7

LE CAPITAINE GROVE

Abdikadir et Bisesa furent conduits dans le fort qu’ils avaient aperçu du haut des airs. Il s’agissait d’un quadrilatère enclos de solides murailles de pierre avec une tour de guet circulaire à chaque coin. C’était une base importante, de toute évidence bien entretenue.

— Je ne l’ai jamais vue sur aucune carte, dit Bisesa d’une voix tendue.

Abdikadir ne répondit rien.

Les murailles étaient gardées par des soldats en capote rouge ou en veste kaki. Certains portaient même des kilts. Ils paraissaient tous petits, maigres, et beaucoup avaient les dents cariées et des maladies de peau ; leur équipement était fatigué et rafistolé de toutes parts. Indigènes ou non, tous regardaient les nouveaux venus avec une curiosité manifeste… et, concernant Bisesa, une concupiscence non dissimulée.

— Il n’y a aucune femme, ici, chuchota Abdikadir. Ne te laisse pas intimider.

— Aucun risque.

Il lui était arrivé trop de choses aujourd’hui pour se laisser impressionner par quelques troupiers libidineux en kilt et casque colonial. Mais, à vrai dire, elle avait l’estomac noué : il n’est jamais bon pour une femme de se faire capturer.

Les lourdes portes, que franchissaient des chariots tirés par des mulets, étaient grandes ouvertes. D’autres mulets portaient sur leur dos ce qui ressemblait à une pièce d’artillerie démontée. Les animaux étaient menés par des soldats indiens… que Bisesa entendit appeler « cipayes » par les soldats blancs.

À l’intérieur du fort régnait une activité fiévreuse, bien qu’ordonnée. Mais, aux yeux de Bisesa, le plus remarquable était ce qui manquait, à savoir toute espèce de véhicule à moteur et d’antenne radio ou de parabole.

On les conduisit dans le grand bâtiment central où on les fit entrer dans une sorte d’antichambre. Là, McKnight ordonna abruptement :

— Déshabillez-vous.

Le sergent-major, expliqua-t-il, n’allait pas les admettre en la vénérable présence de son capitaine sans avoir procédé à une vérification minutieuse de ce qu’ils pouvaient dissimuler sous leurs encombrantes tenues de vol.

Bisesa se força à sourire.

— Je crois surtout que vous voulez lorgner mon cul.

Elle fut récompensée par l’air choqué de McKnight. Puis elle entreprit de peler ses différentes couches de vêtements, à commencer par ses bottes.

Sous sa combinaison de vol, elle portait un baudrier multipoches. Dans les poches en question, elle avait rangé une gourde d’eau, des cartes, une paire de lunettes de vision nocturne, quelques paquets de chewing-gum, une petite trousse de premiers secours en plastique, des rations de survie… et son portable, qui avait eu le bon sens de rester muet. Elle enfouit dans une poche extérieure son micro mains libres inutile. Puis elle ôta chemise et pantalon. On leur permit de s’arrêter quand ils se retrouvèrent tous deux en tee-shirt et caleçon.

Ils n’étaient pas armés, en dehors d’un poignard qu’Abdikadir portait sous son baudrier. Il le donna à McKnight avec une certaine réticence. McKnight prit les lunettes de vision nocturne et regarda à travers, visiblement perplexe. Les petits étuis de plastique faisant partie de leur équipement furent ouverts et fouillés.

Puis ils furent autorisés à se rhabiller et la plus grande partie de leur matériel leur fut rendue… mais pas le poignard ni, constata avec amusement Bisesa, ses chewing-gums.

Après cela, à son grand étonnement, le capitaine Grove, commandant du fort, les fit lanterner.

On les avait fait asseoir côte à côte dans son bureau sur un inconfortable banc de bois. Un unique soldat montait la garde à la porte, l’arme à la main. La pièce n’était pas dépourvue de confort, elle possédait même une certaine élégance. Les murs étaient blancs, le plancher de bois recouvert de nattes de jonc et sur un des murs était accroché ce qui semblait être un tapis du Cachemire. C’était manifestement le bureau d’un officier de carrière compétent. Sur la grande table de travail en bois s’alignaient des piles de papier, des chemises cartonnées et un porte-plume planté dans son encrier. Il y avait quelques touches personnelles, une balle de polo posée sur le bureau et une grande et antique horloge à balancier qui tictaquait mélancoliquement. Mais il n’y avait pas d’éclairage électrique : seules des lampes à pétrole prenaient la relève du jour déclinant qui entrait par l’unique petite fenêtre.

