CHAPITRE XL
A Vallensbrùck comme à Gwondaleya, on fêtait la période dul solstice d'hiver. Au cœur de la nuit de neige qui avait étendu son!
manteau blanc sur la petite vallée et son lac, Nelvéa, Nielsen et leurs!
compagnons s'étaient regroupés, comme autrefois, dans le palais i comtal, autour de la cheminée du château. | Huit mois après son arrivée, Nelvéa était définitivement adoptée comme suzeraine du domaine, et, durant la journée qui avait précédé la nuit la plus longue de l'année, les notables de la ville avaient défilé dans la grande salle pour remettre des cadeaux au couple.
Le soir, comme le voulait la tradition, on se réunissait entre intimes, il n'y avait au repas que Nielsen, Nelvéa, Khaled, Lorik, Astrid et Myriam, Krissy et ses sœurs, ainsi que les plus anciens compagnons de Nielsen et leurs familles.
Émue, Nelvéa se souvint de la dernière nuit du solstice passée à Gwondaleya, deux années auparavant. Ainsi que l'avait prédit sa mère, Solyane, l'année précédente, le noyau familial avait été brisé.
Dorian était bloqué par les glaces du Grand Nord, là-haut, près de la banquise. Palléas, quant à lui, était à la poursuite du Prophète, le monstre qui avait ensanglanté le monde de sa religion démente. Où étaient-ils tous à présent? Son frère devait être en train de célébrer la nuit magique en compagnie de ses fidèles compagnons, de ses épouses et de ses enfants. Elle imaginait la grande salle de Gwondaleya retentissant de leurs rires. Elle était heureuse ici, à Vallensbrùck.
Mais elle aurait aimé se retrouver parmi eux. Pourtant, aurait-elle supporté l'absence de son père et de sa mère?
La nuit touchait presque à sa fin lorsqu'elle se retrouva enfin seule avec Nielsen. Elle avait pris sur elle pour chasser la mélancolie qui l'avait assombrie, et personne, hormis peut-être son fidèle Khaled, ne s'était aperçu de sa tristesse.; Épuisés, l'esprit embrumé par les épices et les vins, Nelvéa et son compagnon vinrent s'accouder au rempart de la terrasse supérieure du palais, qu'illuminait la nuit d'hiver semée d'étoiles. Là, enfin, elle libéra sa peine et sanglota contre l'épaule de l'homme. Nielsen ne dit mot.
Elle leva vers lui un regard brillant de larmes et murmura: - Oh! Nielsen, tu me comprends, n'est-ce pas? Tu sais, je suis heureuse ici, à Vallensbrûck. Mais je voudrais... je voudrais tellement être encore petite. Ma mère et mon père étaient si bons...
Il la prit contre lui et la berça tendrement.
- Est-ce que... est-ce que tu crois que je les reverrai un jour?
- Oui, je le crois, dit-il doucement. Tes parents n'étaient pas de notre espèce. Je suis sûr qu'il y a derrière tout cela un mystère qui nous dépasse. Quelque chose que nous sommes trop faibles pour comprendre. Mais je pense aussi qu'un jour tu découvriras en toi une force cachée qui te permettra de les rejoindre, et de comprendre ce mystère.
- Alors, ils ne sont pas morts?
Il scruta longuement le panorama enneigé sur lequel la pleine lune faisait jouer des reflets d'argent avant de répondre.
- Tu sais, la vie et la mort ne sont rien. Sans doute n'ont-elles plus aucune signification pour eux. Quelquefois, depuis ton arrivée, j'ai ressenti des phénomènes étranges, comme si quelqu'un nous observait, peut-être nous protégeait.
- Moi aussi, j'ai éprouvé cela. Parfois j'ai cru que mon imagination me jouait des tours.
- Je ne pense pas.
- Et puis, ajouta Nelvéa, les wootmans qui les ont aperçus dans la forêt Skovandre ne peuvent pas tous s'être trompés.
Elle eut un bref sanglot.
- Mais pourquoi ne reviennent-ils pas?
Pourquoi?
Elle comprit qu'elle tentait désespérément de retenir le passé. Mais qui peut retenir l'écoulement inexorable du temps? Il lui fallait tourner les yeux vers l'avenir. Un avenir d'où ils seraient absents, mais où Nielsen marcherait à ses côtés. Et, plus tard, les enfants qu'il lui donnerait.
En cette nuit magique du Solstice, elle prit conscience qu'elle avait irrémédiablement tiré un trait sur son enfance.