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La méditation est un mouvement attentif. L’attention n’est pas un achèvement et n’est pas personnelle. L’élément personnel n’intervient que lorsqu’existe un observateur en tant que centre et qui, de ce centre, réfléchit ou domine. Tout ce à quoi il parvient est fragmentaire et limité : l’attention n’a pas de frontières, pas de ligne de démarcation à franchir ; c’est une clarté purifiée de toute pensée. La pensée ne peut jamais atteindre cette clarté, car elle a ses racines dans le passé mort ; penser est donc une action dans les ténèbres. En être conscient c’est être attentif. Mais cette prise de conscience n’est pas une méthode pour parvenir à l’attention. Ce qu’enseigne une méthode est toujours dans le champ de la pensée et de ce fait, peut être contrôlé ou modifié. C’est donc une inattention. L’attention consiste à s’en rendre compte. La méditation n’est pas un processus intellectuel appartenant au champ de la pensée : elle consiste à se libérer de la pensée en un mouvement extatique de vérité.

 

 

Il neigeait ce matin-là. Un vent piquant soufflait et l’agitation des arbres était un appel au printemps. Dans cette lumière, les troncs des grands hêtres et des ormes étaient de ce curieux gris-vert que l’on découvre dans les vieux morceaux de bois mort lorsque la terre est molle et couverte de feuilles d’automne. En se promenant parmi ces arbres, on était conscient de la nature intrinsèque du bois – non pas en tant qu’arbres individuels, chacun ayant sa propre silhouette et ses formes – mais plutôt de la qualité commune à tous les arbres.

Le soleil surgit soudain, dans un vaste ciel bleu vers l’est et un ciel sombre, lourdement chargé à l’ouest. À ce moment-là de lumière solaire, le printemps émergea. En ce paisible silence d’une journée de printemps, vous sentiez la beauté de la terre, l’unité de la terre et de tout ce qu’elle porte. Il n’y avait pas de séparation entre vous et l’arbre, et les étonnantes variations de couleurs lumineuses sur le houx. Vous, l’observateur, n’étiez plus là, de sorte que la division espace-temps avait cessé d’être.

 

 

Il dit qu’il avait l’esprit religieux. Il n’adhérait à aucune organisation et ne croyait à aucun dogme, mais il sentait l’appel de la religion. Il avait, bien sûr, passé par toutes les phases de consultations auprès de divers chefs religieux et en était revenu assez désespéré, mais sans cynisme, cependant. Il n’avait toujours pas trouvé la félicité qu’il recherchait. Il avait été professeur dans une université et avait abandonné son poste afin de vivre une vie de méditation et de quête spirituelle.

« Sachez, dit-il, que je suis tout le temps conscient de la fragmentation de la vie. Je ne suis, moi-même, qu’un fragment de cette vie : brisé, isolé, je lutte sans cesse pour devenir le tout, pour faire partie intégralement de cet univers. J’ai essayé de trouver mon identité, car la société moderne détruit toute identité. Je me demande s’il existe un moyen de se dégager de cette division et d’entrer dans ce qui ne peut être ni divisé ni séparé. »

Nous avons divisé la vie en tant que famille et communauté, famille et nation, famille et travail, vie politique et vie religieuse, paix et guerre, ordre et désordre – une incessante division d’opposés. Nous marchons le long de ce couloir, essayant d’établir une harmonie entre l’esprit et le cœur, un équilibre entre l’amour et la convoitise. Nous ne le savons que trop, tout en essayant de trouver un accord d’une sorte entre ces contraires.

Quelle est la cause de ces divisions ? Car, de toute évidence elles existent – les contrastes noir et blanc, homme et femme, etc. Quelle est l’origine, l’essence de cette fragmentation ? Tant que nous ne l’avons pas trouvée, cette dualité est inévitable. D’après vous, quelle est la racine de cette cause ?

« Je peux trouver beaucoup de raisons à cette division qui, apparemment, n’a pas de fin, et décrire toutes les façons dont on a essayé de franchir le fossé des contraires. Intellectuellement, je peux exposer les raisons de cette division, mais cela ne nous mènerait nulle part. J’ai souvent joué à ce jeu, avec moi-même ou avec d’autres. J’ai essayé, par la méditation, par une application de ma volonté, de sentir l’unité de toute chose, d’être un avec le tout – mais c’est une tentative infructueuse. »

La simple découverte de la cause de la séparation ne la résout pas nécessairement. De même on peut connaître la cause de la peur, sans pour autant cesser d’avoir peur. L’exploration intellectuelle ne peut pas agir dans l’immédiat lorsque seule est en œuvre l’acuité de la pensée. La fragmentation moi – non-moi est évidemment la cause première de cette division, bien que le moi essaie de s’identifier au non-moi, qui pourrait être la femme, la famille, la communauté ou la formule « Dieu » élaborée par la pensée. Le moi fait des efforts incessants pour se trouver une identité, mais ce à quoi il s’identifie n’est jamais qu’un concept, une mémoire, une pensée structurée.

Y a-t-il vraiment une dualité ? Oui, objectivement, telle que lumière et ombre ; mais psychologiquement ? Nous acceptons la dualité objective, cela est inhérent à notre conditionnement. Nous ne mettons jamais en doute ce conditionnement. Mais existe-t-il une division psychologique ? Seul existe ce qui est, non ce qui devrait être, lequel n’est qu’une division opérée par la pensée dans son rejet de la réalité (le ce qui est) ou dans son désir de la dominer. D’où la lutte entre l’actuel et l’abstraction. L’abstraction est un fantasme, un idéal romantique. L’actuel est ce qui est, et tout le reste est irréel. C’est l’irréel, non l’actuel, qui engendre la fragmentation. La douleur est l’actuel ; la non-douleur est le plaisir de la pensée qui introduit une division entre la douleur et l’état de non-douleur. La pensée est toujours séparatrice ; en elle est la division du temps, l’espace entre l’observateur et la chose observée. Seul existe ce qui est, et voir ce qui est sans pensée et sans observateur, c’est mettre fin à la fragmentation.

La pensée n’est pas amour, mais en tant que plaisir elle encercle l’amour et introduit la douleur à l’intérieur de sa clôture. En la négation de ce qui n’est pas, ce qui est demeure. En la négation de ce qui n’est pas l’amour, émerge l’amour, où cessent le moi et le non-moi.