les maraudiers peu nombreux. Les habitants du petit village de Norskyn étaient ravis. La Religion avait étendu son aile au-delà de leur domaine. Des échanges commerciaux s'instaurèrent rapidement entre les villageois et les gens de Vallensbrùck.

A présent, les Nyktals n'effrayaient plus personne. On était même heureux de les apercevoir, au loin, lorsqu'ils effectuaient une mission de surveillance le long de la piste.

Cependant, peu d'étrangers s'étaient installés à Vallensbrùck. La ville était par trop isolée, et totalement fermée en direction du nord, où sévissaient toujours les Hommes Gris.

Seule la barrière magnétique empêchait toute incursion. Une barrière que l'on ne pouvait faire tomber que de l'intérieur.

L'idée d'ouvrir Vallensbrùck à l'extérieur était une initiative audacieuse et bénéfique. Pour la première fois, les citadins découvraient les richesses en provenance du monde amanite, et chaque nouvelle caravane était attendue avec impatience.

Sept années s'écoulèrent ainsi, sans que rien ne vînt troubler l'existence paisible de Nelvéa et de Nielsen. A présent, elle connaissait de nombreuses parties du globe, s'était initiée aux langues anciennes, savait déchiffrer les messages contenus dans les mémoires à l'or que les explorateurs rapportaient de tous les continents.

Un matin, alors qu'elle venait à peine de se lever, Nelvéa ressentit une nausée étrange, qu'elle avait pourtant déjà connue dans le passé.

Elle posa la main sur son ventre et sourit. Elle était à nouveau enceinte. Elle s'appuya à sa coiffeuse pour reprendre son souffle. Une bouffée de bonheur l'envahit. Elle donnerait un deuxième enfant à Nielsen.

Cependant, comme elle se préparait à l'appeler, un malaise l'envahit, qui n'avait plus de rapport avec son état. Sa vue se troubla et une odeur de sang lui envahit la gorge. Dans une vision de cauchemar qui ne dura que quelques fractions de seconde, elle entrevit la petite cité.

Une onde de feu la baignait, des gens hurlaient, fuyaient un ennemi sans visage.

Et, soudain, Nielsen fut devant elle, le visage ruisselant de sang.

Elle hurla. Tout s'estompa.

Nielsen était bien devant elle, mais il ne portait aucune trace de blessure.

- Qu'y a-t’il? Tu es toute pâle.

Haletante, elle vint se blottir contre lui.

- Là, ce n'est rien, dit-il tout bas en la berçant.

- Oui, ce n'est rien, répéta-t-elle en écho. Tout va bien. Je crois... je crois que je suis enceinte.

La joie qui ruissela de l'esprit de Nielsen la combla et estompa peu à peu l'angoisse infernale qui l'avait un moment envahie. Elle se traita intérieurement de sotte.

Toute la journée subsista en elle une gêne obscure. Elle aurait voulu en rejeter la cause sur sa prochaine maternité. Mais elle savait au fond que son origine se situait ailleurs.

Lorsque, vers le soir, Nielsen l'entraîna vers le baarschen pour accueillir la caravane qui arrivait, son angoisse réapparut, sans raison apparente. Elle serra les dents pour dissiper son malaise, et le suivit.

Au loin, en direction du sud, le long serpent coloré s'était engagé dans le défilé étroit qui menait jusqu'à la vaste esplanade où une foule de voyageurs campaient en permanence. De la petite cité des gens accouraient, hurlant des paroles de bienvenue.

En tête de la caravane, caracolant sur leurs lionorses, un petit groupe de chevaliers se dirigeaient vers eux pour les saluer. La silhouette qui les commandait sembla soudain familière à Nelvéa, et elle dut se tenir au bras de Nielsen. C'était comme un mélange de joie et d'horreur qui l'envahissait peu à peu, sans raison. Elle crut être le jouet d'une hallucination.

Un fantôme s'avançait vers elle, tout sourire dehors. Un homme dont elle avait cru longtemps avoir oublié les traits. A l'instant où il posa le pied à terre, elle sut, dans un éclair de lucidité, qu'il apportait avec lui la mort et la désolation. Puis elle se reprocha aussitôt cette pensée stupide.

- Haï Weya, seigneur Nielsen! dit l'homme avec un grand sourire.

- Haï Weya, seigneur chevalier! Soyez les bienvenus. Mon palais sera le vôtre pour le temps qu'il vous plaira d'y séjourner.

- La merci à vous, seigneur Nielsen.

Nelvéa inclina la tête sans pouvoir prononcer une parole. Elle l'avait cru enfoui à jamais dans les replis de sa mémoire. Puis elle s'avança à son tour et salua l'arrivant avec un pâle sourire.

- Sois le bienvenu, Maaskar!

CHAPITRE XLVI

Comme il avait coutume de le faire, Nielsen avait organisé une fête pour accueillir les chevaliers escortant la caravane, ainsi que les notables saf therans. Une animation joyeuse tenait les invités, ravis de pouvoir enfin se reposer et se divertir après les fatigues et les embûches de la piste. Trois moutons et deux daims rôtissaient dans les vastes cheminées des cuisines, et les domesses apportaient sans cesse des plats nouveaux, ainsi que des tonnelets de vins issus des coteaux de Gwondaleya. De gigantesques éclats de rire réveillaient les échos du palais, tandis qu'une troupe de musiciens enchaînaient d'anciennes mélodies europaniennes. Dans les jardins, et jusque dans les rues de la ville, les citadins et les convoyeurs avaient organisé des repas improvisés, des danses, dont les échos endiablés parvenaient par les fenêtres ouvertes sur le printemps précoce.

Maaskar avait été placé aux côtés de Nelvéa. Près de dix années s'étaient écoulées depuis leur dernière rencontre. Il n'avait guère changé. Peut-être ses épaules s'étaient-elles encore élargies. Ses traits s'étaient affirmés. Ses yeux dorés se plissaient de légères pattes d'oie qui rendaient son sourire encore plus séduisant. Mais il y brillait toujours une petite flamme froide et acide.

Durant les premiers mois qui avaient suivi les fêtes du couronnement de Palléas, des caravanes étaient arrivées à Vallensbrùck, apportant avec elles leurs groupes de chevaliers turbulents et joyeux, heureux de découvrir une nouvelle cité amanite. Ils apportaient des nouvelles de tous les empires du monde, une foule d'histoires et d'anecdotes, ainsi que les échos des petits scandales des cours. A cette époque déjà éloignée, Nelvéa avait redouté de voir surgir à leur tête la silhouette inquiétante de son ancien amant. Certaines nuits, il l'avait hantée, comme un fantôme chargé de menaces.

Mais les mois avaient passé, puis les années, et elle n'avait plus conservé de lui qu'un souvenir inconsistant et diffus qui avait cessé de l'effrayer.

