CHAPITRE XVIII

Elle se jeta à terre et tira plusieurs balles au jugé. Un cri d'agonie jaillit des fourrés. Mais d'autres flèches sifflèrent dans sa direction. Nelvéa s'abrita derrière le banc de pierre et scruta la forêt proche. Elle discerna l'empreinte mentale d'une vingtaine de maraudiers parmi lesquels se trouvaient ceux qui les avaient agressés la veille. Elle jura vertement. Ils s'étaient laissé piéger stupidement. A présent elle n'avait plus peur. Seule une colère froide l'habitait. Il n'était pas possible qu'elle risquât de se faire tuer aussi stupidement alors qu'elle venait de retrouver la trace de son père.

Par chance, son fusil électrique lui conférait un réel avantage. Les autres n'oseraient pas tenter un assaut tant qu'elle aurait encore des munitions. Mais ses réserves étaient tragiquement limitées. Si au moins elle parvenait à regagner la bâtisse...

Khaled et Lorik avaient déjà pris position aux fenêtres. L'arbalète de l'Ismalasien et la fronde du jeune homme firent merveille.

Profitant d'une brève accalmie, Nelvéa bondit jusqu'à la porte et se rua à l'intérieur. Saine et sauve. Elle prit à peine le temps de souffler et se posta à une fenêtre. Elle percevait nettement les pensées des agresseurs qui l'avaient vue fuir. Elle ne portait strictement rien sous la couverture qu'elle avait dû abandonner. Et leurs projets ne pouvaient être plus clairs. Elle serra les dents.

- Vous ne me tenez pas encore, grinça-t-elle pour elle-même.

Une ombre se glissa à ses côtés, lui apportant ses vêtements et son sharack de combat. Khaled lui prit le gonn tandis qu'elle s'habillait.

S'il ne possédait pas l'adresse de Nelvéa, il fit tout de même des ravages dans les rangs ennemis. Des cris de douleur et de rage retentirent.

Lorik lés rejoignit.

- Je crois qu'ils veulent nous encercler, princesse. Que pouvonsnous faire?

- Il faudrait joindre les chevaux et tenter une sortie. Mais ces chiens sont bien armés.

Elle pesta violemment.

- Il en reste encore une bonne dizaine, ajouta-t-elle après un court sondage mental. Au corps à corps, ils nous vaincront. Il ne faut pas les laisser approcher.

Peu à peu, cependant les flèches se raréfièrent puis tout redevint calme.

- Que se passe-t-il? demanda Lorik qui n aimait pas du tout ce silence inquiétant.

Tout à coup, un choc léger se fit entendre sur le toit. Un deuxième, puis un troisième suivirent. Une fumée épaisse s'infiltra dans la demeure.

- Ils essaient de nous faire griller, grogna Khaled. Qu'ils soient maudits!

- Fearn! hurla Nelvéa. S'il sent la fumée, il va vouloir s'enfuir. Et ces salauds vont le tuer.

En quelques instants, un violent incendie se déclara. Toussant à s'en décrocher les poumons, les trois voyageurs durent abandonner la place. Nelvéa sortit la première et se précipita vers l'écurie attenante.

Une volée de flèches l'accueillit. L'épaisseur de son sharack la protégeait mais elle sentit néanmoins sa cuisse s'ouvrir tandis qu'une douleur vive irradiait son bras gauche à hauteur de l'épaule. Elle n'en tint pas compte et s'engouffra dans l'écurie où Fearn feula de joie. L'incendie n'avait pas encore atteint le bâtiment. Elle détacha les chevaux et bondit sur l'échiné de son compagnon avec lequel elle entra en communication mentale. Aussitôt, une force nouvelle monta en elle.

Il n'était que temps. Jugeant sans doute que la victoire leur était acquise, les maraudiers avaient lancé l'assaut. Nelvéa, hurlant, surgit en trombe de l'écurie. Son dayal, accrochant les rayons du soleil à peine levé, fit hésiter les assaillants. La jeune fille profita de son avantage et chargea. Elle eut le temps de mettre trois maraudiers hors de combat mais dut reculer devant la hargne de la bande. Des hurlements obscènes l'accueillirent qui décuplèrent sa propre colère.

Impressionnés par le lionorse, les bandits se regroupèrent puis se mirent en position de tir.

Nelvéa et ses compagnons étaient pris au piège. Ils ne pouvaient plus s'abriter dans le relais, désormais livré aux flammes. Il ne leur restait plus qu'à tenter de s'enfuir, en espérant échapper aux flèches.

Et, soudain, la situation se retourna. Du fond de la forêt, deux cavaliers chargeaint. Nelvéa les reconnut instantanément: Maaskar et son écuyer.

Surpris, les bandits se retournèrent. Nelvéa et ses compagnons mirent à profit ce répit et attaquèrent à leur tour. Pris en tenaille, les maraudiers ripostèrent courageusement. Mais ils n'étaient plus qu'à deux contre un. Et ils ne purent rien faire contre la fougue des deux chevaliers qui les culbutèrent l'un après l'autre. Trois d'entre eux parvinrent à s'enfuir sans demander leur reste.