Bisesa se sentit obligée de chuchoter.

— On dirait un musée. Où sont les ordinateurs, les radios, les téléphones ? Il n’y a rien d’autre ici que du papier.

— Et pourtant, rien qu’avec du papier, ils dirigeaient un empire, répondit Abdikadir.

Bisesa le regarda avec de grands yeux :

Ils ? Où penses-tu que nous soyons ?

— À Jamroud, dit-il sans hésitation. Une forteresse du XIXe siècle, construite par les Sikhs, occupée par les Britanniques.

— Tu l’as visitée ?

— J’en ai vu des photos. J’ai étudié l’histoire… c’est ma région, après tout. Mais tout ce que montrent les livres, c’est une ruine.

Bisesa fronça les sourcils, ne comprenant pas.

— Mais cette forteresse n’est pas en ruine.

— Leur équipement, chuchota Abdikadir. Tu n’as pas remarqué ? Des bandes molletières et des ceinturons à bandoulière. Et leurs armes… des Martini-Henry et des Snider à un coup à chargement par la culasse. Très largement démodés. Ce matériel n’est plus en usage dans l’armée britannique depuis le XIXe siècle, et même à cette époque elle est passée aux Lee Metford, aux Gatling et aux Maxim dès qu’ils ont été disponibles.

— Quand était-ce ?

Abdikadir haussa les épaules.

— Je ne sais pas exactement. Vers 1890, je crois.

1890 ?

— As-tu essayé ta radio d’urgence ?

Tous deux étaient équipés de balises de détresse cousues dans leur baudrier ainsi que d’émetteurs-récepteurs miniaturisés, par chance passés inaperçus lors de l’inspection de McKnight.

— Elle ne donne rien. Mon portable n’a toujours pas de réseau non plus. Pas plus que quand nous étions en vol.

Elle eut un frisson.

— Personne ne sait où nous sommes, ni où notre hélicoptère s’est écrasé. Ni même si nous sommes en vie.

Ce n’était pas seulement l’accident qui l’avait effrayée, elle le savait. C’était la sensation d’avoir perdu le contact… d’être coupée du monde aux chaleureuses interconnexions au sein duquel elle était immergée depuis le jour de sa naissance. Pour une citoyenne du XXIe siècle, c’était une déroutante sensation d’isolement.

La main d’Abdikadir se posa sur la sienne et elle lui fut reconnaissante de cette attention.

— Ils vont bientôt lancer les recherches, dit-il. L’épave du Little Bird est un sacré point de repère. Même s’il commence à faire nuit.

Elle avait oublié cette autre bizarrerie.

— Il est trop tôt pour faire nuit.

— Oui. Je ne sais pas ce qu’il en est pour toi, mais je sens comme un léger décalage horaire…

Le capitaine Grove fit irruption, suivi par une ordonnance, et Abdikadir et Bisesa se levèrent. C’était un officier à l’air soucieux, de petite taille et en léger surpoids, âgé d’une quarantaine d’années et vêtu d’un uniforme kaki. Bisesa remarqua la poussière couvrant ses bottes et ses bandes molletières : c’était un homme qui faisait passer son travail avant les apparences. Mais il arborait une énorme moustache de morse, la plus impressionnante pilosité faciale que Bisesa ait jamais vue en dehors d’un ring de catch.

Il vint se planter devant eux, mains sur les hanches, et les dévisagea.

— Batson m’a appris vos noms et ce que vous prétendez être vos grades.

Son élocution était précise, étrangement surannée, comme celle de l’officier britannique type dans un film sur la Seconde Guerre mondiale.

— Et je suis allé voir votre drôle de machine.

— Nous étions en mission de reconnaissance pacifique, dit Bisesa.

Grove haussa un sourcil grisonnant.

— J’ai vu vos armes. Drôle de « mission pacifique» !

Abdikadir haussa les épaules :

— Ce n’en est pas moins la vérité.

— Revenons à nos affaires, répliqua Grove. Je tiens tout d’abord à vous dire que nous soignons de notre mieux votre camarade.