A présent qu'il était assis près d'elle, elle se traitait intérieurement de sotte. Elle s'était construit de lui une image inquiétante, sans rapport avec la réalité qu'elle redécouvrait aujourd'hui. Maaskar n'avait pas changé. Il monopolisait toujours l'attention, usant de ce charme corrosif qui était le sien. Les femmes, séduites, buvaient ses paroles.

Et elle devait s'avouer qu'elle n'était pas la dernière à l'écouter.

De ses lointains voyages, il avait rapporté des histoires innombrables, qu'il nuançait toujours à sa manière, tournant les protagonistes en dérision, s'attachant aux détails scabreux, qu'il colorait d'un humour grinçant, parfois macabre, et volontiers provocateur. On ne pouvait lui en tenir rigueur, parce qu'il était plein de drôlerie. Il n'avait certes rien à voir avec le monstre assoiffé de destruction que ses angoisses avaient bâti. Bien sûr, Palléas lui-même avait pensé que Maaskar le haïssait. Mais était-ce la vérité? N'y avait-il pas eu, derrière cette réaction, une pointe de jalousie, parce qu'il n'aimait pas cet homme, et parce qu'il avait été l'amant de sa sœur?

« II a l'étoffe d'un meneur d'hommes! » songea Nelvéa. Il suffisait pour s'en convaincre d'observer l'attitude de ses compagnons, qui demeuraient groupés autour de lui, tâchant, souvent sans succès, de l'imiter, et guettant chacune de ses reparties comme un chien attend l'obole du maître.

Elle avait craint un moment qu'il ne fût revenu pour elle. Cette impression se dissipa elle aussi rapidement. Si Maaskar avait tenu à se trouver assis à ses côtés, pas une fois il ne se fit pressant. Il plaisanta avec elle, lui vola quelques baisers rapides, mais le flirt faisait partie des coutumes des cours, et il eût été ridicule de s'en offusquer.

Il existait entre eux des liens d'amitié, des souvenirs communs, et puis les chevaliers qui visitaient Vallensbrùck depuis l'ouverture de la petite cité au monde amanite n'agissaient pas autrement. Cela ne portait jamais à conséquence.

D'ailleurs, Maaskar s'intéressait beaucoup plus à sa voisine, une léphénide qui accompagnait la caravane, qu'à Nelvéa. Celle-ci en conçut par moments quelque dépit.

Cependant, Nielsen, qui habituellement se montrait un hôte enjoué et passionnant, demeurait silencieux. Bien sûr il était difficile de placer un mot puisque Maaskar parlait sans cesse. Nelvéa pensa un moment qu'il était lui aussi tenaillé par une pointe de jalousie. Mais un furtif sondage mental lui apprit qu'il ne s'agissait pas de ça. Il observait une certaine réserve. Elle se promit de lui en parler.

Au cours du bal qui suivit, Nelvéa dut se partager entre tous les chevaliers présents. Elle eut à peine le temps de souffler. Si elle avait encore quelques doutes quant aux intentions de Maaskar, ceux-ci s'envolèrent avant la fin de la nuit. Elle ne put danser avec lui qu'une seule fois. Il la complimenta sur sa beauté, lui vola encore un baiser, puis entreprit de lui narrer ses aventures depuis qu'ils s'étaient quittés, dans la forêt de Narushja, juste avant la mort de Daena.

- J'ai beaucoup voyagé, avoua-t-il. Rassure-toi, j'ai abandonné mes projets de conquérir un royaume. La liberté me convient beaucoup mieux. Les rois de tous les domaines que je traverse me considèrent comme leur égal. Souvent il m'arrive d'être choisi comme « deraïk », c'est-à-dire capitaine des chevaliers de la caravane. J'ai ainsi connu nombre de royaumes stupéfiants. Lonodia, la capitale de l'Europania, où le roi Arnold Plantagenêt m'a reçu fort aimablement. J'ai visité Bahiskra, Valatia, Tours, Kolna, Toriana. Je me suis même rendu à Rives, le berceau de notre civilisation amanite. C'est une ville splendide, mais où l'on compte encore plus de temples que de demeures de sapienniens.

- Tu n'exagères pas un peu?

- Oh, à peine!

Intriguée malgré tout, elle tenta de se glisser discrètement en lui.

Mais elle se heurta immédiatement à une barrière mentale parfaitement hermétique. Il éclata de rire.

- Allons, n'essaye pas de lire en moi, petite princesse. Je sais dresser mes écrans.

- Excuse-moi! Je voulais savoir si tu pensais encore à moi, quelquefois.

Il lui dédia un sourire irrésistible.

- Tiens donc. M'aurais-tu regretté?

- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, rétorqua-t-elle très vite, reprise une fraction de seconde par une angoisse incompréhensible.

Je me demandais seulement pourquoi tu étais resté si longtemps sans me donner de tes nouvelles. Tu savais pourtant où je me trouvais.

Il ne répondit pas immédiatement.

- Non, dit-il enfin. Je l'ignorais. Lorsque je suis retourné à Gwondaleya, quelque temps après notre séparation, ton frère m'a avoué qu'il ne savait pas ce que tu étais devenue. J'ai longtemps cru que tu avais disparu dans la forêt de Narushja, tuée par les Gris, ou par un migas. Et puis, lors d'un voyage à Miniska, j'ai rencontré Rono, que Palléas avait envoyé en mission auprès de l'empereur. C'était l'année dernière. C'est lui qui m'a raconté que tu vivais en compagnie du seigneur original qui gouvernait cette cité nouvellement ouverte au monde amanite. Une cité qui avait nom Vallensbruck. Voilà pourquoi je me suis arrangé pour prendre la tête de la première caravane qui m'amènerait ici. J'avais envie de te revoir.

Ainsi donc, ce voyage n'était peut-être pas aussi innocent qu'elle l'avait cru. Mais elle ne put l'interroger plus avant. La danse se termina, et un autre chevalier vint l'inviter.

Elle ne savait plus où elle en était. Sans doute les vins nouveaux de Gwondaleya lui avaient-ils échauffé les esprits. Tard dans la nuit alors qu'Astrid la déshabillait, elle tenta de faire le point. Était-ce dû à la personnalité énigmatique de Maaskar, ou bien à l'image qu'elle avait gardée de lui? Elle devait s'avouer qu'elle n'avait vu que lui pendant toute la soirée. Elle répugnait à admettre qu'il exerçait toujours sur elle une étrange fascination. Une nostalgie trouble lui tenait les entrailles, comme une chaleur diffuse, sournoise, qu'elle aurait voulu chasser, rejeter loin d'elle.

«Suis-je donc si fragile?» se dit-elle, bouleversée.

Soudain, elle se demanda ce qu'était devenu Nielsen. Elle se reprocha de l'avoir négligé. Elle ne lui avait accordé qu'une seule danse.

