10

On ne peut jamais entreprendre une méditation ; elle doit se produire sans qu’on la recherche. Si vous la recherchez ou si vous demandez comment méditer, la méthode non seulement vous conditionnera, mais elle renforcera votre conditionnement présent. La méditation, en réalité, est le déni de toute la structure de la pensée. La pensée est structurale, raisonnable ou déraisonnable, objective ou malsaine, et lorsqu’elle essaie de méditer par raison ou à partir d’un état contradictoire et névrosé, elle projette inévitablement ce qu’elle est, et prend sa structure pour une grave réalité. C’est comme le croyant qui médite sur sa propre croyance : il renforce et sanctifie ce qu’il a créé lui-même, poussé par sa peur. Le mot est l’image ou le tableau, objet d’une idolâtrie qui devient la pensée essentielle.

Le bruit construit sa propre cage sonore. Il en résulte que le bruit de la pensée provient de la cage, et c’est ce mot et sa sonorité qui séparent l’observateur et l’observé. Le mot n’est pas seulement un élément du langage, il n’est pas un simple son, c’est aussi un symbole, le rappel de tout souvenir susceptible de déclencher le mouvement de la mémoire, de la pensée. La méditation est l’absence totale de ce mot. La racine de la peur est le mécanisme du mot.

 

 

C’était le début du printemps et, au Bois, il était étrangement aimable. Il n’y avait que quelques feuilles nouvelles et le ciel n’était pas encore de ce bleu intense qui apparaît avec l’enchantement du printemps. Les marronniers n’étaient pas encore en bourgeons, mais le parfum de la jeune saison était dans l’air. Dans cette partie du Bois il n’y avait presque personne et l’on pouvait entendre les voitures qui passaient au loin. Nous marchions en ce début de matinée et l’air avait cette douce vivacité des premiers jours du printemps. Il avait parlé, questionné, demandé ce qu’il devait faire.

« Elle semble n’avoir pas de fin, cette constante analyse, cette introspection, cette vigilance. J’ai essayé tant de choses : les gourous sans barbe, et les gourous barbus, et plusieurs systèmes de méditation – vous savez : tous les tours de passe-passe – et cela vous laisse creux, la bouche sèche. »

Pourquoi ne commencez-vous pas par l’autre bout, au sujet duquel vous ne savez rien – par l’autre rive que vous ne pouvez absolument pas voir de celle-ci ? Commencez par l’inconnu, plutôt que par le connu, car cette perpétuelle observation, cette analyse, ne font que renforcer et conditionner le connu. Que votre esprit vive à partir de l’autre bout, et ces problèmes n’existeront pas.

« Mais comment puis-je commencer à partir de l’autre bout ? Je ne le connais pas, je ne le vois pas. »

Lorsque vous demandez : « Comment puis-je commencer à partir de l’autre bout ? » vous posez encore votre question à partir de ce bout-ci. Ne la posez donc pas. Commencez plutôt à partir de l’autre rive, dont vous ne connaissez rien, à partir d’une autre dimension que la pensée artificieuse ne peut pas capturer.

Il demeura quelque temps silencieux et un faisan vola près de nous. Il apparut brillant au soleil et disparut derrière quelques buissons. Lorsqu’il réapparut un peu plus tard, c’était avec quatre ou cinq poules faisanes, et il se tenait, puissant, au milieu d’elles.

Il était si préoccupé qu’il n’avait pas du tout vu le faisan, et lorsque nous le lui montrâmes, il dit : « Comme il est beau ! » Ce qui n’était que des mots, parce que son esprit était absorbé par le problème de comment commencer à partir de quelque chose qu’il ne connaissait pas. Un jeune lézard, long et vert, était sur un rocher, en train de se chauffer au soleil.

« Je ne vois pas comment m’y prendre pour commencer par ce bout-là. En fait, je ne comprends pas cette assertion vague, dont les termes, pour moi du moins, n’ont pas de sens. Je ne peux aller que vers ce que je connais. »

Mais que savez-vous ? Vous ne connaissez que ce qui est déjà terminé, déjà conclu. Vous ne connaissez que ce qui est d’hier, et nous disons : commencez par ce que vous ne connaissez pas, et vivez en partant de là. Si vous dites : « Comment puis-je vivre à partir de là ? », vous invitez la structure d’hier. Mais si vous viviez avec l’inconnu, vous seriez libre, vous agiriez à partir de votre liberté, et, après tout, c’est cela l’amour. Si vous dites : « Je sais ce qu’est l’amour », c’est que vous ne savez pas ce que c’est. Cela ne peut sûrement pas être une mémoire, le souvenir d’un plaisir. Et puisque ce n’est pas cela, vivez avec ce que vous ne connaissez pas.

« Je ne sais vraiment pas de quoi vous parlez. Vous ne faites qu’aggraver le problème. »

Je vous demande une chose très simple. Je dis que plus vous creusez, plus il y a à creuser. Le seul fait de creuser est votre conditionnement, et chaque pelletée forme des échelons qui ne mènent nulle part. Vous demandez qu’on vous construise de nouveaux échelons, ou vous voulez établir les vôtres, qui vous conduiraient vers une toute nouvelle dimension. Mais si vous ne savez pas ce qu’est cette dimension-là – qui n’est pour vous qu’un objet de spéculation – que vous alliez seul ou sur les traces des autres, vous n’aboutirez qu’à ce qui est déjà connu. Laissez donc tomber tout cela, et commencez par l’autre bout. Soyez silencieux et vous trouverez.

« Mais je ne sais pas comment être silencieux ! »

Vous revoici encore une fois dans le « comment », et il n’y a pas de fin au comment. Toute connaissance est du mauvais côté. Si vous « savez », vous êtes déjà dans votre tombe. Être n’est pas un savoir.