3

Un esprit méditatif est silencieux. Ce n’est pas un silence que la pensée puisse concevoir ; ce n’est pas le silence d’un soir tranquille ; c’est le silence total qui se produit lorsque s’arrête la pensée, avec toutes ses images, ses mots, ses perceptions. Cet esprit méditatif est l’esprit religieux – celui dont la religion n’est pas atteinte par les églises, les temples et leurs chants.

L’esprit religieux est l’explosion de l’amour. Cet amour-là ne connaît pas de séparation. Pour lui, le lointain est tout près. En lui il n’y a ni l’individu ni le nombre mais plutôt un état dans lequel il n’y a pas de vision. De même que la beauté, il n’appartient pas au monde mesurable des mots. L’esprit méditatif ne puise son action qu’en ce silence.

 

 

Il avait plu la veille et le soir le ciel avait été très nuageux. Au loin, les collines étaient couvertes de jolis nuages lumineux qui changeaient de forme pendant que vous les observiez.

Le soleil couchant, avec sa lumière dorée, ne frappait qu’un ou deux amoncellements de nuages, qui semblaient aussi solides que les sombres cyprès. Comme vous les regardiez, vous deveniez tout naturellement silencieux. Le vaste espace et l’arbre solitaire sur la colline, la coupole lointaine et le bavardage qui vous entourait – tout faisait partie de ce silence. Vous saviez que le lendemain matin il ferait un temps délicieux, parce que le coucher de soleil était rouge. Et il était ravissant. Il n’y avait plus un seul nuage et le ciel était très bleu. Les fleurs jaunes, l’arbre couvert de fleurs blanches contre la haie sombre des cyprès et un parfum de printemps remplissaient les terres. La rosée était sur l’herbe et, tout doucement le printemps émergeait des ténèbres.

 

 

Il dit qu’il venait de perdre son fils, lequel avait eu un excellent emploi et serait devenu un des directeurs d’une société importante. Il était encore sous le choc de son malheur, mais il avait une grande emprise sur lui-même. Il n’était pas de ceux qui pleurent – les larmes ne lui venaient pas facilement. Il avait été entraîné toute sa vie à travailler assidûment à des problèmes matériels, relevant d’une technologie concrète. Ce n’était pas un imaginatif et les subtils et complexes problèmes psychologiques de la vie l’avaient à peine effleuré.

Il n’admettait pas la mort récente de son fils en tant que choc. Il dit : « C’est un triste événement. »

Pour sa femme et ses enfants, cette tristesse était affreuse. « Comment leur expliquer la fin de la douleur, dont vous avez parlé ? En ce qui me concerne, je l’ai étudiée et peut-être puis-je la comprendre, mais que peuvent faire ceux qui y sont plongés ? »

La douleur est en chaque maison, à chaque coin de rue. Tout être humain connaît cette grande détresse, due à tant d’incidents et d’accidents. La douleur est comme une vague sans fin qui déferle sur l’homme jusqu’à presque le noyer, et la pitié qu’elle provoque engendre l’amertume et le cynisme.

Cette douleur est-elle pour votre fils, ou pour vous-même, ou pour la disparition de votre prolongement en votre fils ? Est-ce la douleur de vous prendre en pitié ? Ou une douleur parce que ce fils promettait tellement, du point de vue du monde ?

S’il s’agit d’une commisération que l’on éprouve pour soi-même, ce sentiment égocentrique, ce facteur d’isolement dans la vie (qui existe malgré une apparence de relations) doit inévitablement être une cause de douleur. Ce processus d’isolement, cette active préoccupation de soi-même dans la vie quotidienne, cette ambition, cette insistance sur l’importance que l’on se donne, cette façon de vivre en se séparant des autres, que l’on en soit conscient ou non, doit plonger dans une solitude dont on essaie de s’évader par différents moyens. La compassion que l’on éprouve pour soi-même est la souffrance de la solitude et c’est cette souffrance qu’on appelle la douleur.

Il y a aussi la douleur de l’ignorance – non de l’ignorance due à un manque de lectures, de connaissances techniques, d’expérience, mais de celle que nous avons acceptée en tant que durée, en tant qu’évolution de ce qui est vers ce qui devrait être, en tant qu’acceptation de l’autorité et de sa violence ; c’est l’ignorance inhérente au conformisme avec ses dangers et ses angoisses, l’ignorance qui consiste à ne pas connaître toute la structure de soi-même. Telle est la douleur que l’homme a répandue partout où il a été.

Nous devons donc être clairs sur ce que nous appelons douleur – la douleur étant le chagrin, la perte de quelque chose qui nous était précieux, l’angoisse de l’incertitude ou la constante recherche d’une sécurité. Dans laquelle de ces douleurs êtes-vous plongé ? Tant que cela ne sera pas clair il n’y aura pas de fin à la douleur.

Cette clarté ne se trouve pas dans une explication verbale, elle ne peut pas se produire par une habile analyse intellectuelle. Vous devez être aussi conscient de ce qu’est votre souffrance, que vous l’êtes, sensoriellement, lorsque vous touchez cette fleur.

Si vous ne comprenez pas tout le processus de la douleur, comment pouvez-vous y mettre fin ? Vous pouvez la fuir en allant au temple ou à l’église, ou en vous adonnant à la boisson – mais toutes les évasions, qu’elles soient Dieu ou le sexe, sont identiques, car elles ne résolvent pas la douleur.

Vous devez donc dresser la carte de la douleur, en tracer chaque chemin, chaque route. Si vous permettez au temps de recouvrir cette carte, le temps intensifiera la brutalité de la douleur. Il vous faut voir la carte entière d’un seul coup d’œil – voir d’abord l’ensemble et ensuite les détails, non inversement. Lorsqu’on met fin à la douleur, le temps aussi prend fin.

La pensée ne peut pas faire cesser la douleur. Lorsque le temps s’arrête, la pensée en tant que chemin de la douleur s’arrête aussi. C’est la pensée et le temps qui divisent et séparent, et l’amour n’est ni pensée ni temporalité.

Ne voyez pas la carte de la douleur avec les yeux de la mémoire. Écoutez tout ce qu’elle murmure ; soyez en elle, car vous êtes à la fois l’observateur et l’observé. Alors la douleur prendra fin. Il n’y a pas d’autre voie.