Bien sûr, il en était souvent ainsi lorsqu'une caravane arrivait à Vallensbrûck. Mais ce soir, c'était différent.

- Où est le prince? demanda-t-elle à Astrid.

- Dans ses appartements, madame. Il a quitté la fête il y a déjà quelque temps. Je l'ai vu bavarder avec le sheraf, puis il a regagné sa chambre en compagnie de Krissy.

- Krissy?

Astrid eut un sourire espiègle.

- Krissy ne l'a pas suivi, madame. Elle s'est assurée que tout allait bien, puis elle s'est rendue auprès de sa fille.

Nelvéa ferma les yeux. Décidément, le retour de Maaskar l'avait rendue trop sensible. Elle n'allait pas devenir jalouse à son tour. Surtout envers Krissy, que Nielsen considérait un peu, non sans raison, comme sa propre fille. Elle soupira.

- Je suis stupide!

Elle enfila une robe légère et gagna les appartements de Nielsen.

Lorsqu'elle pénétra dans la chambre, elle respira longuement le parfum sauvage qui imprégnait la pièce. C'était un mélange curieux d'herbes et de senteurs orientales que son compagnon faisait brûler dans des cassolettes.

Attendrie, elle avança vers le lit. Nielsen donnait déjà, épuisé par la trop longue soirée. Elle se défit de ses vêtements et se glissa auprès de lui. La tête appuyée sur un coude, elle le contempla, à la lueur blafarde de la lune pleine qui inondait la chambre. Une bouffée de chaleur l'envahit. Le trouble dû à l'arrivée de Maaskar s'était évanoui comme par enchantement. Rien ne pourrait jamais remplacer ce qu'elle vivait auprès de Nielsen. Elle sourit et l'enveloppa de ses bras, - Sheraf: roi de la caravane, chez les saftherans, les convoyeurs.

heureuse de sentir sa peau contre la sienne, sa chaleur la pénétrer.

Elle déposa un baiser tendre sur l'épaule de son compagnon et se blottit contre lui.

Lorsqu'elle s'éveilla, bien plus tard, une clarté éblouissante noyait la chambre, inondant le dallage de marbre, éclaboussant les voiles du lit. Le visage de Nielsen était penché sur elle, éclairé d'un demisourire.

Elle lui sourit à son tour.

- Tu m'as abandonnée, hier soir, dit-elle d'une voix chargée de sommeil.

- J'étais fatigué! Et puis tu semblais si bien t'amuser...

Elle ne répondit pas. Il n'y avait guère de reproche dans sa voix. Un peu timidement, elle mêla son esprit à celui de son compagnon. Elle aurait voulu le rassurer. Il n'avait aucune raison d'être jaloux. D'ailleurs, cela ne lui arrivait jamais. Cette fois encore, elle ne décela en lui aucune réaction de cette sorte. A aucun moment il n'avait craint qu'elle se détournât de lui. Il émanait plutôt de lui une inquiétude inhabituelle. Quelque chose qui murmurait: méfie-toi de cet homme!

- Mais pourquoi? répondit-elle tout haut.

- Je ne sais pas. Ce Maaskar ne m'inspire aucune confiance. J'ai le sentiment... que cet homme t'aime et te hait à la fois. Froidement, désespérément peut-être.

Il soupira et l'attira contre lui.

- Je crois qu'il vaudrait mieux qu'il reparte dès que possible. Il sème le malheur sur ses pas.

- Pourquoi dis-tu cela?

- Il se nourrit des autres, de ceux qui l'entourent. Il accapare leur attention, détourne leur force vers lui. Mais il ne donne rien en échange. Il détruit. Ce n'est pas un meneur d'hommes. C'est un vampire.

- Daena m'a dit quelque chose de semblable il y a longtemps.

- Une légende de ces pays raconte qu'autrefois, dans des châteaux perdus dans les montagnes, vivaient des êtres étranges qui puisaient leur force dans le sang des autres. Ce n'étaient pas des humains. Ils ne prenaient vie que la nuit, parce que la lumière du jour les brûlait.

Je doute que de telles créatures aient un jour existé. Mais certains hommes sont à leur image, qui se nourrissent de la force de ceux qui les entourent. Ils exercent un tel ascendant sur leurs proches qu'ils canalisent vers eux toute leur essence vitale. Ces hommes sont des vampires, bien plus dangereux que les monstres imaginés par les légendes. Et ce Maaskar me fait penser à eux. Méfie-toi de lui. Je ne le connais pas, mais il m'inspire un malaise indéfinissable. Il veut te détruire, pour une raison que je ne peux comprendre, et il n'hésitera pas à s'anéantir lui-même pour y parvenir., .

Elle se renfrogna quelque peu.

- Je n'ai dansé qu'une seule fois avec lui. Et pas un instant il ne s'est montré empressé. Je crois qu'il m'a oubliée, tu sais. Il s'intéressait moins à moi qu'à Rehna, la petite léphénide.

- Peut-être, Nelvéa. Mais méfie-toi. Cette sorte d'homme possède l'art de dissimuler ses véritables sentiments.

Elle ne répondit pas. Maaskar lui-même lui avait dit: «J'avais envie de te revoir. » Après une séparation de dix années, n'était-ce pas^ naturel? Nielsen contempla Nelvéa, puis secoua la tête.

- Tu penses peut-être que je te dis ça parce que je suis jaloux. Mais ce n'est pas vrai. J'ai peur pour toi.

Nelvéa lui caressa le visage.

- Je sais que ce n'est pas de la jalousie. Je te promets d'être prudente.

D'ailleurs, il ne doit rester que quelques jours.

Dans l'après-midi, alors que les voyageurs avaient entamé le déchargement de la caravane, Nelvéa se rendit auprès de Fearn, qui l'accueillit avec de doux feulements de joie. Elle se hissa sur le lionorse qui l'emporta au petit trot vers la forêt proche. Elle avait besoin d'être seule, de faire le point.

Pourquoi tout le monde s'acharnait-il contre Maaskar? Par réaction, elle avait envie de le défendre, de se dresser entre lui et ses détracteurs. Jelweyn, Daena, Palléas, Lorik, et Nielsen à présent. Que voyaient-ils, qu'elle ne parvenait pas à discerner?

Jelweyn avait pressenti sa propre mort, et en avait accusé Maaskar.

Mais il avait été tué par les lionorses. Daena l'avait avertie de se méfier du jeune homme. Maaskar les avait quittés depuis plusieurs semaines lorsqu'elle avait été éventrée par un kherilan. Quant à Palléas, sans doute ne lui pardonnait-il pas d'avoir fait souffrir sa sœur.

Mais tout cela, c'était du passé.