- Alors, ma belle! Tu as encore trouvé le moyen de te mettre dans le pétrin? dit le jeune homme en ôtant son casque.

- Maaskar! Que les dieux te protègent, mon compagnon! Sans toi, nous allions passer un mauvais moment.

- Toi surtout, ma beauté. J'imagine qu'ils ne t'auraient pas tuée immédiatement.

- Laissons cela, tu veux!

- Bon, bon, ne te fâche pas!

Il se laissa glisser à terre et vint lui tendre les bras. Elle hésita un instant, puis accepta son aide. Mais il la maintint en l'air comme une enfant.

- Par les dieux! Quel dommage que tu sois si farouche, Nelvéa. Tu sais, j'ai si souvent pensé à toi. Si tu n'étais pas née les armes à la main, j'aurais aimé avoir une compagne comme toi.

- Cela ne te ferait rien de me poser.

- Oh! pardon.

Elle s'écarta de lui, gênée. Elle n'avait pas du tout envie de flirter après un combat où plusieurs hommes avaient trouvé la mort. Mais elle ne pouvait tout de même pas repousser brutalement son sauveur.

Elle lui sourit.

- Tu seras donc toujours incorrigible, Maaskar.

- Toujours! Surtout avec toi. Je ne t'ai jamais dit que je t'aimais?

- Jamais au milieu d'un champ de bataille couvert de morts et de blessés.

- Ces hommes étaient des maraudiers. Ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient.

Nelvéa lui tourna le dos et s'approcha du corps du vieil homme.

- Celui-là n'était pas un maraudier. Et, pourtant, ce jour a été le dernier pour lui aussi.

Maaskar haussa les épaules.

- C'est bien triste, ma petite Nelvéa. Mais que pouvons-nous y faire? Il avait choisi de vivre ici, et il en connaissait les dangers. Tu ferais mieux de t'occuper de toi. Au cas où tu ne l'aurais pas encore remarqué, tu perds ton sang, ma belle.

Il avait raison. Son épaule et sa cuisse saignaient abondamment, et des élancements douloureux commençaient à se faire sentir.

Khaled s'approcha d'elle et l'entraîna à l'écart.

- Aïnah Shean! Je n'aime pas tellement cet homme. Je souhaiterais qu'il s'éloigne lorsque je vais te soigner.

- Bien sûr! Mais n'oublie pas qu'il nous a sauvé la vie. Nous lui devons le prix du sang.

L'Ismalasien hocha la tête, guère convaincu.

Plus tard, lorsque le relais eut fini de se consumer et que les corps eurent été entassés sur un bûcher, Khaled s'isola avec elle près d'un petit ruisseau situé en contrebas de la piste. Tandis qu'il nettoyait les plaies, il lui murmura: - Cet homme te convoite, Aïnah Shean. Méfie-toi de lui. Je n'aime pas ses yeux.

Il leva la tête brusquement. Nelvéa se retourna. Du haut d'un rocher, Maaskar la contemplait, un sourire éclatant aux lèvres. Elle jura. Il n'y avait pourtant rien d'autre dans ses yeux rieurs que le reflet de la joie qu'il avait eue à la surprendre nue. Elle regarda Khaled et comprit qu'il y avait peut-être une bonne part de jalousie, ou tout au moins de possessivité, dans les réactions de son compagnon.

Elle sourit intérieurement et se rhabilla.

Nelvéa trouvait Maaskar très attirant. Était-ce à cause de ses yeux très vifs, d'une curieuse couleur dorée, au reflet moqueur? Il était presque aussi grand que Palléas et son allure n'avait rien à lui envier.

Alors qu'il descendait pour lui donner la main, elle remarqua son insigne, un serpent enroulé sur lui-même dont l'œil était incrusté d'un rubis. L'espace d'un éclair, un froid étrange, effrayant lui coula le long du dos. Elle frissonna. Maaskar vint à elle.

- Que t'arrive-t-il, ma belle?

- Je... Je ne sais pas. Ce sont peut-être ces blessures.

Il éclata de rire.

- Allons donc. Tu ne vas pas me faire croire que toi, la fille du seigneur de Gwondaleya, tu vas te laisser abattre par deux petites égratignures sans importance.

Il lui passa familièrement le bras autour des épaules.

- Tu as seulement besoin de te reposer, ma petite compagne. Nous allons cheminer de concert aujourd'hui. Je chasserai pour toi. Et ce soir, je veillerai sur ton sommeil.

- Pourquoi ferais-tu cela?

- Parce que je lis dans tes yeux que tu envisages de te rendre dans un lieu dangereux. Alors, je veux être à tes côtés. Et aussi parce que je suis peut-être un peu plus amoureux de toi que les autres. Je t'ai vue nue, lors de l'Eschola. Je ne l'ai pas oublié.

- Et tu as voulu me surprendre une nouvelle fois!

- Tu ne peux tout de même pas me reprocher de te trouver belle.

Il était désarmant. Nelvéa fit la moue, puis lui sourit. Elle regarda une nouvelle fois son emblème, intriguée. L'œil du serpent semblait la guetter comme une proie.