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La méditation est la fin du langage. Le silence ne peut pas être provoqué par la parole, le mot étant la pensée. L’action engendrée par le silence est totalement différente de celle que provoque le mot. La méditation consiste à libérer l’esprit de tout symbole, de toute image, de tout savoir.

 

 

Ce matin-là les hauts peupliers, avec leurs récentes feuilles claires, jouaient sous la brise. C’était un matin de printemps et les collines étaient recouvertes d’amandiers, de cerisiers, de pommiers en fleurs. La terre entière paraissait être intensément vivante. Les cyprès étaient majestueux dans leur attitude réservée, mais les arbres fleuris se touchaient branche à branche et les rangées de peupliers projetaient des ombres dansantes. Auprès de la route coulait de l’eau qui plus tard deviendrait celle de la rivière.

Il y avait un parfum dans l’air et chaque colline était différente de toutes les autres. Sur certaines d’entre elles étaient des maisons entourées d’oliviers. Des rangs de cyprès marquaient leurs chemins d’accès. La route serpentait sur ces douces collines.

C’était une matinée étincelante, d’une intense beauté, et la puissante auto y avait sa place. Un ordre extraordinaire semblait régner, mais il y avait évidemment du désordre dans chaque maison, l’homme complotant contre l’homme, des enfants qui criaient ou riaient… Toutes les misères s’allongeaient invisibles, de maison en maison. Le printemps, l’automne, l’hiver n’interrompaient jamais leur chaîne.

Mais ce matin-là il y avait un renouveau. Ces tendres feuilles n’avaient jamais connu l’hiver, ni l’automne qui viendrait ; elles étaient vulnérables, donc innocentes.

De la fenêtre on pouvait voir la vieille coupole de la cathédrale zébrée de marbres, et le campanile multicolore. À l’intérieur de l’édifice étaient les sombres symboles de la douleur et de l’espérance. Cette matinée était vraiment belle, mais curieusement on ne voyait que peu d’oiseaux car ici on les tuait par sport et leur chant était réduit au silence.

 

 

C’était un artiste, un peintre. Il dit qu’il était doué pour son art, comme d’autres pour construire des ponts. Il avait des cheveux longs, des mains délicates, et était enfermé dans le rêve de son talent. Il lui arrivait d’en sortir, de parler, de s’expliquer, puis de rentrer dans sa coquille. Il dit que ses peintures se vendaient et qu’il avait eu plusieurs expositions individuelles. Il en était assez fier, et le ton de sa voix le disait.

Il y a l’armée, avec ses propres murailles qui protègent ses intérêts ; et l’homme d’affaires enfermé dans du cristal et de l’acier ; et il y a la ménagère qui vaque aux soins de la maison, en attendant son mari et ses enfants. Il y a le gardien de musée, le chef d’orchestre, qui vivent, chacun à l’intérieur d’un fragment de vie, et chaque fragment devient extraordinairement important, n’a aucun lien avec les autres fragments, les contredit, a son propre honneur, sa dignité sociale, ses prophètes. Le fragment religieux n’a pas de lien avec celui de l’usine et celui-ci n’en a pas avec l’artiste ; le général est séparé des soldats, le laïc du clerc. La société est brisée en morceaux que l’homme de bonne volonté et le réformateur essaient de recoller. Mais à travers ces débris isolés, spécialisés, l’être humain poursuit ses occupations avec l’angoisse, l’appréhension et le sentiment de culpabilité qui sont nos véritables liens communs, en dehors de nos spécialisations.

C’est en cette commune avidité, en cette haine, en cette agressivité que sont reliés les êtres humains, et cette violence bâtit la culture, la société où nous vivons. Ce sont les esprits et les cœurs qui divisent – il y a Dieu et la haine, l’amour et la violence, et en cette dualité toute la culture humaine se développe et se résout.

L’unité des hommes ne réside dans aucune des structures que l’esprit humain a inventées. Coopérer n’est pas dans la nature de l’intellect. Il ne peut y avoir aucune unité entre l’amour et la haine et pourtant c’est ce que la pensée humaine essaie de trouver et d’établir. L’unité est totalement en dehors de cette sphère, et la pensée ne peut pas l’atteindre.

La pensée a construit cette culture d’agression, de compétition et de guerre. Et pourtant c’est cette pensée même qui tâtonne pour trouver l’ordre et la paix. Mais quoi qu’elle puisse faire, elle ne trouvera jamais ni ordre ni paix. La pensée doit se taire pour que l’amour soit.