Demeurait cette vision terrifiante qui l'avait assaillie juste avant l'arrivée de la caravane. Pourtant, tout avait l'air calme. Lorsqu'elle avait traversé la petite cité, chacun l'avait saluée. Saf therans et voyageurs aimaient à se mêler à la population, plus tolérante que dans nombre d'autres villes. Les auberges débordaient de monde, et le soleil était de la fête.

Alors, pourquoi cette gêne obscure au fond d'elle?

Elle guida Fearn le long d'une sommière qui contournait une crête forestière pour revenir plus loin jusqu'aux rives méridionales du petit lac. Ignorant sa grossesse de deux mois, elle lança le lionorse dans un galop éperdu. L'air vif du printemps naissant lui fit du bien. Sans doute avait-elle un peu abusé du vin gwondaleyen la veille. Le vent qui lui fouettait la peau lui arracha les relents nauséeux qui la tenaient encore.

Parvenue près du lac, elle se laissa glisser à terre et se déshabilla.

La petite crique était déserte. Au loin, le port était noyé dans une brume diaphane et lumineuse. De la ville lointaine sourdait une animation joyeuse. Comment redouter les puissances des ténèbres dans cet univers de lumière?

Elle se laissa couler dans l'eau, s'y plongea tout entière, laissant la fraîcheur liquide la pénétrer, baigner sa peau, comme pour y diluer les angoisses diffuses qui stagnaient en elle. Longtemps...

C'était comme un retour au sein de la poche maternelle, l'oubli. Les parfums aquatiques, mêlés aux appels des oiseaux qui s'enfuyaient dans les roseaux, l'imprégnèrent, la rassurèrent. Jamais comme avant elle ne s'était rendu compte de son attachement à cette terre, à cette petite vallée isolée par son écrin de montagnes. Elle était chez elle à Vallensbrùck.

Peu à peu, le calme revint. Peut-être y avait-il du vrai dans ce qu'affirmaient ses compagnons et son frère. Peut-être Maaskar était-il autre chose que le joyeux chevalier qu'elle avait retrouvé la nuit dernière.

Mais cela n'avait aucune importance. Ici, à Vallensbrùck, elle était de taille à lui résister.

Elle ressortit de l'eau, ruisselante, et s'étira longuement, fermant les yeux. Le soleil frais lui piquait la peau, et elle eut envie de rire.

Par ses pieds nus solidement ancrés sur le sol mouillé, elle sentait comme une onde de puissance remonter en elle, issue de la terre ellemême, comme si peu à peu elle se fondait à la nature environnante.

Lentement, avec des gestes doux, elle caressa son ventre qu'un léger renflement commençait à tendre.

Soudain, une angoisse incoercible l'envahit. Elle n'était pas seule.

Inquiète, elle scruta les alentours.

La silhouette de Maaskar s'avançait vers elle, un grand sourire aux lèvres.

CHAPITRE XLVII

Contrariée, Nelvéa attrapa prestement sa cape et s'en enveloppa.

- Décidément, je ne peux pas prendre un bain seule sans te retrouver derrière moi. Comment se fait-il que tu sois ici?

Il éclata de rire.

- Simplement parce que je t'ai suivie, ma belle.

- D'abord, je ne suis pas « ta » belle, et puis, si tu voulais me parler, tu pouvais me faire demander au palais.

- J'avais envie de te parler seul à seule, et ce n'est guère aisé là-bas.

Je ne pouvais tout de même pas deviner que tu allais te baigner nue.

Elle se calma quelque peu. Mais il subsistait en elle une nervosité qu'elle ne parvenait pas à maîtriser.

- Pourquoi voulais-tu me voir seule? demanda-t-elle d'un ton sec.

Te serais-tu déjà lassé de Rehna?

- Nelvéa! Pourquoi me parles-tu ainsi? A t'entendre on croirait que nous sommes devenus des ennemis. Que t'ai-je fait, sinon te surprendre au bain? Ce n'était pas ma faute. Et puis, je t'ai déjà vue nue.

Il avait l'air sincèrement peiné. Elle soupira.

- Que voulais-tu me dire de si important?

Il fit quelques pas le long de la rive.

- Rehna ne compte pas. J'ai espéré te rendre jalouse. Je vois que c'était inutile.

Elle leva les yeux au ciel.

- Par les dieux, Maaskar, je croyais que tu avais promis de me laiser tranquille.

- J'avais promis, c'est vrai! Mais le temps n'a rien effacé. Pourquoi crois-tu que j'ai parcouru toutes ces marches?

- Tu savais que je vivais avec le prince de Vallensbrûck. Il ne t'est pas venu à l'idée que je pouvais l'aimer, et que je n'avais envie d'aucun autre homme?

- Et alors? Nelvéa, je t'ai crue morte pendant toutes ces années.

Personne ne savait ce que tu étais devenue.

- Écoute, Maaskar? Je t'aime bien, mais ce n'est pas possible, comprends-tu? J'aime Nielsen. Je lui ai donné une fille. Et je porte un second enfant de lui. Je sais bien que les coutumes de nos pays m'autoriseraient à prendre un amant, et même plusieurs si la fantaisie m'en prenait. Mais je n'en ai pas envie. Ni toi, ni un autre. Il faut que tu comprennes cela!

Rageusement, elle rejeta sa cape et entreprit de se rhabiller. Elle tremblait. Elle aurait voulu refouler la colère qui grondait en elle, et à laquelle se mêlait une désagréable sensation de peur, dont elle ne parvenait pas à discerner l'origine. Elle se maudissait de se sentir si faible et si désarmée, d'éprouver toujours cet étrange trouble sensuel chaque fois qu'il posait les yeux sur elle. Mais elle se dit que c'était surtout un appel animal ancré dans ses reins. Cela n'avait rien à voir avec l'émotion qui la tenait lorsque Nielsen la caressait.

« II y a quelque chose de pervers en moi! » se reprocha-t-elle. Elle se ramassa, comme un fauve prêt au combat.

- Tu es encore plus belle que lorsque nous nous sommes quittés, Nelvéa.

- Merci, répondit-elle froidement.

- Tu sais, je n'ai pas oublié les secrets de ta peau!

Elle rajusta sa veste de daim et repassa sa cape.

- Tu aurais dû! Le monde ne manque pourtant pas de jolies filles.

- Pour ça non! Mais aucune ne te ressemble, ma petite sœur.

Il l'observa un long moment.

- Pauvre de moi! Je n'ai vraiment pas de chance avec toi.

- Écoute, Maaskar! Je ne peux te donner le moindre espoir. Et puis, je ne suis pas ta sœur.

- Qu'en sais-tu?

L'éclat mystérieux qu'elle lut dans ses yeux la désarçonna.

- Que veux-tu dire?

- Tu es ma sœur d'armes, Nelvéa. Et tu es semblable à moi. Même si tu le refuses.