— Merci, répondit sèchement Bisesa.

— À présent, qui êtes-vous et que venez-vous faire dans mon fort ?

Bisesa le regarda en plissant les yeux.

— Nous n’avons rien à vous dire de plus que nos nom, grade, numéro matricule…

Elle laissa sa phrase en suspens devant l’air ahuri de Grove.

— Je ne suis pas sûr que nos lois de la guerre s’appliquent ici, Bisesa, dit doucement Abdikadir. De plus, j’ai l’impression que cette situation est si inhabituelle qu’il vaudrait sans doute mieux pour tout le monde ne rien nous cacher.

Il défia du regard Grove, qui acquiesça sèchement, prit place à son bureau et leur fit négligemment signe de se rasseoir.

— Supposons, dit-il, que j’écarte provisoirement l’hypothèse la plus plausible, à savoir que vous êtes des espions de la Russie ou de ses alliés, envoyés pour je ne sais quelle mission de déstabilisation. Peut-être même êtes-vous à l’origine de l’interruption de nos communications… Comme je l’ai dit, écartons cela. Vous prétendez être en mission détachée pour l’armée britannique. Être ici pour maintenir la paix. Eh bien, moi aussi, je suppose. Expliquez-moi en quoi voltiger dans cette mécanique tourbillonnante vous y aide.

Il était brusque, mais visiblement indécis.

Bisesa prit une profonde inspiration. Elle esquissa brièvement la situation géopolitique : le face-à-face des grandes puissances à propos des réserves de pétrole de la région, la complexité des tensions locales. Grove paraissait suivre, même si la plus grande partie ne lui était pas familière, et à un moment il manifesta une grande surprise.

— La Russie, une alliée, dites-vous ?… Laissez-moi vous expliquer comment moi je vois la situation locale. Nous nous trouvons à un nœud de tension, d’accord… mais c’est entre la Grande-Bretagne et la Russie que règne cette tension. Mon travail, c’est de contribuer à la défense de la frontière de l’Empire, et ensuite à la sécurité du Raj. Tout ce que j’ai retenu de votre petit discours, c’est que vous avez des ennuis aussi avec les Pachtouns. Sans vouloir vous vexer, ajouta-t-il à l’intention d’Abdikadir.

Bisesa avait du mal à comprendre. Elle ne put que répéter ce qu’il venait de dire.

— Le Raj ? L’Empire ?

— Il semblerait, dit Grove, que nous soyons ici pour mener des guerres différentes, lieutenant Dutt.

— Capitaine Grove… vos communications vous ont-elles posé des problèmes, ces dernières heures ? demanda Abdikadir.

Grove marqua un temps, manifestement pour réfléchir à ce qu’il allait répondre.

— D’accord… oui. Nous avons perdu nos deux liaisons télégraphiques, et même le contact avec les stations d’héliographes. Nous n’en avons pas eu la moindre nouvelle depuis midi, environ, et nous ne savons toujours pas ce qui se passe. Et vous ?

Abdikadir soupira.

— Notre échelle temporelle est un peu différente. Nous avons perdu nos liaisons radio juste avant l’accident… il y a quelques heures.

Radio ?… Enfin, peu importe, dit Grove avec un geste de la main. Nous avons donc eu des problèmes comparables, vous dans votre carrousel volant, moi dans ma forteresse. Et qu’est-ce qui a pu causer cela, à votre avis ?

— Une guerre ouverte, dit précipitamment Bisesa, qui ruminait cette idée depuis le crash : malgré la terreur que celui-ci lui avait causée et le choc qui avait suivi, elle n’avait pas pu se la sortir de la tête. Une impulsion électromagnétique…, ajouta-t-elle à l’intention d’Abdikadir. Quelle autre chose aurait pu interrompre les communications civiles et militaires, simultanément ? Les étranges lumières que nous avons vues dans le ciel… la météo, les brusques rafales…

— Mais nous n’avons pas vu de traînées de condensation, dit calmement Abdikadir. Maintenant que j’y pense, je n’en ai pas aperçu une seule depuis le crash.

— Encore une fois, dit Grove avec irritation, je n’ai pas le moindre début d’idée de ce dont vous parlez.

