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Le sommeil est aussi important que l’état de veille, et peut-être plus. Si pendant la journée l’esprit est attentif, ramassé en lui-même, en train d’observer les mouvements extérieurs et intérieurs de la vie, de nuit la méditation survient comme une bénédiction. L’esprit se réveille et de la profondeur du silence monte l’enchantement de la méditation, qu’aucune imagination, qu’aucun fantasme ne peut jamais produire. Cette méditation vient sans jamais être invitée ; elle surgit de la tranquillité de la conscience, non pas de l’intérieur de la conscience mais du dehors, non à l’intérieur du cercle de la pensée, mais hors de l’atteinte de la pensée. On n’en garde donc aucune mémoire, car un souvenir appartient toujours au passé, et la méditation n’est pas la résurrection d’un passé. Elle se produit par la plénitude du cœur et non par l’éclat et la capacité de l’intelligence. Elle peut se produire nuit après nuit mais chaque fois, si vous êtes ainsi béni, elle est neuve – non pas neuve en tant qu’elle serait différente du connu, mais neuve sans l’arrière-plan du connu, neuve dans sa diversité et dans son invariable variation. Ainsi le sommeil acquiert une importance extraordinaire. Ce n’est pas le sommeil de l’épuisement, ou le sommeil que provoquent les drogues, les satisfactions corporelles, c’est un sommeil aussi léger et aérien que le corps est sensible. Et le corps est sensibilisé par sa propre vigilance. Parfois la méditation est aussi légère qu’une brise qui passe ; d’autres fois sa profondeur est au-delà de toute mesure. Mais si l’esprit s’accroche à l’une ou l’autre de ses apparitions et en garde le souvenir afin de s’y complaire, l’extase disparaît. Il est important de ne jamais s’en saisir et de n’avoir pas le désir de s’en emparer. L’action possessive ne doit jamais intervenir dans la méditation, car la méditation n’a ni racines ni aucune substance accessible à l’esprit.

 

 

L’autre jour nous remontions la profonde gorge creusée dans l’ombre des montagnes arides qui la bordaient des deux côtés ; elle était pleine d’oiseaux, d’insectes, et de la paisible activité de petits animaux. Vous grimpiez de plus en plus haut sur ses pentes douces, jusqu’à une très grande hauteur, et de là vous observiez toutes les collines et les montagnes environnantes, éclairées par le soleil couchant. Elles avaient l’air d’être éclairées par dedans, de façon à ne jamais s’éteindre. Mais pendant que vous l’observiez, la lumière baissait et à l’ouest l’étoile du soir devenait de plus en plus brillante. C’était une belle soirée et, en quelque sorte, vous sentiez que tout l’univers était là, auprès de vous, et une étrange quiétude vous entourait.

Nous n’avons aucune lumière en nous : nous avons la lumière artificielle des autres ; la lumière du savoir, la lumière que peuvent émettre le talent et les capacités. Toutes ces lumières-là s’éteignent et deviennent douleur. La lumière de la pensée devient sa propre ombre. Mais la lumière qui ne vacille jamais (ce profond rayonnement intérieur qui ne se trouve pas sur la place du marché) ne peut pas être exposée à autrui. Vous ne pouvez pas la voir, vous ne pouvez pas la cultiver, vous ne pouvez absolument pas l’imaginer ou spéculer à son sujet, car elle est hors de l’atteinte de la conscience.

 

 

C’était un moine assez connu, qui avait vécu dans un monastère et aussi dans la solitude, très sincère dans sa recherche.

« Ce que vous dites de la méditation me semble vrai : elle est hors d’atteinte. Cela veut dire, n’est-ce pas, que l’on ne doit ni la rechercher, ni la désirer, ni faire aucun geste en manière d’approche, tel que prendre une posture particulière ou se comporter par rapport à la vie ou envers soi-même d’une façon déterminée. Mais alors que doit-on faire ? À quoi pourraient servir des mots, quels qu’ils soient ? »

Votre recherche émane de votre vide intérieur. Vous quêtez soit pour remplir ce vide, soit pour vous en évader. Ce mouvement vers l’extérieur provenant d’une pauvreté intérieure est conceptuel, spéculatif, dualiste. C’est un conflit, et il est sans fin. Donc, ne quêtez pas ! Cependant l’énergie qui sollicitait vers le dehors se retournerait alors vers le dedans, toujours à la recherche de quelque chose qu’elle appellerait maintenant vie intérieure. Les deux mouvements sont essentiellement identiques. Les deux doivent s’arrêter.

« Nous demandez-vous de nous contenter simplement de ce vide ? »

Certainement pas.

« Alors le vide demeure et une sorte de désespoir s’installe. Le désespoir s’intensifie lorsqu’on n’est même plus autorisé à chercher ! »

Est-ce désespérant de voir que le mouvement vers l’extérieur et le mouvement vers l’intérieur ne signifient rien ? Est-ce se contenter de ce qui est ? Est-ce accepter ce vide ? Si vous voyez que ce n’est rien de tout cela, vous avez rejeté les deux mouvements et il n’est plus question d’accepter le vide. Vous avez nié le mouvement de la conscience mise en face de ce vide. Alors c’est l’esprit lui-même qui est vide, car le mouvement était la conscience elle-même. Lorsque l’esprit s’est retiré de tout mouvement, il n’y a plus d’entité pour le remettre en activité. Laissez-le demeurer vide. Qu’il soit vide. L’esprit s’est purgé du passé, du futur et du présent ; il s’est purgé du devenir, et le devenir est le temps. Alors il n'y a plus de temps, il n’y a plus de mesure. Et cela, est-ce un vide ?

« Cet état apparaît et disparaît souvent. Même si ce n’est pas le vide, ce n’est pas l’extase dont vous parlez. »

Oubliez ce qui a été dit. Oubliez aussi cet état intermittent car s’il apparaît et disparaît c’est qu’il appartient au temps, il comporte un observateur qui dit : « Le voilà… il a disparu. » Cet observateur est celui qui mesure, compare, évalue, ce n’est donc pas le vide dont nous parlons.

« Êtes-vous en train de m’anesthésier ? » Et il rit.

Lorsqu’il n’y a ni mesure possible ni temps, existe-t-il une frontière ou un tracé autour d’un vide ? Il n’y a pas quelque chose dont on puisse dire que c’est un vide ou que ce n’est rien. Alors tout est en cela et rien n’est en cela.