- Tais-toi!

- Non! Tu ne m'as pas bien compris tout à l'heure. Ce n'est pas une aventure que je te propose.

- Et quoi donc?

- Nelvéa, nous sommes faits l'un pour l'autre. Ton Nielsen ne te connaît pas comme je te connais.

Elle se dirigea vers son lionorse. Elle ne voulait plus l'écouter.

- Nelvéa, tu n'es pas faite pour cette vie insipide. Même si ton mari a l'aspect d'un homme jeune, il a déjà tant vécu que ce n'est même plus un vieillard.

Elle ferma les yeux et serra les dents pour maîtriser sa colère.

- Si c'est ainsi que tu comptes me séduire, tu fais fausse route, mon pauvre ami. Tu ne sais de moi que ce que nous avons vécu ensemble pendant ces quelques semaines passées au cœur de la forêt, à une époque où je n'étais plus moi-même. Je poursuivais un fantôme, je doutais de moi. A ce moment-là, peut-être, je t'ai aimé. Mais tu m'as aussi fait souffrir. Et cela, je ne l'ai pas oublié.

- Moi, je t'ai fait souffrir? x - Tu m'as dit que Brent était mort, alors que ce n'était pas vrai. Je l'ai revu depuis. Tu m'as forcée à accomplir des choses qui me répugnaient.

Tu as semé le doute en moi, tu m'as dit que je répandrai le malheur sur mes pas...

- Et à cause de cela, tu me hais, tu me rejettes comme on rejette un chien.

La colère de Nelvéa tomba d'un coup. Elle savait désormais qu'elle n'était pas amoureuse de lui. La réaction de Maaskar était un appel de désespoir, celle d'un homme aux abois, qui tente par tous les moyens d'atteindre quelque chose qu'il sait inaccessible. Une vague de pitié l'envahit.

- Je ne te hais pas, Maaskar, ajouta-t-elle d'un ton plus doux. Mais si tu m'aimes autant que tu le dis, tu voudras me savoir heureuse. Et je suis heureuse avec Nielsen. Je n'ai aucune envie de le quitter.

Elle revint vers lui et lui prit la main.

- Il ne faut pas m'en tenir rigueur. J'ai changé, tu sais! J'ai une, famille, une fille, des amis. La petite sauvageonne que tu as connue aH disparu. I II s'écarta presque violemment.

- Ne sois pas si sûre de toi! Ce n'est pas en demeurant ici que tu engendreras ta dynastie, ma belle!

Interloquée, elle le rattrapa. Sinon à Nielsen et Palléas, elle n'avait jamais parlé à personne de sa rencontre avec la sorcière.

- Comment sais-tu cela?

Il eut un sourire énigmatique.

- Peut-être que moi aussi je possède certains dons de... divination.

Il la prit fiévreusement par les épaules.

- Il ne faut pas croire tout ce que l'on te dit sur moi, Nelvéa. Ce n'est pas vrai, tu ne me hais pas. Je le sais. Mais je sais aussi que tu as peur de moi. Comme si j'étais un démon. On t'a dit que je voulais te détruire. Je le lis en toi.

- Maaskar...

- Moi, te détruire? Moi qui suis prêt à donner ma vie pour toi!

Mais comment peux-tu avaler des fables pareilles? De la part de Nielsen, c'est pardonnable. Il t'aime, il essaie de te détourner de moi.

Mais Palléas? Pourquoi me hait-il ainsi? Jamais je ne lui ai causé le moindre tort. Qu'avez-vous donc tous contre moi?

Nelvéa ne savait plus quelle attitude adopter. La tension et la douleur qu'elle devinait chez Maaskar la bouleversaient.

- Comment te faire comprendre? poursuivit-il. Je t'aime! Je t'aime comme un fou. C'est pour toi que je suis revenu! C'est pour toi aussi que je suis devenu chevalier.

- Pour moi?

- Bien sûr, pour toi! Moi aussi une sorcière m'a prédit l'avenir.

C'est avec toi qu'il doit s'accomplir.

- Comment sais-tu autant de choses sur moi? Comment peux-tu deviner ce que pensent Nielsen et Palléas?

- Tu n'as aucun secret pour moi. Je lis en toi comme dans un livre.

Nous sommes pareils, Nelvéa. Nous sommes faits l'un pour l'autre, et tu ne peux y échapper.

Il se mit à trembler.

- J'ai tout fait pour t'oublier. Je voulais échapper à ce destin qui m'enchaînait à toi. En pure perte. On ne peut aller contre la volonté des dieux. Comprends-tu, à présent?

Elle crut qu'il allait éclater en sanglots.

- Je ne t'ai pas quittée il y a dix ans. Je t'ai fuie. J'ai traversé des pays innombrables, séduit plus de filles qu'aucun roi jamais n'en comptera dans son harem. Lorsque je t'ai crue morte, j'ai hurlé comme un loup. Je t'ai pleurée comme aucun homme ne l'a fait. J'ai même voulu me détruire. Mais j'ai survécu parce que au fond de moi quelque chose me disait que tu vivais encore. Pendant toutes ces années j'ai imaginé tant d'histoires, dans lesquelles tu m'attendais.

J'ai rêvé de cet instant où l'on se retrouverait, où tu tomberais dans mes bras pour ne plus jamais me quitter. C'est vrai, je t'ai peut-être fait du mal. Mais il faut me le pardonner. Sans doute est-ce que je t'aime trop. C'est pour me venger que je t'ai fait souffrir, parce que je t'en voulais de me sentir si dépendant de toi. Aujourd'hui, je t'ai retrouvée, et tu me repousses à nouveau.

Elle aurait voulu répondre, mais aucun son ne voulait sortir de sa bouche.

- Pourtant, continua-t-il, on ne peut lutter contre son destin. Un jour, tu reviendras vers moi.

Elle parvint à articuler: - Je ne veux pas!

- Pardonne-moi, ma compagne. Je n'ai pas rêvé de détruire ton bonheur. Pourtant, un jour, tu me suivras. Alors, que ce soit tout de suite.

- Et pourquoi le ferais-je?

- Parce que, si tu ne le fais pas, tu seras responsable de l'anéantissement de cette cité.

- Vallensbrùck? Tu es devenu fou, mon pauvre Maaskar!

Il soupira.

- Oh non! C'est la vérité. As-tu déjà oublié la malédiction d'Ywaïhn?

En un éclair, la vision infernale revint la hanter. Elle hurla: - Je ne crois pas à ces stupidités!

- Tu as tort. Ywaïhn n'oublie jamais, et il est patient.

- Alors, pour rompre cette malédiction, il suffirait que je te suive,x c'est cela?

- Il faut accomplir la volonté des dieux, Nelvéa.

- Et tu t'imagines que je vais te croire?

