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La méditation est toujours neuve. Elle ne subit pas de contact avec le passé car elle n’a pas de continuité. Le mot « neuf » ne transmet pas la fraîcheur de ce qui n’a jamais encore été là. Telle la flamme d’une bougie que l’on a éteinte et rallumée, la nouvelle lumière n’est pas l’ancienne, bien que la bougie soit la même. La méditation n’a une continuité que lorsque la pensée la colore, la façonne et lui donne une raison d’être. Un but et un sens donnés à la méditation par la pensée, deviennent un esclavage dans le champ de la durée. Mais une méditation que n’effleure pas la pensée a son mouvement propre, qui n’est pas dans le temps. Le temps implique le vieux et le neuf est un mouvement qui va des racines du passé au surgissement du lendemain. Mais la méditation est une tout autre floraison. Elle n’est pas le produit de l’expérience d’hier et, par conséquent, n’a pas du tout de racines dans le temps. Elle a une continuité qui n’est pas celle de la durée. Le mot continuité en méditation porte à des malentendus, car ce qui était hier n’a pas lieu aujourd’hui. La méditation d’aujourd’hui est un nouvel éveil, une nouvelle floraison de la beauté, de la rectitude.
L’auto avançait lentement à travers le trafic de la grande ville avec ses autobus, ses camions, ses autos et tout le bruit de ses rues étroites. Il y avait des logements sans fin, remplis de familles, des boutiques sans fin, et la ville se répandait de tous côtés, dévorant la campagne. Nous parvînmes enfin à la campagne, aux champs verts, aux blés, aux grandes étendues de moutarde en fleurs, intenses dans tout leur jaune. Le contraste entre les intensités du vert et du jaune était aussi frappant que le contraste entre le vacarme de la ville et le calme des campagnes. Nous étions sur l’autoroute du Nord qui allait du haut en bas du pays. Et il y avait des bois, des cours d’eaux et le ravissant ciel bleu.
C’était un matin de printemps. Il y avait de grandes taches de jacinthes dans le bois, puis, accolée au bois la moutarde jaune qui s’étendait presque jusqu’à l’horizon, et ensuite le champ vert du blé qui s’étalait aussi loin que l’œil pouvait voir. La route passait auprès de villages et de villes et une route latérale conduisait à un bois charmant. Les fraîches pousses printanières et l’odeur de l’herbe humide faisaient éprouver le sentiment singulier que dégagent le printemps et le renouveau de la vie. Vous étiez alors très en contact avec la nature, pendant que vous observiez la partie de la terre qui s’offrait à vous – les arbres, la nouvelle feuille délicate et le ruisseau qui coulait. Ce n’était pas un sentiment romantique ou une sensation imaginative, mais vous étiez en vérité tout cela – le ciel bleu et la terre en expansion.
La route menait à une vieille maison par une avenue de grands hêtres aux feuilles jeunes et fraîches à travers lesquelles, en élevant le regard, vous aperceviez le ciel bleu. C’était une aimable matinée et le hêtre cuivré était encore bien jeune quoique déjà très haut.
C’était un homme très grand et lourd, aux mains larges et il remplissait cet énorme siège. Il avait un visage bienveillant et était enclin à rire. C’est un fait étrange que nous riions si peu. Nos cœurs sont trop oppressés, le fastidieux labeur qu’est l’existence, la routine et la monotonie de la vie quotidienne, les ont insensibilisés. Nous sommes poussés à rire par une plaisanterie ou par un mot spirituel, mais il n’y a pas de rire en nous-mêmes ; l’amertume qui est le fruit de la maturité humaine semble être si générale. Nous ne voyons jamais l’eau qui court, nous ne rions pas avec elle ; il est triste de voir la lumière dans nos yeux se ternir de plus en plus chaque jour ; la détresse et le désespoir qui pèsent sur nous semblent colorer toute notre existence avec leurs promesses d’espoir et de plaisir que cultive la pensée.
La singulière philosophie de l’origine et de l’acceptation du silence – qu’il n’avait probablement jamais rencontrée – l’intéressait. Vous ne pouvez pas acheter du silence à la façon dont on achète un bon fromage. Vous ne pouvez pas le cultiver à la façon dont on cultive une jolie plante. Il ne peut se produire par l’effet d’aucune activité de l’esprit ou du cœur. Le silence que produit la musique que vous écoutez est un produit de cette musique, amené par elle. Le silence n’est pas une expérience ; on sait qu’il avait été là lorsqu’il n’y est plus.
Asseyez-vous un jour au bord d’une rivière et laissez votre regard plonger dans l’eau. Ne soyez pas hypnotisé par le courant, la lumière, la clarté et la profondeur de l’eau. Regardez sans aucun mouvement de la pensée. Le silence est là, tout autour de vous, en vous, dans la rivière, et dans ces arbres totalement immobiles. Vous ne pouvez pas l’emporter en rentrant chez vous, le retenir dans votre esprit ou dans votre main et vous imaginez avoir réalisé quelque état extraordinaire. Si vous l’imaginez c’est que ce n’était pas le silence, mais un souvenir, une imagination, une fuite romantique hors du bruit de la vie.
C’est à cause du silence que tout existe. La musique que vous entendiez ce matin surgissait du silence et vous l’entendiez parce que vous étiez silencieux, et elle s’en allait en silence au-delà de vous.
Mais nous n’écoutons pas le silence parce que nos oreilles sont pleines du bavardage de nos esprits. Lorsqu’on aime et qu’il n’y a pas de silence, la pensée transforme l’amour en un jeu d’une société dont la culture est l’envie et dont les dieux sont fabriqués par l’esprit et la main. Le silence est là où vous êtes à la fois en vous-même et en dehors de vous.