— Je veux dire que je crains qu’une guerre nucléaire ait éclaté, expliqua Bisesa. Et que ce soit pour ça que nous avons été coupés du monde. C’est déjà arrivé dans la région, après tout. Ça ne fait pas plus de dix-sept ans que Lahore a été détruite par les Indiens.

Grove la regarda avec de grands yeux :

— Détruite, dites-vous ?

Elle fronça les sourcils.

— Complètement. Vous devez le savoir.

Grove se leva, alla à la porte pour donner un ordre au planton qui s’y tenait. Au bout de quelques minutes, le jeune civil hyperactif nommé Ruddy franchit la porte, manifestement convoqué par Grove. L’autre civil, le jeune homme appelé Josh qui avait aidé Abdikadir à sortir Casey de l’hélicoptère, se glissa avec lui dans la pièce.

Grove haussa les sourcils.

— J’aurais dû m’attendre que vous l’accompagniez, monsieur White. Mais vous devez faire votre travail, je suppose. Vous ! dit-il en pointant un doigt péremptoire sur Ruddy. Quand êtes-vous allé à Lahore pour la dernière fois ?

Ruddy réfléchit un instant.

— Il y a trois… quatre semaines, je pense.

— Pouvez-vous décrire l’endroit tel que vous l’avez vu ?

Ruddy eut l’air déconcerté par cette requête, mais il s’exécuta :

— Une vieille cité fortifiée où vivent environ deux cent mille Pendjabis et quelques milliers de métis et d’Européens… beaucoup de monuments moghols… Depuis la grande mutinerie, c’est devenu un centre administratif tout autant qu’une base de départ pour les expéditions militaires destinées à contrecarrer la menace russe. Je ne sais pas trop ce que vous voulez que je vous dise, monsieur.

— Simplement ceci : Lahore a-t-elle été détruite ? A-t-elle été, en fait, dévastée il y a dix-sept ans ?

Ruddy éclata de rire.

— Voilà qui m’étonnerait. Mon père y travaillait. Il a fait construire une maison sur la route de Mozang !

— Pourquoi mentez-vous ? lança Grove à Bisesa.

Bêtement, elle eut envie de pleurer. Pourquoi refusez-vous de me croire ? Elle se tourna vers Abdikadir. Silencieux, il regardait le soleil couchant par la fenêtre.

— Abdi ? Soutiens-moi.

— Tu n’as pas encore saisi le tableau, lui dit-il doucement.

— Quel tableau ?

Il ferma les yeux.

— Je ne te le reproche pas. Moi-même, je ne tiens pas tant que ça à le voir.

Il se tourna vers le Britannique :

— Vous savez, capitaine, la chose la plus étrange qui soit arrivée aujourd’hui concerne le soleil.

Il lui décrivit le brusque déplacement de l’astre dans le ciel.

— À un moment, c’était midi, le suivant… la fin d’après-midi. Comme si la machinerie du temps s’était détraquée.

Il jeta un coup d’œil en direction de l’horloge de parquet : le cadran de celle-ci indiquait un peu moins de 19 heures. Il demanda à Grove :

— Est-elle à l’heure ?

— Plus ou moins. Je la remonte tous les matins.

Abdikadir consulta sa montre-bracelet.

— Et pourtant je n’ai que 15 h 37… trois heures et demie de l’après-midi. Bisesa, tu es d’accord ?

Elle vérifia.

— Oui.

Ruddy tiqua. Il s’approcha d’Abdikadir et lui prit le poignet.

— Je n’ai jamais vu une montre de ce genre. En tout cas, ce n’est pas une Waterbury ! Elle n’a pas d’aiguilles, on ne voit que des chiffres. Ce n’est même pas un cadran. Et les chiffres se fondent les uns dans les autres !

— C’est une montre à quartz, dit calmement Abdikadir.

— Et qu’est-ce que c’est que ça ? ajouta Ruddy, qui lut à haute voix : Huit six 2037…

— C’est la date, répondit Abdikadir.

Ruddy fronça les sourcils, cherchant à comprendre.

— Une date du XXIe siècle ?

— Oui.

Ruddy alla au bureau de Grove et farfouilla dans les papiers qui s’y trouvaient.

— Veuillez m’excuser, capitaine.

Même l’impressionnant capitaine Grove avait l’air perdu ; il eut un geste d’impuissance. Ruddy sortit un journal de sous la pile.