- Hélas non, répondit-il d'un air las. Je pense qu'il est déjà trop tard. Ta vie est enracinée ici, et tes racines ont pour nom Nielsen, Lauryanne, et ce petit enfant que tu portes. Je n'espérais pas vraiment te convaincre, mais seulement t'avertir. Je connais l'avenir, Nelvéa.

Le malheur s'attachera à tes pas tant que tu refuseras de te réunir à moi.

Non, il n'était pas fou, mais extraordinairement lucide, redoutablement intelligent. La vision de Vallensbruck livrée aux flammes se précisa. Un mélange d'angoisse et de rage l'envahit. Elle grinça: - Je lutterai, Maaskar, tu entends, même si ce que tu prédis est vrai, je lutterai, je combattrai ce dieu maudit. De plus, je ne crois pas en lui. Il s'agit d'un de tes pièges pour me faire tomber dans tes bras.

- Nelvéa!

- Cesse de me jouer cette sinistre comédie, pauvre fou! Je ne suis plus une enfant.

Il la fixa intensément. Dans ses yeux brillait une flamme inhumaine, chargée d'amour et de haine.

- Alors, dit-il d'une voix sourde, je ne peux plus rien pour toi.

Et soudain la colère qui couvait depuis le début noya l'angoisse de Nelvéa et explosa. La jeune femme hurla: - Va-t'en! Va-t'en! Je ne veux plus jamais te revoir! Tout était beau ici avant ton arrivée. Mais encore une fois tu as tenté de tout détruire.

Je te hais, Maaskar! Je te hais.

Il resta un instant immobile, puis lui tourna le dos, et remonta sur son lionorse. A cet instant, un deuxième cavalier surgit des sous-bois.

C'était une femme, dont le visage mit soudain Nelvéa mal à l'aise. Car cette femme lui ressemblait trait pour trait. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans, et la contemplait avec une lueur de feu dans le regard, d'où coulait un violent sentiment de jalousie. Maaskar s'approcha d'elle et la gifla à toute volée.

- Disparais! Je ne t'ai pas autorisée à me suivre. Va m'attendre au château et prépare mes bagages!

Puis il se retourna une dernière fois vers Nelvéa et ajouta: - Cette petite est une esclave que j'ai découverte sur le marché de Lonodia voici trois années. Tu comprends pourquoi je l'ai achetée.

Tremblante de rage, Nelvéa le regarda s'éloigner. Lorsqu'il eut disparu, elle s'effondra sur le sol, enfouit sa tête dans ses bras et se mit à sangloter.

Elle aurait voulu croire qu'il était réellement fou, qu'il n'avait inventé toute cette histoire que pour mieux la reconquérir. Mais c'était une stratégie ridicule. Et pourtant, l'amour qu'il lui portait était sincère. Tout comme la haine qu'elle avait lue dans ses yeux dorés lorsqu'elle l'avait chassé. Peut-être avait-il cherché à provoquer sa colère. Mais pourquoi? Pourquoi?

Elle refusait de croire à cette menace. C'était stupide. Vallensbrûck était protégée par sa barrière magnétique, par sa troupe de guerriers machines, par une garnison dramas. Les maraudiers étaient peu nombreux. Quant aux garous, ils demeuraient doux et pacifiques.

Nielsen leur venait en aide au plus fort de l'hiver, et en été la forêt regorgeait de gibier. Jamais dans le pays on n'avait entendu parler d'anthropophagie.

Alors, comment expliquer la vision infernale qui l'avait hantée deux jours plus tôt? Fallait-il redouter un autre ennemi? Une menace venue d'une cité mythique qui avait nom Hackenmahar?

CHAPITRE XLVIII

- Maaskar est reparti, annonça Nielsen lorsqu'elle le rejoignit dans ses appartements, le soir. Il a démissionné de son poste de deraïk, et il a filé sans même prendre le temps de nous saluer.

- Je le sais.

- Comment cela?

- Je l'ai rencontré sur les bords du lac ce matin. Il voulait que je reparte avec lui. Tu avais raison, Nielsen. C'est pour moi qu'il est revenu. J'ai refusé, bien sûr, et je lui ai dit de quitter Vallensbrûck. A présent, je crois qu'il me hait vraiment. Et j'ai peur.

- Peur? Mais de quoi pourrais-tu avoir peur?

- Je ne sais pas. Il m'a prédit que mon sort était lié au sien, et que les malheurs me suivraient tant que je ne lui aurais pas cédé.

- Vengeance d'homme jaloux, ma chérie. N'accorde pas d'importance à tout cela.

- Il ne s'agit pas uniquement de cela, Nielsen. Il y a deux jours, une vision m'est apparue. J'ai vu la destruction de Vallensbrûck.

C'est pour cela que j'ai peur.

- C'est ridicule, voyons. Cet homme a semé le doute dans ton esprit. Il sait que tu es fragile, mais, crois-moi, le danger n'existe que dans ton imagination. Souviens-toi de Brent Olleronn.

- Brent vit encore. Mais je n'ai pas non plus oublié Daena. Et Jelweyn.

- Ce furent des coïncidences, Nelvéa, rien de plus.

- Peut-être!

Ils sortirent sur la terrasse qui longeait leurs appartements. Sur le parc tombait une nuit de printemps, lumineuse, chargée de parfums nouveaux. Durant l'après-midi, les vents des montagnes avaient éloigné les nuages qui traînaient encore leurs brumes fraîches sur la vallée, et à présent une lune glorieuse inondait la petite cité de sa lueur douce et bleutée. Des bruits de musique et de rires étouffés leur parvenaient du quartier des tavernes, au loin, près du lac. De petits groupes de promeneurs profitaient de la douceur du soir en bavardant.

Nelvéa se concentra pour tenter de retrouver sa vision, espérant y déceler un indice quelconque. En vain.

- J'ai peut-être rêvé, finit-elle par dire à Nielsen.

- Sans doute! Ne pense plus à tout cela. Cet homme possède un certain pouvoir mental. Il l'a utilisé contre toi parce qu'il n'a pas supporté que tu le quittes il y a dix ans. Mais il est parti à présent. Tu ne crains plus rien.

Il l'enveloppa dans ses bras. Elle enfouit son visage dans son cou, respira longuement l'odeur d'herbe parfumée de ses vêtements.

Toute inquiétude s'estompa en elle. Depuis la veille, il lui avait semblé mener un combat périlleux, où les armes n'étaient pas seulement d'acier et de chalqueverre, mais se situaient au niveau de l'esprit. Au milieu de son petit paradis s'étaient ouverts des gouffres sans fond, d'où montaient des relents sulfureux. Elle avait combattu pour ne pas retomber dans les pièges de ce fantôme surgi du passé. Elle avait triomphé. A présent, elle n'avait plus envie de lutter. Elle se blottit plus étroitement encore contre Nielsen. Sa chaleur était un phare dans la tempête, un havre de paix. Et c'était si agréable de se sentir faible parfois.

