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La méditation n’est ni l’expérience de quelque chose qui se situe au-delà de la pensée et des sentiments quotidiens, ni la poursuite de visions et de délices. Un petit esprit infantile et malpropre peut avoir des visions d’une expansion de sa conscience, et il en a en effet, qu’il reconnaît selon son propre conditionnement. Cet infantilisme est fort capable d’obtenir des succès dans le siècle, d’acquérir une renommée et une notoriété. Les gourous, ses maîtres, ont les mêmes caractères que lui, et la même mentalité. La méditation n’appartient pas à cette catégorie. Elle n’est pas faite pour le chercheur, car le chercheur trouve ce qu’il désire, et le réconfort qu’il en tire est la morale de son inquiétude.

Quoi qu’il puisse faire, l’homme des croyances et des dogmes ne peut pas entrer dans le champ de la méditation. Pour méditer la liberté est indispensable. Il ne saurait être question de méditer d’abord et de trouver ensuite la liberté. La liberté – le rejet absolu de la morale sociale et de ses valeurs – est le premier mouvement de la méditation. Ce n’est pas une entreprise publique à laquelle on puisse participer en y apportant sa prière. Elle se tient à l’écart, toute seule, toujours au-delà des frontières du comportement social. Car la vérité ne réside pas dans les objets de la pensée, ni dans ce que la pensée a assemblé et qu’elle appelle la vérité. La méditation positive est l’absolue négation de toute la structure de la pensée.

 

 

L’Océan était très calme ce matin-là ; il était bleu, presque comme un lac, et le ciel était très clair. Des mouettes et des pélicans volaient à proximité de l’eau, les pélicans effleurant sa surface, avec leurs lourdes ailes, de leur vol lent. Le ciel était très bleu et les collines dans le lointain étaient brûlées par le soleil à l’exception de quelques buissons. Un aigle rouge apparut, émergeant de ces collines. Il vola au-dessus du ravin et disparut parmi les arbres.

La lumière, en cette partie du monde, a une qualité de pénétration et d’éclat qui n’aveugle pas. Il y avait un parfum de sumac, d’oranges et d’eucalyptus. Il n’avait pas plu depuis de nombreux mois et la terre était racornie, sèche, craquelée. On voyait, à l’occasion, des cerfs dans les collines, et une fois on vit, errant sur la hauteur, un ours couvert de poussière et dépenaillé. Sur ce sentier, passaient souvent des serpents à sonnettes et l’on pouvait voir de temps en temps un crapaud à corne. Sur la piste vous ne rencontriez presque personne. C’était une piste poussiéreuse, rocheuse, et son silence était total.

Juste devant vous était une caille avec ses petits. Ils devaient être plus d’une douzaine, immobiles, qui faisaient semblant de ne pas exister. Plus vous grimpiez, plus le site devenait sauvage car il n’y avait pas d’eau, donc pas d’habitations. Il n’y avait aucun oiseau non plus, et presque aucun arbre. Le soleil était très ardent, sa morsure vous pénétrait.

À cette grande altitude, soudain, tout près de vous, un serpent à sonnettes agitant sa queue avec un bruit de crécelle, lança un avertissement. Vous sautiez. Il était là, le serpent à sonnettes, avec sa tête triangulaire, tout enroulé sur lui-même, ses crotales au centre et sa tête pointant vers vous. Vous étiez à un mètre ou deux de lui, et il ne pouvait pas vous atteindre à cette distance. Vous le regardiez fixement et il vous dévisageait en retour, de ses yeux qui ne clignaient pas. Vous l’observiez quelque temps, son adipeuse souplesse, son danger, et il n’y avait là aucune peur. Ensuite, alors que vous le fixiez, voici qu’il déroulait vers vous sa tête et sa queue et qu’il s’éloignait en sens inverse. Tandis que vous vous rapprochiez, il s’enroula encore une fois, sa queue au milieu, prêt à frapper. Vous jouiez quelque temps à ce jeu, puis il se fatigua, vous l’abandonniez et vous redescendiez jusqu’à la mer.

C’était une jolie maison, dont les fenêtres ouvraient sur la pelouse. Elle était blanche à l’intérieur et avait de bonnes proportions. Par les nuits froides on y faisait un feu. C’était merveilleux de le regarder, avec ses milliers de flammes et ses nombreuses ombres. Il n’y avait aucun bruit si ce n’était celui de l’Océan en mouvement perpétuel.