— Il est vieux de quelques jours, mais il fera l’affaire.

Il le brandit sous le nez de Bisesa et d’Abdikadir : c’était une mince feuille de chou intitulée Civil and Military Gazette and Pioneer.

— Vous voyez la date ?

C’était une date de mars 1885. Il y eut un long et pesant silence. Grove dit brusquement :

— Vous savez, je pense que nous aurions tous besoin d’une bonne tasse de thé.

— Non !

L’autre jeune homme, Josh White, avait l’air très agité.

— Veuillez m’excuser, monsieur, mais tout s’éclaire… je crois… oh oui, ça cadre, tout s’explique !

— Calmez-vous, dit sèchement Grove. Qu’est-ce que vous bafouillez ?

— La femme-singe, dit White. Oubliez votre tasse de thé… il faut leur montrer la femme-singe !

Donc, avec Bisesa et Abdikadir toujours sous la garde d’un soldat en armes, ils sortirent ensemble du fort.



Ils parvinrent à une sorte de campement à une centaine de mètres de la muraille. Là, une tente conique constituée d’un filet avait été dressée. Un groupe de soldats désœuvrés traînait autour, fumant des cigarettes à l’odeur méphitique. Maigres, crasseux, le bas de la nuque rasé, ils dévisagèrent Abdikadir et Bisesa avec leur mélange habituel de curiosité et de concupiscence.

Bisesa vit bouger quelque chose dans le filet… quelque chose de vivant, peut-être un animal… mais le soleil était bas sur l’horizon et il n’y avait pas beaucoup de lumière, les ombres étaient trop longues pour lui permettre de bien voir.

À la demande de White, quelqu’un retira le filet. Bisesa, qui s’était attendue à voir un poteau central, constata que le sommet de la tente était au contraire soutenu par une sphère argentée qui flottait apparemment sans aucun support dans les airs. Les indigènes n’avaient pas l’air d’accorder à celle-ci la moindre attention. Abdikadir s’avança, regarda en plissant les paupières son reflet à la surface de la sphère et passa la main dessous. Rien ne la soutenait.

— Tu sais, dit-il, n’importe quel autre jour, j’aurais trouvé ça tout à fait insolite.

Bisesa ne parvenait pas à détacher son regard de l’anomalie flottante où se reflétait son visage. Voici la clé, se dit-elle. L’idée s’était imposée d’elle-même à son esprit.

Josh lui toucha le bras.

— Bisesa, vous allez bien ?

Elle fut déroutée par son accent, qui évoquait à ses oreilles l’accent bostonien de JFK, mais le visage de Josh exprimait une réelle inquiétude. Elle eut un rire mécanique.

— Vu les circonstances, je pense que ça va très bien.

— Vous ratez le principal…

Il voulait parler des créatures sur le sol et elle essaya d’accommoder.

Tout d’abord, elle crut que c’étaient des chimpanzés, mais d’une constitution presque gracile. L’un d’eux était petit, le deuxième plus grand ; le grand tenait le petit dans ses bras. Sur un geste de Grove, deux soldats s’avancèrent et prirent le bébé, attrapèrent la mère par les chevilles et les poignets et l’étalèrent de tout son long sur le sol. La créature se débattait et montrait les dents.

Le « chimpanzé » était un bipède.

— Bon sang, murmura Bisesa. Tu penses que c’est une australopithèque ?

— Une parente de Lucy, oui, répondit Abdikadir sur le même ton. Mais les australopithèques ont disparu depuis… combien ? Un million d’années ?

— Il est possible qu’un groupe d’entre eux ait survécu dans une région reculée, dans ces montagnes, peut-être…

Il tourna vers elle un regard insondable.

— Tu n’y crois pas toi-même.

—Non.

— Vous voyez ? cria White, tout excité. Vous voyez la femme-singe ? Qu’est-ce, sinon un autre… détraquement temporel ?

Bisesa s’approcha pour regarder dans les yeux au regard obsédant de l’aînée des australopithèques. Celle-ci s’efforçait d’atteindre son petit.

— Je me demande ce qu’elle pense.

Abdikadir poussa un grognement.

— Sans doute : «C’est fou ce que le voisinage a pu changer. »

L'Oeil du temps
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