Plus tard, lorsqu'ils regagnèrent leur chambre après le dîner du soir en compagnie des chevaliers, Nelvéa demanda: - Nielsen, que sais-tu de Hackenmahar?

Il s'assit sur le lit et l'attira contre lui.

- Peu de chose en vérité. Nous ne connaissons son nom qu'au travers de ce que nous avons pu tirer des Gris que nous avons capturés.

La plupart d'entre eux ne parlent pas. Ce sont des esclaves soldats, dressés pour le combat, comme vos ferroskos. Seuls leurs capitaines ne sont pas spoliés. Il y a plus d'un siècle, j'ai convié l'un d'eux à ma table pour le faire parler. Il avait été capturé dans la journée, et s'imaginait déjà que je voulais le tuer. Il a été surpris de se retrouver attablé devant un bon repas. Mais il ne m'a pas appris grand-chose. Les Gris sont très nombreux. Ils tiennent un territoire immense, qui commence au pied de nos montagnes et s'étend vers le nord jusqu'aux confins du royaume d'Hambora. A l'est, il est limité par la Poczla, et à l'ouest par des domaines tout aussi inconnus que le leur, et parcouru par le fleuve Bramao. Peut-être considèrent-ils que Vallensbrùck fait partie de leur royaume.

- N'y a-t-il aucun moyen de vivre en paix avec eux?

Il soupira.

- Depuis quatre siècles, il en a toujours été ainsi. Les Gris parcourent les frontières de leur territoire pour capturer des esclavesl Mais ils ne sont pas les véritables habitants de Hackenmahar. Il J vivent à l'extérieur, dans des casernes bâties à leur intention. Tout» leur vie se passe en combats. Tj - Tu veux dire qu'eux-mêmes ne savent rien de leur cité?

- Exactement! Ils n'ont pas le droit d'y pénétrer. D'après eux, c'est une ville immense, très peuplée, qui ne ressemble à aucune autre!

Une chose est sûre: personne n'en est jamais revenu. Je sais que làl Religion a envoyé plusieurs délégations d'amanes. Ceux-ci n'ont

jamais reparu, quand bien même un détachement dramas les proté-« geait. Les Gris sont de taille à tenir tête aux dramas. Ils possèdent des gonns, et ils sont très nombreux. Autrefois, la piste Smolenska longeait la Poczla. Mais, avec le temps, les attaques des Gris se sont faites de plus en plus meurtrières. Alors, il y a plus d'un siècle, elle a été abandonnée.

- C'est ce que l'on m'a dit à Veraska.

- Certaines rumeurs prétendent que la cité serait gouvernée par des êtres supérieurs, immortels, qu'ils baptisent les « Kai'sords », ce qui dans leur langage signifie: les dieux souverains. Leurs visages sont dissimulés par des masques. C'est du moins ce que m'a confié ce capitaine il y a cent ans.

- Cela a peut-être évolué depuis, tu ne crois pas? Penses-tu que cette cité mystérieuse pourrait devenir un danger pour Vallensbruck?

- C'est peu probable. De tout temps les Gris se sont comportés comme des chiens de garde furieux qui mordent les frontières pour en ramener des esclaves dont on n'entend plus jamais parler après.

Ils nous livrent une guerre d'escarmouche, mais cela n'a jamais été plus loin. Je ne vois pas pourquoi cela changerait à présent.

- Oui, bien sûr, murmura Nelvéa. Et puis la barrière nous protège.

Cependant, elle n'était pas rassurée. Si une menace existait, elle ne pouvait venir que de Hackenmahar. Bien sûr, ses craintes ne reposaient sur rien, sinon sur cette vision imprécise, et sur les prédictions de Maaskar, inspirées par la colère et la jalousie. Mais elle voulait en avoir le cœur net.

En compagnie de Khaled et de Lorik, elle se rendit au nord, jusqu'aux limites de la Barrière. Celle-ci longeait, à mi-pente, une crête montagneuse qui barrait l'immense plaine sur plusieurs marches. Elle était absolument infranchissable. D'ailleurs, même si elle n'avait pas existé, quelques postes de Nyktals eussent suffi pour prévenir une invasion par ces montagnes. Les cols étaient peu nombreux, et facilement défendables. Vers l'ouest s'étendaient des Terres Bleues absolument impraticables qui interdisaient toute approche. A l'est, la montagne se poursuivait, couverte d'une forêt impénétrable qui descendait jusqu'aux rives de la Poczla. Jamais une armée ne pourrait la franchir sans tomber sur les populations inconnues et farouches qui vivaient près des sources du fleuve. Vallensbruck n'était accessible que par le sud-ouest, en empruntant la piste ouverte vers Veraska.

Quelque peu rassurée, Nelvéa entreprit d'interroger les caravaniers et les voyageurs du baarschen. Parmi eux, elle finit par découvrir un petit groupe qui avait descendu la Poczla. Ils lui parlèrent des silônes, ces poissons géants qui s'attaquaient aux navires. Ils racontèrent la gentillesse des gens du fleuve, leur courage. Oui, un jour ils avaient été attaqués par une horde de Gris. Mais le navire les avait repoussés, et avait gagné la rive orientale qu'il avait longée jusqu'à être hors de portée. Non, ils n'avaient pas eu vraiment peur. Les mariniers ne redoutaient pas les Gris. La Poczla se situait en limite de leur royaume. Et les petits ports qui la bordaient étaient tous fortifiés, et bâtis sur la rive opposée. Les seuls qui affrontaient régulièrement les Gris, c'était les Pocznans, ces guerriers sauvages qui vivaient dans le Nord, près des royaumes amanites. Mais ceux-là, c'étaient des bagarreurs, alors Peu à peu, au travers des différents témoignages, Nelvéa se fit une idée plus précise de Hackenmahar. En fait, s'il existait un état de guerre permanent entre les populations frontalières et les Gris depuis des temps immémoriaux, celui-ci se réduisait dans les faits à de brèves escarmouches qui n'inquiétaient pas outre mesure les frontaliers concernés. Il en était ainsi depuis des siècles, et ils l'admettaient avec fatalisme.

Pourquoi les guerriers de Hackenmahar auraient-ils soudain décidé d'anéantir Vallensbruck, en admettant que cela fût possible?

CHAPITRE L

Au fil des mois qui suivirent, les inquiétudes de Nelvéa s'estompèrent, puis disparurent. Au début de l'été, une patrouille de Nyktals fut agressée par une importante troupe de Gris. Les guerriers machines parvinrent à se débarrasser de leurs adversaires sans trop de difficultés. Deux d'entre eux furent détruits. Mais c'était là un moindre mal. Paradoxalement, cette attaque rassura Nelvéa. Depuis dix ans qu'elle vivait à Vallensbrùck, ce genre d'agression était devenue monnaie courante.