Il y avait, dans la chambre, un groupe de deux ou trois personnes parlant de choses en général – de la jeunesse actuelle, du cinéma, etc. Alors quelqu’un dit : « Pouvons-nous vous poser une question ? » Et il parut fâcheux de déranger la mer bleue et les collines. « Nous voulons vous demander ce que le temps signifie pour vous. Nous savons plus ou moins ce qu’en disent les hommes de science et les auteurs de science-fiction. Il me semble que l’homme a toujours été prisonnier du temps – la série sans fin des hiers et des demains. Depuis les âges les plus reculés jusqu’à nos jours, le problème du temps a occupé l’esprit humain. Les philosophes ont spéculé à son sujet et les religions ont avancé leurs propres explications. Pouvons-nous en parler ? »

Chercherons-nous à examiner cette question profondément ou voulez-vous ne l’aborder que superficiellement et vous en contenter ? Si nous voulons en parler sérieusement, nous devons oublier ce qu’en ont dit les religions, les philosophies, et d’autres autorités – car nous ne pouvons avoir confiance en aucune d’elles. Ce n’est pas par insensibilité, indifférence ou arrogance que nous nous en méfions, mais parce que nous voyons que, pour comprendre un problème, il faut rejeter toute autorité. Si vous êtes disposés à cela, peut-être pourrons-nous aborder votre question très simplement.

Le temps existe-t-il sauf dans les horloges ? Nous acceptons tant de choses ; l’obéissance nous a été tellement instillée, qu’il semble naturel d’accepter ce que l’on dit. Mais existe-t-il un temps à l’exception des nombreux hiers ? Le temps est-il une continuité en tant qu’hier, aujourd’hui et demain et sans passé le temps existe-t-il ? Qu’est-ce qui donne une continuité aux milliers d’hiers ?

Une cause engendre son effet, et l’effet à son tour devient une cause ; il n’y a là aucune séparation, c’est un seul mouvement. Ce mouvement, nous l’appelons le temps, et c’est avec ce mouvement que nos yeux et notre cœur voient tout. Nous voyons avec les yeux du temps, nous traduisons le présent en termes du passé, et c’est cette interprétation qui rencontre le demain. Telle est la chaîne du temps.

La pensée, prisonnière de ce processus, pose la question : « Qu’est-ce que le temps ? » Cette quête elle-même appartient aux rouages du temps. Elle n’a donc aucun sens, car la pensée est le temps. Hier a produit de la pensée de sorte que celle-ci divise l’espace en hier, aujourd’hui et demain. Ou encore, il dit : « Il n’y a que le présent », oubliant que le présent lui-même est produit par « hier ».

Notre conscience est faite de cette chaîne du temps, et de l’intérieur de ses limites, nous demandons : « Qu’est-ce que le temps ? Et si le temps n’existe pas, qu’advient-il du hier ? » De telles questions sont dans la sphère du temps et il n’y a pas de réponse a une question sur le temps, posée par la pensée.

Ou bien, n’y a-t-il ni demain ni hier, mais seulement le maintenant ? Cette question n’est pas posée par la pensée. Elle est posée lorsqu’est vue la nature et la structure du temps, mais avec les yeux de la pensée.

Y a-t-il en toute réalité un demain ? Il y en a un, bien sûr, si je dois prendre un train ; mais intérieurement y a-t-il un demain de douleur et de plaisir, ou de réussite ? Ou n’y a-t-il qu’un maintenant sans lien avec hier ? Le temps ne s’arrête que lorsque s’arrête la pensée. C’est au moment de l’arrêt qu’est le maintenant.

Ce maintenant n’est pas une idée, c’est un fait réel, mais seulement lorsqu’a pris fin tout le mécanisme de la pensée. La sensation du maintenant est totalement différente du mot, lequel appartient au temps. Ne nous laissons pas prendre par les mots hier, aujourd’hui et demain. La réalisation du maintenant n’existe que dans un état de liberté et la liberté n’est pas le développement de la pensée.

La question se pose alors : « Quelle est l’action du maintenant ? » Nous ne connaissons, en fait d’action, que celle qui est fonction du temps et de la mémoire, et de l’intervalle entre hier et le présent. Dans l’espace de cet intervalle, naissent toutes les confusions et tous les conflits. Ce que nous demandons en réalité est : s’il n’y a absolument aucun intervalle, qu’est-ce que l’action ? La conscience consciente dit : « J’ai fait telle chose spontanément », mais en fait, c’est inexact ; la spontanéité n’existe pas, car la conscience est conditionnée. Seul est actuel le fait. L’actuel est le maintenant, et la pensée incapable de le rencontrer, crée des images à son sujet. L’intervalle entre l’image et ce qui est, est la détresse que la pensée a créée.

Voir ce qui est, sans le hier, est le maintenant. Le maintenant est le silence du passé.