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À la lumière du silence tous les problèmes se dissolvent. Cette lumière n’est pas engendrée par l’ancien mouvement de la pensée. Elle n’est pas engendrée, non plus, par une connaissance qui vous révèle à vous-même. Elle n’est pas éclairée par le temps ou par un quelconque acte de volonté. Elle surgit en la méditation. La méditation n’est pas une affaire privée ; ce n’est pas une recherche personnelle du plaisir ; le plaisir isole toujours, et divise. En la méditation la ligne de séparation entre vous et moi disparaît ; en elle la lumière du silence détruit ma connaissance de moi-même. Le moi peut être étudié indéfiniment, car il varie de jour en jour, mais on ne l’atteint jamais que d’une façon limitée, quelqu’étendus que soient les moyens d’approche. Le silence est liberté, et la liberté se produit en tant qu’acte final d’un ordre complet.

 

 

C’était un bois au bord de la mer. Le vent constant avait déformé les pins, les avait rabougris et les branches étaient dépouillées de leurs aiguilles. C’était le printemps, mais le printemps n’arriverait pas pour ces pins. Il était là, mais loin d’eux, loin de ce vent perpétuel et de l’air salin. Il était là, en fleurs, et chaque brin d’herbe et chaque feuille criaient, chaque marronnier était en floraison, ses pyramides de fleurs éclairées par le soleil. Les canards avec leurs canetons étaient là, les tulipes et les narcisses. Mais ici il était nu, sans une ombre, et chaque arbre agonisait, tordu, atrophié, dénudé. Ils étaient trop près de la mer. Ce lieu avait son propre caractère de beauté mais il regardait vers ces bois lointains avec une silencieuse angoisse, car ce jour-là le vent froid était très fort ; il y avait de hautes vagues et les vents puissants repoussaient le printemps vers l’intérieur des terres. Il y avait du brouillard au-dessus de la mer et les nuages dans leur course recouvraient la campagne, transportant avec eux les canaux, les bois et la terre plate. Même des tulipes naines, si près du sol, étaient secouées et leur brillante couleur était une onde lumineuse au-dessus des champs. Les oiseaux étaient dans les bois, mais non parmi les pins. Il n’y avait là qu’un merle ou deux, dont les becs jaunes brillaient, et un ou deux pigeons. C’était merveilleux de voir la lumière sur l’eau.

 

 

C’était un homme haut de taille, bâti massivement, avec de grandes mains. Ce devait être un homme très riche. Il avait, très appréciée des critiques, une collection de peintures modernes dont il était assez fier. Comme il vous le disait, vous pouviez voir une lueur d’orgueil dans ses yeux. Il avait un grand chien, actif et très joueur. Il était plus vivant que son maître. Il avait envie d’être dehors, dans l’herbe, parmi les dunes, de courir contre le vent, mais il s’assit, obéissant, là où son maître lui dit de s’asseoir et s’endormit bientôt, excédé d’ennui.

Les possessions nous possèdent plus que nous ne les possédons. Le château, la maison, les tableaux, les livres, le savoir deviennent bien plus importants que l’être humain.

Il dit qu’il avait beaucoup lu et vous pouviez voir, d’après sa bibliothèque, qu’il possédait les livres les plus récents. Il parla de spiritualité mystique et de la folle passion pour les drogues qui se répandait dans tout le pays. C’était un homme riche et qui avait réussi, mais tout cela était creux et il y avait en lui le vide que ne comblent jamais les livres, les tableaux ou la connaissance des affaires.

C’était cela, la tristesse de la vie – c’est ce vide que nous essayons de remplir par tous les artifices auxquels nous pouvons penser. Mais ce vide demeure. Sa désolation est le vain effort de posséder. Cette tentative aboutit à l’esprit de domination, et à l’affirmation du moi avec ses mots sans contenu et ses riches souvenirs de choses qui ont disparu et qui ne reviendront jamais. C’est ce vide et cette solitude que la pensée isolante cultive et nourrit par les connaissances qu’elle a élaborées.

C’est cette tristesse des vains efforts qui détruit l’homme. Sa pensée ne vaut pas un ordinateur, et il n’a que la pensée comme seul instrument pour aborder les problèmes de la vie, lesquels, par conséquent, le détruisent. C’est alors la tristesse d’une vie gâchée, dont probablement il ne comprendra qu’elle a été gâchée qu’au moment de sa mort – et il sera trop tard.

Ainsi, les possessions, le caractère que l’on a, les réussites, l’épouse domestiquée, deviennent terriblement importants, et cette tristesse expulse l’amour. Vous pouvez avoir des possessions ou de l’amour ; vous ne pouvez pas avoir les deux. Les possessions engendrent du cynisme et de l’amertume, qui sont les seuls fruits de l’homme ; l’amour se trouve au-delà des bois et des collines.