Parfois, elle s'interrogeait sur ce qu'avait pu devenir Maaskar. Il avait disparu sans laisser de traces, et les chevaliers qui passaient à Vallensbrùck ne l'avaient jamais revu.

L'été s'écoula paisiblement, apportant son cortège de caravanes, ses richesses nouvelles, les échos des autres empires. Des guerres ensanglantaient toujours certains royaumes, s'achevaient, renaissaient ailleurs.

- Il en a toujours été ainsi depuis l'aube de l'humanité, commentait Nielsen. Les amanes parviennent à les limiter, mais je doute que l'homme soit suffisamment intelligent pour que les conflits disparaissent totalement.

Nelvéa approuvait, mais elle était heureuse que les lieux des combats fussent éloignés de plusieurs centaines de marches. La paix régnait toujours en Ukralasie. L'Ismalasie demeurait pacifique depuis la défaite d'Hadgar del Tihiz, trente-trois ans plus tôt.

- Je me demande si j'étais faite pour devenir chevalier, dit-elle un jour à Nielsen. La plupart de mes frères d'armes se sentent désoeuvrés et recherchent l'affrontement avec les maraudiers en accompagnant les caravanes. A présent, je redoute les combats et je prie les dieux pour qu'ils nous gardent de la guerre.

- Les femmes ne sont pas faites pour se battre, petite. Elles sont là pour donner la vie. Mais ne regrette pas d'avoir passé l'Eschola. A cette époque, tu devais te prouver quelque chose.

- Je ne le regrette pas. Cependant, j'ai même renoncé à m'entraîner.

Je me demande si je saurais encore tenir mon dayal. Ne crois-tu pas que je devrais m'y remettre?

Il éclata de rire.

- Tu ne crois pas que tu as d'autres préoccupations?

Elle sourit et toucha son ventre. Le bébé grandissait en elle et manifestait vigoureusement sa présence. Parfois, il s'agitait tellement qu'il lui arrachait des cris de douleur.

Elle se leva et entrouvrit sa chemise de nuit devant la psyché.

- Ce sera un garçon, affirma-t-elle d'un ton péremptoire.

Elle contempla son visage, sa silhouette déformée et décida qu'elle était belle quand même.

Où était passée la petite sauvageonne qui n'avait pas hésité à se mesurer à ses frères bacheliers, et qui les avait tous vaincus? Elle menait désormais la vie qu'elle avait farouchement refusée lorsqu'elle était plus jeune. Et elle se sentait parfaitement heureuse.

Elle correspondait régulièrement avec Palléas. Celui-ci les avait invités pour l'automne, ainsi que pour les fêtes du Solstice. Bien sûr, elle ne pourrait participer activement aux grandes chasses, puisque son accouchement était prévu pour le mois d'Heleva, le onzième mois de l'année. Mais elle serait présente tout de même.

En attendant, elle n'avait pas le temps de s'ennuyer. Elle participait activement à l'administration du petit domaine, dirigeant plus particulièrement les relations commerciales, et assistait toujours Nielsen dans ses recherches.

Elle s'occupait également de Lauryanne qui, à dix ans, approchait déjà de sa formation. Elle-même n'avait été formée qu'à douze ans, mais sa mère Solyane avait présenté la même précocité. Lorsqu'elle regardait sa fille, Nelvéa avait peine à imaginer qu'elle avait porté dans son ventre ce superbe brin de fille, qui suggérait déjà la femme magnifique qu'elle deviendrait plus tard. Tous les garçons de Vallensbrùck étaient amoureux d'elle, et elle régnait sur eux comme une véritable souveraine. Il vibrait en elle un curieux mélange de sérénité et d'exubérance, qui rappelait à la fois son père, Nielsen, et sa grandmère, Solyane. Elle conservait également d'elle un sourire espiègle et un sens inné de la danse. Très tôt, Nelvéa avait fait venir de Burdaroma et de Gwondaleya des maîtres chargés de lui enseigner les pas.

Mais elle les avait très vite dépassés. De même qu'elle s'était intéressées aux cryptes situées sous le château, où elle passait des heures à étudier le passé du monde et les machines à mémoire. Contrairement à elle, Nelvéa, elle n'avait été nullement traumatisée par les découvertes qu'elle y avait faites. Le monde des Anciens était révolu, et ses excès avec lui. Il était nécessaire de les connaître pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Ainsi avait-elle réagi lorsque sa mère lui en avait parlé.

Il émanait d'elle une impression de force et de sagesse qui stupéfiait parfois Nelvéa. Lorsque celle-ci pensait à l'avenir, elle s'inquiétait.

Quel homme serait assez habile pour la séduire? Mais elle-même avait douté, autrefois. Et elle avait rencontré Nielsen. Lauryanne elle aussi, plus tard, connaîtrait un homme. Et elle la quitterait. Une profonde nostalgie l'envahissait lorsqu'elle y pensait. Alors, elle prenait sa fille dans ses bras et la serrait comme si elle avait voulu la faire rentrer en elle. Lauryanne, très affectueuse, lui rendait volontiers sa tendresse, et la consolait.

- Vous savez, ma mère, que je ne serai jamais loin de vous. Et puis, pourquoi vous inquiéter de ce qui sera? Demain est encore loin.

Nelvéa la contemplait avec amour et souriait à travers des larmes qui ne coulaient pas encore.

- Parfois, je me demande qui de nous deux est la fille.

Avec l'automne, les caravanes s'espacèrent. La dernière, annoncée pour la fin du mois de Deka, le mois des vendanges, arriva avec plus de quinze jours d'avance. Elle devait repartir pour Gwondaleya en emmenant Nelvéa, Nielsen et leurs compagnons.

Il en vint une autre, au tout début du mois d'Heleva. Elle avait pris un peu de retard à cause des pluies diluviennes qui avaient détrempé la piste peu avant Veraska.

Cependant, lorsque les saf therans épuisés parvinrent en vue de la petite vallée, la cité n'était plus qu'un champ de ruines fumantes.

Atterrés, les chevaliers d'escorte s'avancèrent vers les décombres. Ils avaient à peine fait quelques pas que des claquements caractéristiques se faisaient entendre. Des balles de gonn sifflèrent. Les chevaliers, surpris, n'eurent pas le temps de dégainer leurs dayals. Plusieurs d'entre eux s'écroulèrent, mortellement blessés, tandis qu'un grondement féroce réveillait les échos des montagnes et qu'une horde de Gris surgissait de la forêt en hurlant. Le piège se referma inexorablement sur la petite caravane, celle qui logiquement aurait dû atteindre Vallensbrûck vers la fin du mois des vendanges.