CHAPITRE XLI
Dès qu'il avait appris la nouvelle, Palléas s'était immédiatement rendu à l'hostal. Il y fut accueilli par Alarikus, le visage encore plus pâle qu'à l'accoutumée.
- Seigneur, je vous remercie d'être venu si vite.
- Comment va-t-il?
Le prêtre fit une moue pessimiste et ses épaules semblèrent s'affaisser.
- Je pense qu'il ne durera plus très longtemps à présent. Vous savez, il va bientôt avoir quatre-vingt-cinq ans. Il a fait une mauvaise bronchite il y a deux semaines, juste après les fêtes du Solstice.
- C'est ma faute, grogna Palléas. Je n'aurais pas dû le laisser venir au palais par ce mauvais temps.
- Vous n'auriez jamais pu l'en empêcher, seigneur. Pour lui, cette visite était aussi immuable que la succession du jour et de la nuit.
- Je sais, oui! Mais aussi quelle folie!
- Venez!
Alarikus entraîna Palléas le long de couloirs qui donnaient sur des chambres où des paranes silencieux soignaient les plus grands malades. D'autres centres de soins avaient été ouverts dans les différents quartiers de la ville, mais l'hostal demeurait le principal d'entre eux. Le prêtre introduisit Palléas dans une chambre spacieuse, qu'illuminait, au travers d'une large fenêtre, un ciel de neige. Au centre, le vieux Zoltan, l'ancien théolamane de Gwondaleya, reposait dans un lit. Autour s'affairaient deux sziloves âgées, les compagnes du vieil homme. L'une d'elles pleurait doucement en lui tenant la main.
- Il n'a pas repris connaissance, murmura l'autre dans un souffle.
Je crains qu'il ne se réveille plus jamais.
Palléas prit place au chevet du malade. Jamais comme aujourd'hui il n'avait ressenti le poids de sa propre immortalité. Zoltan faisait partie des figures les plus impressionnantes de la cité. Depuis sa plus tendre enfance il avait connu le vieil homme, qui ne manquait jamais de lui parler lors de sa visite quotidienne au palais. Plus tard, devenu chevalier, il avait assisté à de nombreuses entrevues entre lui et son père. Depuis qu'il avait pris la tête du comté, il prenait grand plaisir à la conversation du vieux prêtre. Zoltan avait découvert un nouveau sens à la vie avec la venue des Lonniens. Comme n'importe quel étudiant, il s'était fondu à la foule curieuse qui s'était intéressée à la connaissance apportée par les fils des étoiles. Et, bien souvent, il avait accompagné Palléas à la base lonnienne voisine, pour le seul plaisir de bavarder avec le commandant Kless Loro ou ses assistants. Il avait appris à sourire, et même à rire avec l'âge. Jamais Palléas ne l'avait senti aussi jeune. Mais la maladie l'avait frappé, et son grand âge ne lui avait pas permis de résister à la mauvaise toux qui l'avait pris deux semaines auparavant. Par réflexe, le jeune homme sonda le corps amaigri qui reposait sous les draps blancs. Le mal était trop avancé. Il n'y avait plus rien à faire. Il serra les dents pour retenir les larmes qui lui brûlaient les paupières.
Soudain, Zoltan ouvrit les yeux.
- Seigneur Palléas, marmonna le vieil homme. Je suis heureux de vous voir. J'avais peur de partir avant d'avoir pu vous saluer.
- Je suis là, sehad. Je vais rester auprès de vous.
- Oh, ce ne sera plus très long, à présent. Je vais savoir bientôt si nos croyances sont fondées. Je n'ai pas peur.
- Non, il ne faut pas avoir peur, sehad. Parce que vous aviez raison.
- Je l'espère. Mais j'aimerais tellement en être sûr. C'est dur de partir alors que... j'avais tellement de choses à faire encore. Si j'avais pu revoir encore vos parents...
Et soudain les traits du vieil homme se détendirent. Alarikus le vit regarder derrière son épaule. Une douce chaleur le baigna. Il se retourna. Il n'y avait rien.
Palléas sourit au vieil homme.
- Ils ne vous abandonneront pas, sehad.
- Mais oui, ils sont là, je les vois. Ah, je puis mourir, à présent.
Alarikus s'approcha, inquiet.
- Il délire.
L'une des sziloves posa une compresse fraîche sur le front de Zoltan.
Mais le vieil homme repoussa gentiment la main de sa compagne.
- Laisse-moi! Ils vont m'aider à franchir le grand pas.
Palléas s'écarta du lit. Le vieux prêtre tendit les mains devant lui, et sembla étreindre quelque chose d'invisible. Son visage était transfiguré.
Il murmura:
- Merci! Merci d'être venu m'assister.
- Que se passe-t-il? balbutia Alarikus, stupéfait. On dirait qu'il voit quelque chose.
Palléas lui posa la main sur l'épaule.
- Ne tentez pas de comprendre, sehad. Tout est finira présent.
Mes... mes parents aimaient beaucoup Zoltan.
Les deux sziloves, impressionnées, s'étaient également reculées.
Incrédules, elles virent leur compagnon respirer une dernière fois profondément, puis sa tête retomba sur l'oreiller, inerte. Son visage gardait l'empreinte de la plus profonde sérénité.