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RETOUR

Bisesa chancela, le souffle coupé. Elle était debout. Mais où se trouvait-elle donc ?

De la musique jouait.

Elle contemplait un mur qui lui montrait l’image agrandie d’un jeune homme incroyablement beau susurrant dans un antique microphone. Incroyablement, oui : c’était une synthéstar, incarnation des rêveries confuses de jeunes préadolescentes.

Mon Dieu, il ressemble à Alexandre le Grand.

Bisesa n’arrivait pas à détacher son regard du ballet de couleurs vives sur le mur. Elle ne s’était jamais rendu compte à quel point Mir était terne. Aristote dit :

— Bonjour, Bisesa. C’est l’heure programmée de ton réveil. Le petit déjeuner t’attend en bas. Les gros titres de ce matin sont…

— La ferme.

Sa voix n’était qu’un croassement éraillé par la poussière du désert.

— Comme tu voudras.

Le garçon synthétique continuait à chanter doucement.

Bisesa regarda autour d’elle. C’était sa chambre, dans son appartement londonien. Elle paraissait petite, encombrée. Le lit était grand et moelleux, on n’y avait pas dormi.

Elle alla à la fenêtre. Ses bottes militaires écrasaient lourdement le tapis, laissant des empreintes de poussière cramoisie. Le ciel était gris, c’était l’heure précédant juste le lever du soleil et le paysage londonien émergeait de l’ombre.

— Ari ?

— Oui ?

— Quel jour sommes-nous ?

— Mardi.

— Quelle date ?

— Ah. Le 9 juin 2037.

Le lendemain du crash de l’hélico.

— Je devrais être en Afghanistan.

Aristote toussota.

— Je suis habitué à tes brusques changements de programme, Bisesa. Je me rappelle une fois…

— Maman ? fit une petite voix ensommeillée.

Bisesa se retourna.

Myra, tout juste réveillée, cheveux ébouriffés, pieds nus et son petit ventre à l’air, se frottait l’œil avec le poing. La fillette, âgée de huit ans, portait son pyjama préféré, désormais de deux tailles trop petit pour elle, sur lequel gambadaient des personnages de dessin animé.

— Tu n’avais pas dit que tu rentrais.

Quelque chose se brisa dans le cœur de Bisesa. Elle tendit les bras.

— Oh, Myra…

Sa fille eut un mouvement de recul.

— Tu sens drôle.

Consternée, Bisesa se regarda. Dans sa combinaison orange élimée, déchirée, raide de sable encollé par la transpiration, elle paraissait aussi déplacée dans cet appartement du xxie siècle que si elle avait porté une tenue pressurisée. Elle eut un sourire gêné.

— Oui, j’ai besoin d’une bonne douche. Puis nous prendrons le petit déjeuner et je te raconterai tout…

La lumière changea subtilement. Bisesa se tourna vers la fenêtre.

Il y avait un Œil au-dessus de la ville, une sphère argentée qui planait tel un ballon d’observation. Elle n’aurait su dire sa taille ni à quelle distance il se trouvait. Mais elle savait que c’était un instrument des Premiers-Nés, qui l’avaient transportée sur la planète Mir puis ramenée chez elle.

Et par-dessus les toits de Londres se levait un soleil menaçant.